2.9.05

Chronique du racisme ordinaire

Une de mes amies a été gâtée par la nature : ses yeux bleus et ses cheveux dorés ravissent le regard, et son humour et son caractère pétillant rendent sa conversation extrêmement plaisante. Hier, elle m'a annoncé à brûle-pourpoint qu'elle était passée chez le coiffeur pour se faire teindre les cheveux en brun. Les esprits ricaneurs auront déjà complété : "ha ha, une blonde qui se teint en brune, c'est de l'intelligence artificielle". Croyez-le ou non, mais c'est précisément les blagues sur les blondes qui sont à l'origine de sa décision : lassée d'entendre ces blagues fleurir autout d'elle à chaque fois qu'elle apparaît quelque part, elle a décidé de tenter un anonymat capillaire qu'elle espère salutaire.

Quelqu'un s'est-il déjà interrogé sur les raisons de la popularité des blagues sur les blondes ? Ma théorie sur le sujet rejoint celle de l'éminent humoriste Pierre Desproges sur les blagues belges. Voici ce que disait le maître :

"Pourquoi les Belges prêtent-ils à rire ? Autrement dit, pourquoi diable et comment se fait-il donc que les belges soient la cible des amuseurs avinés de fins de banquets ruraux ? Dans son livre Comment vivre heureux en attendant la mort, le Pr Léon Métastasenberg, président de la ligue pour le racisme sauf l'antisémitisme (LICA), émet une hypothèse fort séduisante, certes, mais moins que ma belle-soeur Fabienne dont la peau dorée à peine duvetée de blond sur l'arrondi de l'épaule, me donne envie de mordre dedans pour assouvir le désir éclatant que j'ai d'elle quand l'air chaud de foin coupé s'exhale au crépuscule de juillet. De juillet de l'année dernière. Cette année, on se gèle les couilles. Selon Léon Métastasenberg, le Belge prête à rire parce qu'il est blanc, ce qui permet aux comiques chafouins de se gausser à ses dépens sans encourir les foudres des diveres associations pour la défense de la dignité des Bougnoules."

La blonde, c'est le Belge du XXIème siècle. D'abord parce qu'il y a des blondes belges, ce qui permet à ces derniers d'avoir également leur tête de Turc (que les Turcs présents dans la salle veuillent bien me passer cette expression qui ne sert nullement à dénigrer leur culture que je trouve admirable). Ensuite, parce que vingt-cinq ans ont passé depuis l'âge d'or des humoristes français, l'époque où Desproges, Le Luron et Coluche sévissaient ensemble sur les ondes et dans les salles de spectacle. Durant ce quart de siècle, la chape de plomb de la censure des bien-pensants s'est apesantie sur la société. Les lois violant la liberté d'expression qui ont été votées en France et en Belgique - ces lois qui visent à punir l'expression de propos racistes, antisémites ou homophobes - et la mode du politiquement correct importée des USA au mépris de toute politique d'exception culturelle ont profondément transformé les mentalités. Plus personne, à part sans doute les abrutis du Front National, n'ose raconter de blagues sur les juifs, sur les arabes ou les noirs. Est-ce réellement un bien ? Cela a-t-il fait reculer le racisme ? A voir l'inexorable montée des partis d'extrême-droite en francophonie continentale, il est permis d'en douter. Et rien n'est plus logique.

Une des fonctions de l'humour est en effet, à mon sens, de dédramatiser les situations, de faciliter l'intégration de nouveaux faits dans l'image que nous avons de la société, d'exorciser les peurs. Souvent, il sert aussi de soupape à la frustration vécue par une population. De nombreuses blagues sur les difficiles conditions de vie circulaient en Europe de l'Est avant la chute du mur. Un humour parfois grinçant, et parfois difficile à apprécier pour quelqu'un qui n'a pas vécu du mauvais côté du rideau de fer. Les blagues "racistes", à mon sens, ont joué un rôle important dans l'acceptation de la réalité de l'immigration du dernier demi-siècle. Les blagues sur les Italiens qui circulaient en Belgique dans les années soixante et septante ont peu à peu fait place aux blagues sur les maghrébins. Leur succès à l'époque faisait-il de la population une bande de honteux racistes ? Non. Que du contraire, suis-je même tenté d'affirmer, ces blagues permettaient d'évacuer une partie de la tension causée par la différence et la crainte que celle-ci inspirait. