Vider l'enseignement de sa substance
La proposition de loi sur l'évaluation externe des acquis des élèves - traduisez par "examen commun" - au terme des six années de l'enseignement primaire a été votée aujourd'hui, nous apprend La Libre Belgique. Est-ce un bien ou un mal ? Analysons ensemble la dépêche de La Libre.
Le gouvernement de la Communauté française a approuvé l'avant-projet de décret de la ministre-présidente en charge de l'Enseignement fondamental Marie Arena relatif au certificat d'études de base au terme de l'enseignement primaire et à l'évaluation externe des acquis des élèves.
De nouvelles dispositions ont été prises en matière d'octroi du Certificat d'Etude de Base au terme de l'enseignement primaire. Il s'agira d'une épreuve externe commune pour tous les élèves inscrits en 6ème primaire.
Cette épreuve portera sur la maîtrise des compétences et savoirs attendus à 12 ans et qui comprendra des questions traitant du français, des mathématiques, de l'éveil historique, scientifique, géographique.
Actuellement les élèves sont évalués différemment selon l'endroit où est située leur école. Dorénavant, tous les élèves auront la garantie d'être évalués selon un même niveau d'exigence quel que soit l'établissement ou le réseau qu'il fréquente.
Jusqu'ici, rien de bien alarmant, que du contraire. A priori on ne peut que se réjouir de l'instauration d'un système de "bac" dans l'enseignement de la communauté française. Comparer les résultats permettra aux parents de mieux choisir l'école dans laquelle mettre leur enfant, et à terme on pourrait même imaginer une décentralisation des programmes scolaires. En effet, si les exigences minimales sont fixées, pourquoi ne pas laisser les écoles totalement libres de la pédagogie à adopter ? Cela permettrait une vraie concurrence, qui devrait permettre à terme de relever le niveau catastrophique de nos têtes blondes à la sortie du primaire.
Et à propos de niveau catastophique, je décerne un zéro en orthographe au journaliste qui a rédigé la dépêche, pour avoir oublié que "il" de fin de phrase devait être au pluriel puisqu'il remplace "tous les élèves".
Les élèves qui auront satisfait à l'épreuve externe commune obtiendront leur CEB. Pour ceux qui n'y auraient pas satisfait, le décret prévoit une possibilité d'octroi sur base d'un dossier comportant les bulletins des deux dernières années et d'un rapport circonstancié établi par l'instituteur. Une procédure de recours externe sera également mise à la disposition des parents auprès d'un conseil de recours composé de l'inspecteur général et de sept membres qui sont des directeurs d'écoles fondamentales en activité ou à la retraite depuis moins de 5 ans.
Les choses se gâtent : si l'enfant a raté l'examen, ce n'est pas grave, on peut malgré tout lui octroyer son CEB si l'instituteur le juge méritant. Quant au recours externe, la contemplation des actuelles farces - pardon, recours - que j'ai à traiter en tant qu'enseignant me laisse augurer du pire. En clair, ce CEB sera rapidement vidé de sa substance, qui est de certifier l'acquisition d'un certain nombre de savoirs.
Pour garantir la totale confidentialité des résultats que ce soit des élèves ou des écoles, aucun classement entre élèves ou entre écoles ne sera possible. Par ailleurs, pour entrer progressivement dans le dispositif, la participation à l'épreuve externe commune sera laissée à la discrétion de chaque école durant deux années scolaires. Elle ne deviendra obligatoire qu'en 2008-2009.
Pas de classement entre élèves ni entre écoles. Nous voilà en plein dans l'utopie égalitaire socialiste : ne permettons pas aux parents d'évaluer les progrès de leurs rejetons et de les comparer à ceux de leurs petits camarades, et surtout, ne leur permettons pas de comparer les écoles. Bref, à terme, ce CEB occasionnera un surcroît de paperasserie sans aucun bénéfice pour les parents ou les élèves.
Les évaluations externes quant à elles se déclineront en trois paliers. Le 1er palier (2ème et 5ème primaire et 2ème secondaire) débutera lors de l'année scolaire 2006-2007 et sera consacré à la lecture et l'écriture. Lors de l'année scolaire 2007-2008 ce sera le tour des mathématiques . Enfin, lors de l'année scolaire 2008-2009, place à l'éveil. A partir de 2009-2010, on recommence le cycle trisannuel.
J'avoue ne pas très bien comprendre l'utilité de la chose. Chaque année une matière différente ? Quel est l'intérêt de l'évaluation ? Comment comparer l'évolution d'une école si sur neuf ans on dispose pour une matière donnée d'à peine trois séries de réultats ? Sous l'apparence de la rigueur, le ministère se prépare à créer un suberbe écran de fumée qui masquera utilement les terribles carences dont souffre l'enseignement en Belgique francophone.
Le 2ème palier visera les 2ème et 3ème degrés du secondaires. A partir de 2007-2008, une épreuve pour l'ensemble des élèves d'une même année d'études (3, 4, 5 ou 6ème secondaire) aura lieu chaque année (sur proposition de la Commission de Pilotage), avec, au moins tous les 3 ans, une épreuve en lecture en 5ème secondaire.
Il y aura donc une "Commission de Pilotage" qui décidera elle-même où, quand et comment organiser ces évaluations. Vu la stratégie syndicale de noyautage des instances dirigeantes de l'enseignement, on peut craindre que la création d'une telle commission revienne à castrer et à museler le système d'évaluation. Surtout, surtout, pas de concurrence.
Enfin, le 3ème palier concernera les langues (première langue moderne étudiée). Lors de l'année scolaire 2008-2009, c'est la 6ème primaire qui devra s'y coller. Ensuite, lors de l'année scolaire 2009-2010, ce sera le tour de la 2ème secondaire, puis lors de l'anné scolaire 2010-2011, celui de la 5ème secondaire. A partir de 2011-2012, on repart pour un cycle de 3 ans.
A nouveau, on s'assure que les données récoltées n'auront aucune pertinence statistique. Cela ressemble fort à une tentative de renforcement de la centralisation dans l'enseignement. Les programmes laissaient les enseignants trop libres au goût des élites pédagogiques qui rédigent les programmes et n'ont pas vu une classe - sauf en photo - de toute leur carrière, s'il s'agit de pédagogues, et n'en ont plus vu depuis plus de vingt ans s'il s'agit d'anciens enseignants devenus inspecteurs. Le resserrement de la vis est en marche. La liberté pédagogique vit ses dernières heures et les enseignants ne seront bientôt plus que des robots régurgitant la matière dans l'ordre et selon le mode préconisé par ces "élites" de la pédagogie.
Les inspecteurs et les animateurs pédagogiques seront en possession des résultats (sous le couvert d'une totale confidentialité) et ils pourront conseiller les écoles dans l'analyse des résultats et dans la construction de pistes visant à les améliorer.
Et bien voilà, nous y sommes. La Gestapo de l'enseignement va pouvoir utiliser ces résultats pour forcer les écoles à rentrer dans le moule. La Belgique se prépare un avenir fort sombre, si vous voulez mon avis.
17 Commentaires:
Cher Constantin,
Je suis ton blog depuis un moment et j'apprecie beaucoup la qualite des posts.
En etant ironique, on pourrait y voir un immense programme visant a briser l'enseignement public, suremenet trop couteux, et a encourager le prive, qui coute moins a l'etat. Ainsi, on maintiendrait la pression fiscale, mais on reduirait certains frais.
Serieusement, une fois de plus, les socialistes ratent leur cible et vont - a long terme - blesser ceux qu'ils pretendent defendre.
Souhaitons que le texte ne soit pas accepte tel quel...
Cher Jef,
Merci de ce gentil petit message de soutien.
Concernant l'avant-projet, j'ai bien peur qu'il ne faille pas s'attendre à de grandes modifications. Sinon, effectivement, si l'organisation d'un "bac" primaire ne s'accompagne pas du rétablissement de la liberté pédagogique, et si en outre ses résultats restent "secrets" et "confidentiels", alors je pense que la seule utilité de cet examen sera de restreindre encore plus la liberté des professeurs et instituteurs dans l'accomplissement de leur tâche. En clair, nous allons assister durant les procaines années au naufrage définitif de l'enseignement.
Le dogmes de l'égalitarisme et de la centralisation sont aussi au centre des prises de position relatives à l'immersion liguistique... Craignant une pseudo dualisation des écoles (comme si elle n'existait pas déjà !), Marie Arena va nous pondre un décret de derrière les fagots...
Tiens, je me fendrais bien d'un post sur le sujet...
"Cela ressemble fort à une tentative de renforcement de la centralisation dans l'enseignement"
Exact... mais on ne peut pas dire une chose et son contraire... Ce qui influence les pratiques, ce n'est pas les programmes... ce sont les évaluations... bien entendu. On ne peut pas "être pour" une évaluation centralisée et "contre" la standardisation des méthodes... c'est méconnaître la réalité de la classe... ou revendiquer l'injustice (par méconnaissance des effets de la forme de l'évaluation sur la méthodologie ...)
"Les programmes laissaient les enseignants trop libres au goût des élites pédagogiques qui rédigent les programmes et n'ont pas vu une classe - sauf en photo - de toute leur carrière, s'il s'agit de pédagogues, et n'en ont plus vu depuis plus de vingt ans s'il s'agit d'anciens enseignants devenus inspecteurs."
Ici également, il faut se renseigner avant de faire des affirmations critiques... Le programme primaire de l'enseignement fondamental du réseau officiel subventionné (50% de la pop) a été réalisé essentiellement par des enseignants détachés depuis moins de 6 ans et ce, en collaboration avec un service du SPE de l'ULg dans le cadre d'une formation/recherche qui a associé une 60taine de titulaires de classe...
Les arguments de cette (partie d')argumentation sont donc inexacts...
Pour l'animateur pédagogique que je suis, défenseur de la liberté d'enseignement, la phrase "la Gestapo de l'enseignement" est simplement insultante...
Tiens... pouquoi l'anonymat ?
Intéressant point en effet que celui de l'influence de l'évaluation centralisée sur les méthodes. Vous avez raison, cela risque d'avoir un effet sur la méthodologie. Mais jusqu'à quel niveau ? Difficile de le dire à l'avance, mais j'aurais tendance à abonder dans votre sens.
J'en tire donc la seule conclusion valide : décentraliser l'enseignement ET l'évaluation et laisser chaque école décider en connaissance de cause de sa propre pédagogie. Le marché fera le tri.
Je maintiens par contre ma critique des programmes. Si vous connaissez le milieu de l'enseignement, vous savez aussi bien que moi qu'il ne suffit pas d'être "en contact" avec une classe pour être un bon enseignant. Mon expérience m'a fait constater que :
1) les bons enseignants sont motivés par le travail de terrain, pas les ratiocinations en chambre. Aucun enseignant réellement amoureux de son métier ne resterait six ans loin d'une classe.
2) plusieurs de mes collègues ont été associés à un stade ou l'autre à l'élaboration de nouveaux programmes. Cette association avait pour unique objectif de tenter de les transformer en "vendeurs sur le terrain". A aucun moment ils n'ont eu l'impression d'avoir quoi que ce soit à dire concernant les méthodes à employer.
3) A voir l'état catastrophique des classes qui arrivent dans le secondaire, j'estime qu'il est urgent d'envoyer vos "experts" de l'université de Liège à quelques cours de recyclage.
"L'animation pédagogique" est un concept fourre-tout qui ne recouvre rien d'utile pour les enseignants. Si les journées de formations et les visites de l'inspection étaient utiles, ça se saurait. Je maintiens l'expression "Gestapo de l'enseignement". Si cela ne vous plaît pas, démontrez-moi que j'ai tort. En ce qui me concerne, et je parle de ma propre expérience et de celle de mes collègues directs, les services d'inspection et de soutien sont globalement inefficaces, incompétents, contre-productifs et incapables d'avoir un quelconque effet sur le nombre croissant de "planqués" qui ne font rien à part toucher leur salaire et vaguement être présents en classe.
Quant à votre question sur l'anonymat, elle me fait doucement rire, monsieur l'anonyme. C'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité.
J'en tire donc la seule conclusion valide : décentraliser l'enseignement ET l'évaluation et laisser chaque école décider en connaissance de cause de sa propre pédagogie
D'accord. (enfin... sauf seule conclusion valide: c'est une conclusion possible pas la seule conclusion...
Le marché fera le tri.
Quel marché ? Le marché de l'emploi ? (ce n'est pas ironique, c'est une demande de clarification...)
vous savez aussi bien que moi qu'il ne suffit pas d'être "en contact" avec une classe pour être un bon enseignant
Bien sûr... pas plus qu'il ne suffit d'être un bon enseignant pour pour faire un "bon" programme... mais là n'est pas la question:
et n'en ont plus vu depuis plus de vingt ans s'il s'agit d'anciens enseignants
c'est votre argument, pas le mien ;+)
Aucun enseignant réellement amoureux de son métier ne resterait six ans loin d'une classe
C'est encore une opinion... je peux lui opposer celle-ci: Il est bien plus facile de critiquer le système que d'essayer de le rendre plus conforme à ses aspirations (les miennes, les vôtres) par une action interne. Quel que soit le choix réalisé (rester ou partir), c'est encore un choix...
Cette association avait pour unique objectif de tenter de les transformer en "vendeurs sur le terrain"
Je dis souvent que je ne suis pas le "témoin de jéhovah de l'enseignement" :+) et quoi... ils se sont "laissés faire" :+) ?
Moi, je vis un autre paradoxe... je crée régulièrement des "espaces de prise de pouvoir" pour les enseignants (de terrain) et ceux-ci ne sont pas souvent occupés... (parfois pour de bonnes raisons d'ailleurs) Mais il est de ces structures comme des classes: "Quand tous les dégoûtés seront partis, il ne restera plus que les dégoûtants..."
j'estime qu'il est urgent d'envoyer vos "experts"
N'employez pas les guillemets pour parler d'"experts" précédés de "vos": cela pourrait laisser croire que c'est un terme que j'ai employé... or ce n'est pas moi, c'est vous... ;+)
l'état catastrophique des classes qui arrivent dans le secondaire
L"arrivée dans le secondaire" dépend de la réussite d'un examen externe (le cantonal)... c'est encore vous: A priori on ne peut que se réjouir de l'instauration d'un système de "bac" dans l'enseignement de la communauté française. qui vous en réjouissiez dans le billet initial, pas moi...
Si cela ne vous plaît pas, démontrez-moi que j'ai tort
Il ne s'agit pas de "plaire" ou pas, il s'agit d'analogies douteuses: les termes inefficaces, incompétents, contre-productifs ne peuvent s'appliquer à la gestapo... par quel tour de passe-passe faites-vous l'amalgame ? Pour ma part, je rencontre une certaine proportion d'incompétents dans tous les domaines auxquels je suis confronté (médecins, architectes, enseignants, détachés, etc)Que ces termes soient le résultat de votre expérience, je le conçois mais la comparaison est insultante parce qu'inadéquate...
Ceci dit, merci de votre réponse.
question sur l'anonymat, elle me fait doucement rire, monsieur l'anonyme. C'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité
C'est une question. Ni blague, ni moquerie... Il y a de bonnes raisons de rester anonyme, pour vous comme pour moi. Ce n'est même pas une critique. J'essaie de comprendre avant de juger, simplement.
Mais vous n'avez répondu ni à la question, ni aux raisons de cette absence de réponse... Vous publiez anonymement, soit, mais on ne peut vous demander pourquoi sans encourir de sarcasme ?
Coooollll...
Quand je dis "le marché fera le tri", j'entends le marché de l'enseignement qui se créera à ce moment-là. Les écoles (quel que soit le niveau d'enseignement) se feront concurrence et essaieront de se différencier par les caractéristiques de leurs offres respectives, tant au niveau prix qu'au niveau qualité (ou style) de formation.
Bien entendu, le marché de l'emploi sera indirectement pris en compte, puisque un des buts de l'éducation est de permettre aux enfants et adolescents d'acquérir les compétences qui leur serviront à mener une carrière qui soit conforme à leurs aspirations.
Concernant le fait qu'il soit plus facile de critiquer le système que de tenter de le changer, ma foi, si sur le principe je vous concède que vous avez raison, il me semble que l'alternative est loin d'être évidente. En effet, plusieurs facteurs contribuent à "figer" la situation :
- l'absence de vision à long terme des politiciens, l'oeil rivé sur la prochaine échéance électorale. Qui plus est, ils se sentent souvent obligés de marquer par une "réforme" quelconque leur passage au ministère, ce qui s'avère généralement contre-productif
- l'absence de validations et d'audits externes sur les résultats des réformes antérieures.
Vous conviendrez sans doute avec moi que les réformes menées dans l'enseignement primaire ont eu des résultats désastreux. Depuis quelques années, les enfants qui arrivent dans le secondaire sont à moitié illettrés et souvent fort peu habiles en calcul. Je ne m'explique pas pourquoi malgré ces résultats désastreux on persiste dans la même voie.
- l'omniprésence des syndicats, qui bloquent toute réforme contraire à leurs intérêts. Inutile dans ces conditions de prôner une liaison de lier la rémunération à la performance ou la suppression du statut de fonctionnaire.
Ce sont ces raisons-là qui me poussent à considérer que changer le système de l'intérieur est une tâche ingrate et dont les chances de succès sont assez minces. Je préfère quant à moi rester dans mes classes et faire de mon mieux, avec l'aide de quelques collègues, pour faire mon métier et préparer mes élèves à la poursuite de leurs études ou à la vie professionnelle.
Merci pour vos contre-arguments concernant l'organisation d'un examen centralisé, je dois dire qu'ils m'ont amené à envisager la situation de manière différente. Je l'avoue, j'avais totalement oublié d'envisager le fait que l'évaluation influencerait grandement la pratique, et constituerait donc un moyen déguisé mais plus efficace de contrôler et d'imposer.
A vrai dire, en écrivant ça, le terme de Gestapo me revient à l'esprit (désolé). Une telle rage d'imposer un moule commun à tous les établissements démontre le totalitarisme des dirigeants de l'éducation étatique et me fait froid dans le dos. Bien sûr, le terme Gestapo est un peu osé. C'est à dessein que je l'emploie, principalement pour deux raisons :
- la première, c'est que la Gestapo symbolise pour moi l'oppression totalitaire (j'aurais pu dire UCK ou Stasi, remarquez bien), et la volonté de centralisation et d'uniformisation à l'oeuvre actuellement dans l'enseignement me paraît particulièrement totalitaire et dans les intentions et dans la forme.
- j'aime bien provoquer
Concernant, enfin, l'anonymat, à vrai dire, le pseudonyme de Constantin Haichepielle a été créé lors de mes débuts sur le forum http://www.liberaux.org . Il s'agissait plus de satisfaire à la coutume que de préserver à tout prix un certain anonymat. Par la suite, "Constantin" devenant un nom connu, j'ai gardé le pseudonyme pour mon passage dans la blogosphère. Constantin est à la fois moi et à la fois un personnage possédant une personnalité différente de la mienne (il est beaucoup plus tranchant et acerbe que je ne le suis, par exemple). Cela dit, j'ai déjà fait l'objet de menaces, et l'anonymat m'a efficacement protégé. Un de mes amis bloggers, dont l'anonymat n'est que très relatif, a eu à pâtir de n'avoir pas opté pour l'anonymat complet. Certaines personnes préfèrent hélas s'opposer aux idées libérales et libertariennes par la violence que par les arguments.
(ex Anonymous)
Si vous êtes d'accord, je voudrais poursuivre le débat sur l'enseignement. Essentielement pour deux raisons:
1. Indépendamment de la position "politique" (je ne suis pas militant dans un parti), vous conviendrez peut-être avec moi que la pertinence d'une idée relève moins de sa forme verbale (ou idéologoique) que de sa mise en oeuvre effective (faisabilité). Notre dialogue m'a amené à me renseigner sur la position "libertarienne". Elle semble -à priori- fondamentalement différente de la mienne sur certains points . J'aimerais que vous m'aidiez en en évaluer la pertinence.
2. Si nous nous plaçons sur un plan essentiellement argumentatif (comme semble prendre la forme de notre échange) en distinguant bien valeurs, opinions et arguments, ce débat pourrait nous permettre d'affiner ou de consolider nos positions respectives même si elles sont divergentes sur certains points.
Par exemple:
Les écoles (...) se feront concurrence et essaieront de se différencier par les caractéristiques de leurs offres respectives, tant au niveau prix qu'au niveau qualité (ou style) de formation.
Je ne suis pas totalement contre cette vision des choses: le texte suivant , même s'il ne lui pas favorable, en souligne les effets possibles. Ce que j'interroge, derrière cette vision des choses, c'est la place qui sera accordée aux publics "défavorisés" et donc le positionnement sur la solidarité que sous-tend le modèle libertarien.
De nombreuses études montrent l'influence déterminante de l'origine socio-économique sur le devenir professionnel des enfants. L'option libertarienne est-elle fondamentalement "darwiniste" ?
Par ailleurs,
changer le système de l'intérieur est une tâche ingrate
C'est assez vrai ;+) et l'option quant à moi rester dans mes classes et faire de mon mieux correspond à ce que j'appelle "occuper sa zone de pouvoir" (sur le monde)... simplement, si on vous le proposait, et que vous répondiez "non", la critique serait plus difficile après... Enfin, moi, c'est ce qui m'a poussé à dire "oui" sans être encore aujourd'hui certain de la pertinence de mon choix :+))
Vous conviendrez sans doute avec moi que les réformes menées dans l'enseignement primaire ont eu des résultats désastreux.
Je n'ai pas les moyens d'en convenir. Le sentiment de "baisse de niveau" est souvent évoqué. Pour ma part, comme je n'enseigne plus qu'à des adultes, j'ai du mal à faire cette affirmation sur base de mon expérience. J'ai cependant eu l'occasion de consulter des études sur le sujet: orthographe, évolution du niveau général sur base des tests psychotechnique du service militaire, ... et la réponse ne semble pas aussi formelle que cela... (au contraire).
Ainsi, je crois qu'il faut distinguer réformes et mise en oeuvre de réformes. Par exemple, j'ai lu votre billet critique sur les "compétences": les compétences sont une adaptation de l'enseignement à la demande du marché économique (adaptation post-tayloriste). Sur un plan purement politique, refuser les compétences à l'école, c'est refuser la préparation au monde du travail par l'école... Maintenant, sur le plan de la mise en oeuvre et des conditions de l'implantation, je peux vous suivre dans la critique...
Enfin,
j'aime bien provoquer
Je vous l'accorde également, les opinions "suaves" ne provoquent pas le débat ;+)
Merci de votre réponse sur l'anonymat. C'est intéressant et compréhensible (je veux dire que je comprends cette position ;+)
Jack
Je vous remercie de cette proposition de débat : j'apprécie la confrontation des idées, c'est vivifiant et ça évite de rester sclérosé dans sa pensée. J'espère en outre que notre échange me donnera l'occasion d'une nouvelle petite chronique sur l'enseignement.
Je viens de parcourir en diagonale votre petit texte, je le lirai plus attentivement dans le courant de la semaine et je vous dirai ce que j'en pense.
En enseignement comme dans beaucoup de matières, il n'existe pas toujours "une" position libertarienne, d'autant que nous sommes de vilains petits individualistes. L'enseignement est cependant moins sujet de discordes pour nous que d'autres sujets comme par exemple l'avortement et les droits de l'enfant, sur lesquels le débat fait rage.
Je ne suis pas totalement contre cette vision des choses: le texte suivant , même s'il ne lui pas favorable, en souligne les effets possibles. Ce que j'interroge, derrière cette vision des choses, c'est la place qui sera accordée aux publics "défavorisés" et donc le positionnement sur la solidarité que sous-tend le modèle libertarien.
Je voudrais d'abord revenir à ce que l'on entend par solidarité. Selon mon Larousse, la solidarité "est un élan qui nous pousse à aider nos semblables" (adapté de la définition de mon Larousse). Autrement dit, l'actuelle "solidarité" tant vantée par la gauche comme la droite, puisqu'elle est organisée par l'Etat, est de nature essentiellement coercitive. Il ne s'agit pas d'un élan mais bien d'une obligation à laquelle le contribuable ne peut se soustraire sous peine de conséquences dommageables. Cela a deux effets extrêmement néfastes. Tout d'abord, la mainmise de l'Etat sur l'entraide entre individus a instauré une fausse justification de l'Etat, qui se serait créer pour pallier l'égoïsme de l'homme, que les collectivistes dépeignent généralement comme naturellement mauvais. En clair, donc, l'action de l'Etat devient obligatoire sous prétexte que personne ne ferait rien sinon. Or, l'histoire, lointaine comme récente, nous prouve le contraire : ainsi, par exemple, les "mutuelles", système confisqué par l'Etat (si ma mémoire ne me fait pas défaut, cela devait être à la sortie de la seconde guerre mondiale, mais il se peut aussi que ce soit plus tôt) sont à l'origine un mouvement d'entraide mutuelle entre ouvriers. Une réelle initiative de solidarité : chacun contribue dans la mesure de ses moyens à créer un "pot commun" qui servira à aider ceux qui seront dans le besoin.
La deuxième conséquence néfaste est le corollaire de la première : puisque l'Etat s'occupe de tout, la vraie solidarité tend à disparaître au profit de l'organisation étatique de la charité.
A partir du moment où l'Etat ne sera plus là pour organiser l'enseignement (ou ne sera plus là tout court, comme le rêvent certains libertariens), les mécanismes de solidarité reprendront leurs droits, comme d'ailleurs on peut le constater dans les domaines où les Etats n'interviennent pas (Médecins sans Frontières, Amnesty International, la Croix Rouge, Greenpeace sont des exemples de ces initiatives privées). Un réseau caritatif se développera pour aider les populations défavorisées. D'autre part, certaines écoles, soucieuses de bonne publicité, auront à coeur de fournir un enseignement gratuit aux jeunes défavorisés prometteurs, comme le faisait d'ailleurs l'Eglise avant l'étatisation de l'enseignement.
