4.10.05

La paresse

A l'université, mon professeur de physique avait l'habitude de répéter que la paresse était une bien grande qualité : c'est grâce à elle que de nombreuses inventions étaient nées pour faciliter la vie des hommes. Il avait cependant coutume d'ajouter que la paresse intellectuelle, par contre, devait partout et toujours être combattue.

C'est pourtant cette même paresse intellectuelle qui, me semble-t-il, domine la vie politique et les média en ce début de millénaire. Quand une publication aussi sérieuse que The Economist publie un éditorial dans lequel un journaliste affirme sans sourciller que le bilan économique du cyclone Katrina sera positif, il y a de quoi s'interroger sur le sérieux de cette publication. Quand un ministre belge prétend taxer le capital, tuant ainsi le seul aspect de notre économie qui peut attirer les investisseurs potentiels autrement effrayés par les rigidités de notre marché du travail et le coût prohibitif de la main d'oeuvre, on peut légitimement remettre en question les compétences de ses conseillers. Quand une publication qui se veut économique publie un éditorial appelant au nationalisme économique, il y a de quoi s'étonner. Qu'en l'espace de quelques jours à peine ces événements se suivent révèle pourtant une réalité inquiétante : il semblerait que nos édiles comme ceux qui commentent leurs actes succombent à la tentation de la facilité et cessent de faire fonctionner leur matière grise.

Certes, on peut ne pas s'en étonner. Bastiat lui-même, il y a plus de 150 ans, fustigeait déjà l'étroitesse de vues de ses contemporains, notamment dans son remarquable essai "La vitre cassée". La situation est cependant plus préoccupante actuellement que du temps de cet honnête homme. En effet, le vingtième siècle a vu la machine étatique accroître considérablement son emprise sur la vie quotidienne des individus. Que pour des raisons idéologiques, par manque de courage politique ou par paresse intellectuelle, les hommes qui en tirent les leviers se soucient comme d'une guigne des conséquences des actes qu'ils posent n'en est que plus inquiétant. Dans les discours des hommes politiques et les articles des média, l'émotionnel prend le pas sur le rationnel dans l'analyse des faits. Comment expliquer autrement que peu de temps après l'expérience désastreuse que fut la Prohibition aux Etats-Unis, les gouvernements des pays développés décident, comme si de rien n'était, de renouveler l'expérience avec le cannabis et l'opium, créant ainsi pour une mafia qui commençait à se demander comment négocier sa reconversion une opportunité unique d'utiliser les compétences acquises durant une décennie pour se lancer dans le trafic de drogue ? Certes, on peut déplorer les effets néfastes des drogues sur ceux qui en deviennent les victimes. Ce n'est que normal, et tout être humain peut ressentir de la compassion pour ces pauvres hères dont la vie est détruite par ce fléau. Mais pourquoi, alors que la Prohibition n'a su éradiquer l'alcoolisme, la nouvelle prohibition parviendrait-elle à éradiquer l'usage et l'abus de substances psychotropes ? Pourquoi, à peine une vingtaine d'années après avoir conclu que la "dangereuse invasion des automobiles japonaises" était inéluctable et qu'il valait mieux laisser les entreprises s'y adapter, recommencer à pousser les mêmes cris d'orfraie et à user de la même rhétorique mélodramatique pour fustiger "l'invasion du textile chinois" ? Ce dernier exemple est d'autant plus paradoxal que la tranquille révolution opérée durant la dernière décennie, la sous-traitance d'une part important des activités de fabrication de textile d'habillement dans les pays du Maghreb, principalement la Tunisie et le Maroc, a été totalement passée sous silence.

Que les politiciens prennent les citoyens pour des dupes et des ignorants n'a rien de neuf. Qu'ils n'aient pas le courage d'appeler un chat un chat et tentent, vaille que vaille, de cacher la patate chaude avant de la refiler à leurs successeurs ne peut plus étonner que les âmes crédules. Que les média, surtout en francophonie, se mettent, sans exercer une once d'esprit critique, à resservir les mêmes inepties dont les politiciens se servent pour dissimuler leur forfanterie a par contre de quoi inquiéter. S'agit-il de simple paresse intellectuelle ou faut-il y voir une collusion mortifère ? Quoi qu'il en soit, il est de la responsabilité de chacun de ne pas gober les inepties qu'on nous sert. Faute de quoi, le désastre économique qui s'annonce sera autant de notre responsabilité que de celles des politiciens et des journalistes.




5 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

Excellent...

5/10/05 19:12  
Anonymous Anonyme a écrit...

Il est étonnant que dans ton introduction tu dénonces le mouvement de désalphabétisation entreprise par l'Education Nationale et que dans l'introduction de ce post tu cites ton prof de fac.
Oublierais tu que si l'Education Nationale n'existait pas il n'y aurait pas d'ouvriers qualifiés pour faire tourner tes usines ? et que nombre de gens au potentiel exceptionnel seraient renvoyés à une vie de misère faute d'instruction ?

17/10/05 11:07  
Blogger Constantin a écrit...

Il existe d'excellentes universités privées, qui vous dit que mon "prof de fac" n'enseigne pas dans l'une d'elles ?

Si l'Education Nationale n'existait pas, il y aurait probablement plus d'ouvriers qualifiés que maintenant, puisque le vieux fantasme égalitaire socialiste fait que les dirigeants de l'EN tentent de faire en sore que tout le monde soit diplômé d'une fac et non détenteur d'un diplôme correspondant à ses capacités et à ses aspirations.

Maintenant, en-dehors de cela, je ne vois pas le rapport entre votre commentaire (anonyme) et le sujet de ce texte. Pourriez-vous m'éclairer ?

17/10/05 22:28  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je partage votre analyse. En revanche je serais tenté de conclure plutôt sur les conséquences des peurs qui hantent les gens en charge de responsabilités plus encore que celles de leur paresse.Peur de ne pas être réélu ou renommé, peur des conséquences éventuelles mal calculées de la mise en application d'une solution innovante(ah! la formidable trouvaille de trouillard que le "principe de précaution"!), peur de devoir mettre en jeu son estime de soi en s'écartant du politiquement correct et donc du "ventre mou" de la population que l'on prétend pourtant conduire...

22/10/05 19:47  
Blogger Constantin a écrit...

Hélas, le ver est dans le fruit. Il est illusoire de s'imaginer que les politiciens auront le courage de dire la vérité et de prendre les décisions qui s'imposent. Margaret Thatcher, que d'aucuns vilipendent en oubliant un peu vite que c'est elle qui a sorti le Royaume-Uni de la misère, est hélas une exception à la règle.

Le mieux serait sans aucun doute de supprimer l'Etat (refrain connu sur ce blog).

24/10/05 20:15  

Enregistrer un commentaire

<< Retour à l'accueil