Une petite réflexion d'un des joyeux intervenants dans les commentaires de l'excellent
Chacun pour soi en réaction au petit billet d'humour sur Super Size Me que j'y ai publié m'a incité à réfléchir sur l'attitude partisane.
Un des principaux reproches que la communauté libérale fait aux collectivistes de tout poil est de manquer d'honnêteté intellectuelle et de refuser d'examiner avec un minimum d'a priori une position, un article ou un argument qui contredit la doctrine qu'ils défendent. L'étape suivante, l'attitude partisane, consiste à émettre une opinion sur les dires de telle ou telle personne sans même les avoir examinés soi-même, la seule identité de la personne suffisant apparemment à discréditer tout ce qu'elle pourrait avoir envie d'exprimer.
Michaël Moore a été une des victimes les plus médiatisées d'un tel comportement de la part de la droite. Nombre de membres de la communauté libérale l'ont brocardé sans même prendre la peine de prendre connaissance des idées qu'il défend. Ne vous méprenez pas, je n'éprouve pour le personnage qu'une sympathie somme toute fort modérée, mais il me semble que son oeuvre, une fois que l'on gratte le vernis, recèle quelques thèse intéressantes. Je n'ai pas d'avis sur "Fahrenheit 911", que je n'ai pas encore regardé, mais tant "Bowling for Columbine" que le livre "Stupid White Men" ne manquent pas de pistes de réflexions et de points de vue pour le moins originaux sur la société américaine. Nous n'entrerons pas ici dans les détails, je l'ai fait en son temps sur
Libéraux.org, et je ne vois pas l'intérêt de recommencer une fois de plus. Ce qui m'a frappé à l'époque c'est l'opposition viscérale à Moore dont faisaient preuve certains et qui les conduisait à sous-estimer voire à glisser subrepticement sous le tapis certains arguments qui valaient la peine d'être examinés. Jeter ainsi le bébé avec l'eau du bain ne me paraît pas une attitude propice à la réflexion et au débat.
Quoi qu'il en soit, le film de Morgan Spurlock semble à présent bénéficier du même traitement. D'un côté, les gauchistes antiaméricains encensent le réalisateur sans discernement, de l'autre une série de libéraux rabiquement proaméricains le pourfendent de manière tout aussi radicale.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, chers lecteurs, mais les deux attitudes me semblent également détestables. Le propre de l'attitude intellectuelle consiste précisément à analyser et à disséquer non seulement la pensée de ceux avec lesquels nous sommes d'accord, mais aussi celle de nos adversaires idéologiques. Mon ami
Mélodius, par exemple, n'hésite pas - et cela lui a été souvent reproché - à défendre les mérites de Lénine, du moins en ce qui concerne la façon dont ce dernier conçoit le "marketing" des idées. Cela lui a valu de la part d'une kyrielle de
minus habens des insultes plus ou moins subtiles dont la plus fréquente était "communiste". J'ai eu l'occasion d'accompagner Ronnie Hayek - alias la bibliothèque vivante - chez un bouquiniste bien connu à Bruxelles où il allait à la recherche des oeuvres d'un obscur sociologue marxiste des années 60. Le résultat est que notre ami Ronnie connaît souvent mieux les thèses défendues par nos adversaires idéologiques qu'ils ne les connaissent eux-mêmes.
Une autre erreur communément répandue chez les victimes de l'attitude partisane est de voir un film (ou de lire un livre ou un article) à la lueur de leur propre référentiel. C'est particulièrement le cas pour le récent opus de Spurlock. Le français (ou le belge francophone) chauvin et anitiaméricain y voit une virulente critique de la "malbouffe" et la porte aux nues. Pour la même raison, les libéraux pro-américains la vouent aux gémonies. Tout qui a vécu quelque temps aux Etats-Unis verra pourtant dans l'oeuvre de Spurlock le résultat d'une préoccupation légitime : le fast-food a pris là-bas une importance que l'on imagine assez mal en Europe et la majorité de la population n'est pas (ou refuse d'être) consciente des effets sur la santé que peut avoir l'abus de ce genre de nourriture. C'est sous cet angle qu'il faut analyser la démarche de Spurlock. Y voir une critique acerbe de la société américaine est à mon sens une erreur.