Comprenez cependant qu'il ne s'agit là que de conjectures. La nature même de la pensée politique libertarienne est la suppression de toute planification. Je ne peux donc ici que vous livrer ce que je pense qu'il adviendra. Lorsque les individus auront la place d'exercer leur liberté individuelle, la réponse à ces problèmes prendra sans aucun doute une forme beaucoup plus inattendue.
D'autre part, vous remarquerez que le système actuel, loin de s'occuper de combler les écarts, malgré une rhétorique égalitariste, mène des politiques qui ont pour conséquence de combler le fossé. Les fantasmes égalitaires se traduisent dans des politiques dont la conséquence, inattendue pour leurs promoteurs, attendue pour quiconque est familier du concept d'ordre spontanée de F.A. Hayek, est un accroissement des différences entre pauvres et riches. Le système actuel discrimine contre les pauvres, malgré les dénégations véhémentes des édiles. Et ce sont les politiques égalitaristes mises en place qui sont le catalyseur de cette discrimination.
Je pense que le système libertarien ne sera sans doute pas exempt de défauts, mais qu'il aura globalement des effets plus positifs qu'un système d'éducation étatisée et centralisée, ne fût-ce que parce que la décentralisation inhérente à ce système permettra des réponses plus rapides et plus créatives auxc problèmes qui se poseront.
Je voudrais d'abord revenir à ce que l'on entend par solidarité. (...) à disparaître au profit de l'organisation étatique de la charité.
J'adhère complètement à cette analyse. De plus, elle n'est peu connotée. Très intéressant.
Comprenez cependant qu'il ne s'agit là que de conjectures
La moindre n'est pas que l'homme est naturellement solidaire quels que soit son environnement (social, écologique, ...). Il faut postuler que l'homme est non seulement essentiellement bon mais même extrêmement naturellement bon ;+)
Toute cette partie: "A partir du moment où l'Etat ne sera plus là (...) avant l'étatisation de l'enseignement." est vraie (possible) sur base de ce postulat.
Cette vision optimiste (mais aussi un peu fataliste) me laisse à penser que la nécessité de la liberté individuelle s'oppose à la nécessité de la solidarité. Ou plutôt, interroge celle-ci sur ses limites.
La nature même de la pensée politique libertarienne est la suppression de toute planification.
Comment éduquer sans planifier ? Toute éducation est essentiellement "prospective" dans le sens où elle sous-tend une préparation à un projet humain (social, économique, spirituel, ...)Même dans une société où l'état se serait désengagé de l'éducation, les écoles auraient à fournir des critères explicites de performance (et qui doivent pouvoir être comparés) mais aussi le positionnement quant aux méthodes et aux finalités de leurs services. C'est la vision brouillée du futur qui conditionne les contenus, les méthodes... Et ce qui reste légitime c'est de pouvoir disposer de ce projet. Pour pouvoir faire un choix éclairé mais aussi pour pouvoir interroger la cohérence entre les méthodes utilisées et les objectifs. (et donc la "vérité" du discours)
Par ailleurs, j'étais persuadé que les politiques éducatives actuelles, qui sont fortement marquées par la Nouvelle Gestion Publique, étaient empreintes de "néo-libéralisme". Même l'anarchisme libéral se planifie non ?
concept d'ordre spontanée de F.A. Hayek, est un accroissement des différences entre pauvres et riches.
J'ai essayé de comprendre ce concept, mais les deux textes lus m'ont semblé très hermétiques. Pouvez-vous me proposer un texte qui vulgarise cela ?
Le système actuel discrimine contre les pauvres, malgré les dénégations véhémentes des édiles. Et ce sont les politiques égalitaristes mises en place qui sont le catalyseur de cette discrimination.
Pouvez-vous exemplifier ? Et donner un contre-exemple ?
les effets plus positifs qu'un système d'éducation étatisée et centralisée, ne fût-ce que parce que la décentralisation inhérente à ce système permettra des réponses plus rapides et plus créatives auxc problèmes qui se poseront.
Ce qui me concerne en temps que "citoyen" attaché aux libertés individuelles, c'est que "l'enseignement est libre en Belgique". C'est un droit constitutionnel. Ce droit est tellement inscrit que une école relevant de la "pédagogie Steiner" a obtenu que ce décret soit révisé (Conseil d'Etat ou ...) pour que cette école puisse présenter ses propres socles de compétences... C'est cette liberté qui permet le financement d'écoles "alternatives" steiner, freinet, decroly, écoles "élitistes", sport-études, etc... Avez-vous des expériences libertariennes en ce sens ?
Derrière cette question, je pose la question de l'implantation de la pensée "libérale anarchiste":comment envisage-t-elle la mise en oeuvre de son propre projet? Car enfin, même si l'on peu reprocher un fonctionnement bureaucratique, le système offre quand même des possibilités de "prise de pouvoir" énormes: conseils de participation, projets & plans d'établissement, aménagements des horaires, production de ses programmes (et socles ;+) voir même création d'une école alternative... Le problème est probablement le même pour des trotkystes ou des libertaires... Comment assurer l'accès à la conscience politique en restant dans le cadre démocratique même si j'en identifie (ou dénonce) les lacunes ? Ainsi, même si je postule que la suppression du statut de fonctionnaire et un paiement à la mesure des performances, indépendamment des problèmes techniques que ce nouveau statut induirait, provoquera une augmentation des performances (et de l'équité ?) du sytème éducatif, je ne peux accepter que ce postulat soit produit sur base d'une expertise ou des supputations... Comprenez-bien que ce n'est pas une critique propre à l'anarchisme libéral, mais me semble-t-il, une critique issue de la pensée anarchiste. Pas plus le libéralisme que le collectivisme ne peuvent se jauger en dehors d'un regard pragmatique d'un modèle (http://raforum.apinc.org/article.php3?id_article=3315), je ne peux donner les pleins pouvoir sur moi à une "transcendance" (fut-ce t-elle d'ordre économique ;+)
Je critique donc davantage la nature et la forme du débat démocratique quant à l'état, mais aussi la conscience "politique" ou simplement citoyenne, quant aux acteurs. Si ceux-ci n'investissent pas les "zones de pouvoir" qui leur sont proposées, ils ne donnent aucun indice de l'attachement qu'ils pourraient avoir aux libertés et à l'autonomie professionnelle. Sur quoi dès lors fonder la légitimité d'un changement ?
