En finir avec le patriotisme économique
Depuis le tollé suscité en France par l’OPE hostile lancée sur le groupe Arcelor par Mittal Steel, il ne se passe pas un jour sans que quelque part un journaliste ou un ministre quelconque ne parle de la nécessité d’un retour au « patriotisme économique ». Ne nous y trompons pas : il s’agit d’un discours de repli sur soi. C’est d’autant plus flagrant que ce repli n’a même pas lieu au sein de l’espace de l’Union Européenne mais bien à l’intérieur d’un certain nombre de pays, pays dont le manque de dynamisme et les hauts taux de chômage trahissent l’inculture économique de leurs dirigeants. Nous pouvons à la rigueur admettre que dans l’affaire Mittal il s’agissait de « protéger » un « champion européen ». Et encore … le gouvernement qu’on a le plus entendu, comme d’habitude, était le gouvernement, français, qui considère Arcelor comme français en dépit des concessions rhétoriques à la construction européenne. De toute manière, l’actualité récente nous démontre que le repli observé est beaucoup plus égoïste et nationaliste : le gouverneur de la Banque Centrale italienne forcé de démissionner après avoir tenté d’empêcher en sous-main la reprise de deux banques italiennes par d’autres banques européennes, l’Espagne qui tente de protéger son « champion » énergétique Endesa de toute reprise par un concurrent allemand, la France qui négocie en hâte une reprise de Gaz de France par Suez pour éviter un rachat de Suez par un groupe italien. Quels intérêts cherche-t-on à protéger ? Ceux du citoyen européen ou ceux d’une oligarchie où gouvernements, syndicats et grosses entreprises s’entendent pour protéger leurs petits intérêts et continuer leurs petites affaires entre eux, aux frais du contribuable-consommateur ?
Mais qu’est donc ce « patriotisme économique » qui semble la dernière idée à la mode ? Malgré les apparences, le concept est loin d’être récent. Il a même connu plusieurs noms au cours de l’histoire : colbertisme, mercantilisme, patriotisme économique, tous ces mots ne sont qu’un cache-sexe pour ce monstre sacré de l’étatisme malsain qu’est le protectionnisme.
De quoi s’agit-il ? En gros, il s’agit d’utiliser toutes les mesures coercitives à la disposition des Etats pour « protéger » des entreprises nationales, ou un secteur d’activités, de la concurrence qui a le mauvais goût d’être « étrangère », qu’elle soit européenne ou extra-européenne. Bien sûr, tous les prétextes sont bons pour justifier ce genre de mesures. Il peut s’agir, au choix, de « protéger » l’emploi ou un secteur « stratégique » (comme dans la dernière mouture de la législation française), de « lutter contre le dumping », ou encore de « protéger les consommateurs ». Belle rhétorique, mais ô combien fallacieuse.
Le grand perdant du protectionnisme, contrairement à ce que l’on voudrait bien faire croire au citoyen, ce n’est pas l’entreprise étrangère, et le grand gagnant n’est pas le consommateur ou l’hypothétique « grandeur » de la nation. C’est même tout le contraire : les seuls à bénéficier d’une mesure protectionniste sont les propriétaires, les dirigeants, et, dans une moindre mesure, les travailleurs des entreprises que les mesures protectionnistes isolent de la pression concurrentielle. Frédéric Bastiat, dans un magistral essai intitulé « Pétition des marchands de chandelles », illustre à merveille l’absurdité du protectionnisme et son caractère néfaste pour le citoyen ordinaire. Cet essai prend la forme d’une lettre envoyée au parlement par les représentants de l’industrie des marchands de chandelles : ces commerçants y déplorent la concurrence déloyale que leur fait le soleil en fournissant toute la journée de la lumière gratuite aux habitants du pays. Ils demandent que l’on rende obligatoire la fermeture des rideaux et volets afin que les intérieurs soient en permanence éclairés par la lumière artificielle fournie par leurs soins. Leur raisonnement en appelle notamment à un argument que l’on entend beaucoup dans la bouche des protectionnistes : en stimulant la production de chandelles, le gouvernement protégera les emplois existants et en créera de nouveaux. Il est bien sûr facile de réaliser à quel point le raisonnement est fallacieux : la protection réclamée vis-à-vis du soleil coûtera cher aux citoyens : ils seront obligés de payer pour un service (laz fourniture de lumière en journée) qui était jusqu’ici gratuit. L’argent consacré à ces achats rendus nécessaires par la loi sera détourné d’autres usages plus productifs et, si les marchands de chandelles et leurs ouvriers s’enrichiront, la population entière s’appauvrira pour financer l’accroissement du confort matériel de cette petite communauté de privilégiés.
En quoi la pétition des marchands de chandelle serait-elle différente des appels actuels au patriotisme économique ? Derrière la rhétorique nationaliste qui plaît aux frileux et aux chauvins, les conséquences sont les mêmes. En restreignant la concurrence, fondement d’une économie saine et profitable à tous, les mesures de « patriotisme économique » aggravent la situation de ceux qu’elles prétendent protéger tout en enrichissant ceux qui n’ont nullement besoin d’aide. Derrière la rhétorique chevaleresque se cache une fois de plus une machine à rendre les pauvres plus pauvres. Sous prétexte de lutter contre le libéralisme sauvage, les gouvernements protectionnistes accroissent la misère sous les vivats de la foule qu’ils spolient.
6 Commentaires:
Et Lakshmi Mittal vit à Londres et le groupe du même nom est de droit néérlandais...
Londres, capitale européenne de l'ultralibéralisme mondialisateur !
De toute façon, il est étiqueté "étranger" et "capitaliste" par les collectivistes franchouillards, et à ce titre mis à l'index.
Le protectionnisme, pardon, le patriotisme économique est également un excellent exutoire pour les sentiments xénophobes. Sous prétexte de "protéger son économie", on peut se permettre de mépriser ouvertement les "races inférieures" tout en gardant une apparence de respectabilité. Isn't that wonderful ?
La notion d'infantilisation et de déresponsabilisation à laquelle vous faites allusion (à raison) me rappelle une excellente réflexion entendue dans "Le Journal des Snuls", à la RTBF radio :
"Le jour où la mode apparaîtra dans les écoles de se jeter la tête la première contre un mur, vous verrez, on interdira les murs". :-)
Hé hé, excellent !
Le patriotisme économique revient à croire encore aux vertus de la ligne Maginot. Cette croyance a également un coût, pas celui du béton cette fois, mais la réduction de la croissance, la faiblesse des investissements, l'image de franchouille-frileux. A terme il est presque certain que cette nouvelle version coutera plus que la première!
Sans aucun doute.
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