Le jeu du mot imposé
Il ne se passe pas un jour sans que, dans les colonnes de la presse de notre plat pays, sur les ondes radio ou sur les écrans de télévision, un politicien quelconque – remarquez le pléonasme – ne vienne, arborant la mine compassée de circonstance, nous resservir les vieux clichés éculés de la langue de bois. Ce discours creux, incompréhensible, destiné sans doute à créer le bruit de fond par lequel le politicien, tel l’infâme serpent Kaa dans le « Livre de la Jungle », cherche à endormir le petit Mowgli électeur pour le livrer sans pitié à son étreinte fatale pour le portefeuille, nous sera servi à chaque repas, que nous le voulions ou non, répété, ânonné, jusqu’à ce que, hagards et échevelés, nous nous mettions à notre tour à le resservir à tout propos, en obéissants petits valets de la machine à propagande. Soit, il paraît que cela fait partie du « jeu politique » : non contents de nous dépouiller de nos derniers centimes et de nous courber sous le joug de loi de plus en plus répressives et liberticides, les tribuns modernes aiment à nous faire répéter ces paroles auxquelles ils ont fini par croire eux-mêmes.
Louons cependant leur ingéniosité sémantique, car dans leur grande bonté, pour éviter que nous ne nous lassions par trop de leurs sempiternelles tirades prétentieuses et vaines, nos têtes pensantes – enfin, si j’ose dire – nous en ont concocté une variante ludique. Elle s’apparente à ce jeu de société au cours duquel les participants sont invités à insérer au milieu d’un récit forgé de toutes pièces quelques mots imposés que leurs camarades de jeu doivent découvrir. Afin de vous permettre de vous joindre à cette nouvelle forme d’amusement, je vous livre à présent les quelques mots qui font les délices de nos édiles. Je vous invite à compter le nombre de fois qu’ils apparaissent dans un discours de politicien en campagne. Vous pouvez même organiser des concours entre vous : chacun choisira un des termes imposés avant le discours et notera ensuite la fréquence à laquelle le joyeux candidat le servira dans ses diatribes passionnées. Le gagnant sera celui qui a misé sur le vocable le plus utilisé.
A présent, prenez vos calepins et notez : solidarité, citoyen (employé comme adjectif), élan, solidaire, politique (employé comme nom), dérive ultralibérale, humanisme (ou l’adjectif dérivé), initiative (bonus supplémentaire s’il est suivi de « citoyenne » ou de « solidaire »).
Voilà, le jeu est lancé, j’espère qu’il vous permettra de voir passer plus vite cette campagne électorale qui s’annonce encore plus morne que les précédentes.
En guise de conclusion, je laisserai la parole, chose rare s’il en est, à une candidate socialiste. Rassurez-vous, il s’agit seulement de se gausser d’elle et de lui décerner d’entrée de jeu la palme d’or du discours creux 2003. Voici donc cette phrase impérissable d’Anne-Marie Lizin, cette matrone qui, contrairement au bon vin, ne bonifie pas avec l’âge :
« Grâce à des interventions citoyennes, la police redeviendra solidaire ».
Merci, Anne-Marie, pour cette prose pleine de retenue et de sous-entendus ….
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