La notion de "solidarité" est au coeur du modèle social-démocrate. Or, il me semble essentiel de comprendre que cette notion est viciée dès lors qu'il y a coercition étatique. La vraie solidarité, pour un libertarien, ne se conçoit que sur base volontaire. Ce qui ne l'empêche nullement de s'exercer. Les preuves que l'on peut en trouver en-dehors des domaines que les gouvernements se sont réservés par décret en sont la preuve.
Je ne pense cependant pas que cela implique une foi dans la bonté intrinsèque de l'homme. L'homme recherche naturellement son propre intérêt, à savoir la satisfaction de ses besoins. Parmi ces besoins, il en existe qui impliquent la reconnaissance par le corps social. C'est à ce niveau-là que se place la nécessité de se montrer solidaire vis-à-vis de ses semblables. Je ne pense pas que les ouvriers qui ont créé les premières sociétés d'entraide mutuelle se soient préoccupés d'être bons. ILs se sont simplement rendus compte que dans un univers d'incertitude, une certaine forme de coopération est nécessaire pour mutualiser les risques et fournir à chacun une protection contre lesdits risques.
Quant à l'environnement, ma foi, l'intérêt bien compris de l'homme est la préservation de l'environnement. C'est le péhnomène économique que l'on appelle "tragédie des communs", accru par l'intervention étatique, qui est à la base de la majorité des problèmes de pollution actuels. Mais cela mérite un débat séparé.
Cette vision optimiste (mais aussi un peu fataliste) me laisse à penser que la nécessité de la liberté individuelle s'oppose à la nécessité de la solidarité. Ou plutôt, interroge celle-ci sur ses limites
Comme je le disais plus haut, il ne s'agit pas d'optimisme, mais de compréhension des mécanismes à l'origine des choix, ce que ludwig von Mises appelle la "praxéologie".
"La nature même de la pensée politique libertarienne est la suppression de toute planification."
Comment éduquer sans planifier ? Toute éducation est essentiellement "prospective" dans le sens où elle sous-tend une préparation à un projet humain (social, économique, spirituel, ...)Même dans une société où l'état se serait désengagé de l'éducation, les écoles auraient à fournir des critères explicites de performance (et qui doivent pouvoir être comparés) mais aussi le positionnement quant aux méthodes et aux finalités de leurs services. C'est la vision brouillée du futur qui conditionne les contenus, les méthodes... Et ce qui reste légitime c'est de pouvoir disposer de ce projet. Pour pouvoir faire un choix éclairé mais aussi pour pouvoir interroger la cohérence entre les méthodes utilisées et les objectifs. (et donc la "vérité" du discours)
Tout à fait. Quand je parlais d'absence de planification, je me suis mal exprimé. Il s'agissait d'absence de planification étatique centralisée. Les entreprises elles aussi planifient, comme vous le soulignez.
Par ailleurs, j'étais persuadé que les politiques éducatives actuelles, qui sont fortement marquées par la Nouvelle Gestion Publique, étaient empreintes de "néo-libéralisme".
Vous m'en voyez fort étonné. Le terme "néo-libéral" recouvre une réalité fort floue. Je n'ai jamais trouvé quelqu'un capable de m'en donner une définition cohérente. Il s'agit d'un terme-croquemitaine utilisé pour faire peur. L'essence de la pensée libérale puise toujours ses racines dans l'histoire, depuis les scholastiques espagnols jusqu'à Hayek et Mises, en passant par Condillac, Benjamin Constant, Frédéric Bastiat et bien d'autres.
Même l'anarchisme libéral se planifie non ?
La planification ne concerne que les individus ou les associations d'individus, non la "société" elle-même, sur laquelle personne ne dispose de pouvoir.
J'ai essayé de comprendre ce concept, mais les deux textes lus m'ont semblé très hermétiques. Pouvez-vous me proposer un texte qui vulgarise cela ?
Non, malheureusement.Je vous conseille la lecture de son ouvrage, "The Fatal Conceit", pour mieux comprendre de quoi il s'agit. Le livre a été publié en français sous le titre "La présomption fatale".
Le système actuel discrimine contre les pauvres, malgré les dénégations véhémentes des édiles. Et ce sont les politiques égalitaristes mises en place qui sont le catalyseur de cette discrimination."
Pouvez-vous exemplifier ? Et donner un contre-exemple ?
Prenez par exemple le système scolaire égalitariste français. La baisse de la qualité de l'enseignement est constante. Cependant, les familles aisées peuvent y échapper en ayant recours à des écoles privées spécialisées dans les cours de rattrapage ou les cours supplémentaires, comme Acadomia. Ces écoles sont privées, et ne sont pas gratuites, donc les pauvres en sont de facto exclus et doivent se contenter de l'enseignement étatique.
Ce qui me concerne en temps que "citoyen" attaché aux libertés individuelles, c'est que "l'enseignement est libre en Belgique". C'est un droit constitutionnel. Ce droit est tellement inscrit que une école relevant de la "pédagogie Steiner" a obtenu que ce décret soit révisé (Conseil d'Etat ou ...) pour que cette école puisse présenter ses propres socles de compétences... C'est cette liberté qui permet le financement d'écoles "alternatives" steiner, freinet, decroly, écoles "élitistes", sport-études, etc... Avez-vous des expériences libertariennes en ce sens ?
Pas à ma connaissance. Mais notez que le libertarianisme prône justement cela, la possibilité pour chacun de proposer un enseignement au public, lequel décidera ou non de mettre ses enfants dans l'école créée. Cela permettra sans nul doute un foisonnement de pédagogies alternatives, et donc une offre susceptible de faire face à la multiplicité des personnalités et des profils d'apprentissage.
Derrière cette question, je pose la question de l'implantation de la pensée "libérale anarchiste":comment envisage-t-elle la mise en oeuvre de son propre projet? Car enfin, même si l'on peu reprocher un fonctionnement bureaucratique, le système offre quand même des possibilités de "prise de pouvoir" énormes: conseils de participation, projets & plans d'établissement, aménagements des horaires, production de ses programmes (et socles ;+) voir même création d'une école alternative... Le problème est probablement le même pour des trotkystes ou des libertaires... Comment assurer l'accès à la conscience politique en restant dans le cadre démocratique même si j'en identifie (ou dénonce) les lacunes ? Ainsi, même si je postule que la suppression du statut de fonctionnaire et un paiement à la mesure des performances, indépendamment des problèmes techniques que ce nouveau statut induirait, provoquera une augmentation des performances (et de l'équité ?) du sytème éducatif, je ne peux accepter que ce postulat soit produit sur base d'une expertise ou des supputations... Comprenez-bien que ce n'est pas une critique propre à l'anarchisme libéral, mais me semble-t-il, une critique issue de la pensée anarchiste. Pas plus le libéralisme que le collectivisme ne peuvent se jauger en dehors d'un regard pragmatique d'un modèle (http://raforum.apinc.org/article.php3?id_article=3315), je ne peux donner les pleins pouvoir sur moi à une "transcendance" (fut-ce t-elle d'ordre économique ;+)
Pourtant, vous donnez les pleins pouvoirs sur vous à une transcendance politique en participant à une éducation étatisée ???
Le système actuel de rémunération indépendante de la performance et d'emploi à vie est une "prime à la paresse". Nous avons de la chance que beaucoup d'enseignants choisissent ce métier par vocation, et donc conservent une certaine motivation. Mais compter uniquement sur ceux-là me paraît un leurre. Car sur le long terme, et je le vois autour de moi, de nombreux enseignants motivés se découragent, notamment parce que les piètres performances des "glandeurs" ont un effet négatif sur leur propre travail. Si les enseignants qui m'ont précédé ont mal fait leur travail, je dois passer une partie de l'année à "rattraper la casse" plutôt qu'à avancer.
Le système libéral encourage sans doute plus la participation que ne peut le faire un système étatisé, parce que les parents, en tant que "clients", ont plus à dire. Par ailleurs, les écoles, en organisant elles-mêmes le recrutement d'une équipe pédagogique et en les rémunérant à la performance (qui peut être mesurée par des organismes externes, un peu comme le fait PISA), ont un plus grand contrôle sur leur offre.
Je critique donc davantage la nature et la forme du débat démocratique quant à l'état, mais aussi la conscience "politique" ou simplement citoyenne, quant aux acteurs. Si ceux-ci n'investissent pas les "zones de pouvoir" qui leur sont proposées, ils ne donnent aucun indice de l'attachement qu'ils pourraient avoir aux libertés et à l'autonomie professionnelle. Sur quoi dès lors fonder la légitimité d'un changement ?
J'aimerais que vous précisiez cette question. Parlez-vous des enseignants, ou de la société en général ?
Or, il me semble essentiel de comprendre que cette notion est viciée dès lors qu'il y a coercition étatique. La vraie solidarité, pour un libertarien, ne se conçoit que sur base volontaire.
Je crois que je comprends bien cette position. Mais elle implique que le principe de solidarité soit subordonné au principe de liberté. Parce qu'il le limite, soit. Mais elle l'exclut structurellement de son projet social, de son "essence"... Je crois comprendre qu'il ne s'agit pas d'une "opposition" au principe de solidarité, mais plutôt son exclusion au profit de principes supérieurs (liberté, propriété, par exemple).
C'est à ce niveau-là que se place la nécessité de se montrer solidaire vis-à-vis de ses semblables
Cette assertion en est l'expression: toute (sans relever d'une introspection psychanalitique ;+) solidarité n'a pas une dimension fonctionnelle ou utilitariste... Sans rentrer dans un romantisme bêeelant, on peut aussi considérer que la solidarité est identitaire chez l'homme (comme la liberté ou la propriété)et qu'ils sont indisciblement liés (donc ne peuvent être subordonnés l'un à l'autre...)
C'est une valeur, une opinion, vous pourrez sans doute me donner (comme moi d'ailleurs ;+) exemples et contre-exemples de cette absence d'identité... Mais là n'est pas le problème: le problème c'est que la revendication (ou non) de cette valeur me semble déterminante dans les méthodes et contenus d'un enseignement, ne fut-ce qu'en matière d'évaluations (critères et indicateurs)
Nous sommes donc bien, il me semble, dans la "praxéologie". Non ?
Ici, je rejoins votre position:Il s'agit d'un terme-croquemitaine utilisé pour faire peur. Le débat essentiel reste pour moi: Quelle est la vision (romantique, naturelle, élitiste, ...) de l'homme qui sous-tend un projet social ou éducatif ? Et notamment: Quelle est la place que vous accordez à la liberté, à la solidarité ? Cette tension est connue des anarchistes en matière de libertés par exemple et votre blog s'en est fait l'écho quant à la prohibition ou au rôle de la police...
L'absence de prise en compte cette question nous amène à voir comparer les résultats PISA de la Corée du Nord avec celle de la CFWB au simple regard des "performances"...
vous donnez les pleins pouvoirs sur vous à une transcendance politique en participant à une éducation étatisée
D'abord, nous participons tous, plus ou moins, à une éducation étatisée (en payant nos impôts, en enseignant, en mettant nos enfants à l'école, ...) C'est ce que j'appelle "négocier entre le compromis et la compromission" ;+)
Ensuite, et c'est aussi un élément de divergence..., le ton de certains de vos billets pourrait laisser croire:
1. Que l'éducation en CFWB est sous le contrôle total de l'état (ou en passe de le devenir)
2.Que ce contrôle s'exerce en collaboration avec un cadre aux procédures disons ;+) tyraniques...
Or ma thèse est toute différente:
1) Les garanties constitutionnelles et juridiques (pacte scolaire) offrent une grande liberté d'enseignement et de prise de pouvoir par les acteurs (de la révision des socles jusqu'à la création d'écoles)
2)l'animation pédagogique et la formation s'inscrivent, en partie (cad sauf si on est engagé dans le réseau de la CFWB), dans cette logique de "liberté pédagogique" parce que la nature même du mandat qui leur est confié en relève... Ainsi, une partie de mon travail consiste à limiter l'intervention du pouvoir central... dans la mesure où cette intervention touche à l'autonomie des po...
Rien de ma pratique ne relève du verbalisme (je ne "forme" à rien que je n'ai d'abord mis en place) et je suis attentif à limiter les "prises de pouvoir" que je pourrais avoir sur les gens (expertise, autorité, mais aussi séduction, manipulation, ...)
Je me considère donc "libre" dans ma fonction actuelle: je peux démissionner si les tâches proposées me semblent incompatibles avec mon mandat et/ou mes conceptions (et je suis déjà passé à l'acte) de la fonction, je peux enseigner un autre cours si j'accepte de devenir "temporaire prioritaire", je peux changer de po, si j'accepte de perdre mon ancienneté, je peux créer une école, changer de réseau, ou encore travailler comme formateur indépendant...
Je ne participe (et adhère pour certains points) à l'organisation étatique que dans la mesure où elle m'offre la possibilité de poursuivre les objectifs que je défends et qu'ils sont compatibles avec les mandats qui me sont confiés.
Ce que je cherchais à relever dans ce paragraphe:Derrière cette question, je pose la question de l'implantation de la pensée "libérale anarchiste"(...)je ne peux donner les pleins pouvoir sur moi à une "transcendance", c'est qu'il est difficile de discuter le projet s'il n'y a aucun lieu où il est mis en oeuvre malgré l'existence de libertés pédagogiques fortes... Les "gauchistes","les anarchistes libertaires",les jésuites, ... ont mis en oeuvre leur pensée dans des écoles (même pas "expérimentales" comme en France) qui fonctionnent, que je peux visiter, que je peux analyser... Cela ne semble pas être le cas pour l'anarchisme libéral. Cela réduit ma liberté d'adhésion dans la mesure où il ne s'agit que qu'un projet "formel" (ce qui ne réduit pas sa validité mais bien sa fiabilité).
Mais notez que le libertarianisme prône justement cela, la possibilité pour chacun de proposer un enseignement au public
Qu'elle le fasse alors... lorsqu'il y a discours sur "la différenciation" ou sur "l'égalité des chances", je ne me contente pas d'opiner du bonnet ;+) Soit l'expertise est là, expérimentée et validée (et j'ai encore l'occasion d'exercer mon jugement critique) soit ce n'est que supputations non opérationnelles et j'attends que ceux qui me gouvernent (comme ceux qui me conseillent) ne m'expliquent pas comment faire ce qu'ils ne font pas eux-même... C'est ce que j'apprécie dans vos billets critiques d'ailleurs... Mais quand on propose un changement de modèle, il faut être cru...(et cru dans une éthique anarchiste de la persuation)et à l'intérieur d'un débat démocratique...
Ces écoles sont privées, et ne sont pas gratuites, donc les pauvres en sont de facto exclus
Ceci vous amusera peut-être: lorsque j'ai eu à travailler sur l'"immersion", les syndicats étaient "réservés" (école pour "élites"), mais lorsqu'on regardait le paysage européen, on s'apercevait que là où l'enseignement "officiel" n'occupait pas le terrain, c'était le secteur privé qui l'occupait, exclusivement et avec les effets que vous citez.
Je défends donc une position intermédiaire (régulation par le système de l'état et non centralisatrice (toute immersion se fait dans le cadre de l'état)
"le recrutement d'une équipe pédagogique et en les rémunérant à la performance"
Encore une fois, je ne suis pas contre cette proposition. Mais, je voudrais aller plus loin: Qui décidera des critères de performance ? Seront-ce les résulats absolus ou relatifs (accroissements de performance) qui seront pris en compte? Si l'évaluation est décentralisée, comment comparer les résultats ? Si elle est centralisée, comment diminuer les effets de celles-ci sur la standardisation des méthodes et des contenus?, ...
Sur quoi dès lors fonder la légitimité d'un changement ?
La société en général mais dans ce cas, dans ce que je confronte: les enseignants... Si l'autonomie professionnelle et la liberté d'enseignement existent mais qu'elles sont peu investies par les acteurs, est-il légitime de se battre pour conserver (voire accroître celles-ci) ?
Plus directement: Quels sont les limites que vous définissez au débat démocratique pour atteindre vos objectifs...
D'un tout autre ordre: j'ai eu l'occasion de parcourir plus longuement votre site: plaisant et d'une grande indépendance d'esprit, ce qui fait plaisir à rencontrer (vraiment). Il n'est pas étonnant que vous ayiez eu quelques réactions... Sans commentaire puisque notre conception de la liberté d'expression semble identique.
En guise de conclusion (de ma part ;+)
Il semble bien que ce débat finisse ici... Je vous laisserai donc le soin de la conclusion (privilège de l'hôte) mais ne résiste pas à vous faire part de mon sentiment au terme de cette discussion...
Beaucoup de gens émettent des opinions ou des critiques sur les systèmes (l'éducation, la sécurité sociale, etc)... Certains, lorsqu'ils en ont le "pouvoir" se veulent initiateur d'un changement... C'est particulièrement le cas du monde politique en matière de système éducatif.
Quelques soient les idées émises (la réussite pour "tous", les "compétences", la "revalorisation" du technique et du professionnel, la "libéralisation" du marché de l'éducation...) elles ne trouvent valeur à mes yeux que dans la mesure où elles peuvent être défendues à travers les conditions de leur mise en oeuvre... En éducation, ce ne sont pas les "idées" qui manquent: tout le monde a son petit projet, sa façon de voir les choses, ses critiques à émettre, son "yaka" et "il suffide"... bien peu sont capables de dépasser le niveau de l'idée pour l'opérationnaliser dans un dispositif qui reste cohérent avec la nature de la critique et des valeurs dont ils se revendiquent.
Que vous soyez "de droite" et "anarchiste" ne me pose pas de problème: il semble bien que ce soient les mécanismes de marché qui aient permis d'atteindre le niveau de vie dont nous bénéficions, que, intrinséquement, la fonction de l'état limite la liberté indivividuelle, liberté à laquelle je tiens viscéralement...
Je n'ai cependant pas le sentiment que cette discussion a réduit les contradictions mises en évidence lors de mes différents commentaires:
- Comment conjuguer évaluation décentralisée et comparaison de performances ?
- Si il y a une vision libertarienne de l'éducation, pourquoi n'est-elle pas mise en oeuvre, même de façon expérimentale, dans la zone de liberté qu'offre le système d'enseignement en CFWB ?
-Quels sont les limites que vous définissez au débat démocratique pour atteindre vos objectifs ?
En d'autres termes, si je peux vous suivre dans la critique du système et de ses imperfections, l'absence de contre-propositions opérationnelles (libéraliser, ce n'est pas une proposition, c'est une idée...)me laisse largement insatisfait: trop de discours, de yaka, de critiques. Trop peu de mise en oeuvre, d'analyses pointues, de réponses aux questions posées...
Cà, tout le monde peut le faire... les partis le font, le gouvernement le fait, les chauffeurs de taxi également... "Avec la gauche vient la déception, disait Souchon, avec la droite vient... rien"
Rien.
Comme d'hab.
Jack
Bonjour Jack,
Désolé de vous avoir laissé aussi longtemps sans réponse, mon intention n'était pas de clore le débat. Ma triple vie d'enseignant/musicien/chroniqueur libéral m'a un peu dépassé ces dernières semaines. Je ne vous oublie cependant pas. Si vous m'envoyez un petit mail, je vous tiendrai au courant du moment où ma réponse sera publiée ici.
vous avez sûrement mieux à faire ;mais voilà! vous dérapez/ dans les limbes de l'inconsistance galactique,le vide total,le trou noir,le froid absolu.
rien vue,rien entendu,rien appris?
allez amusez vous ! et vive la liderté,la"démocratie"télévisuelle,la moule frite,et les escagots de bourgogne.net
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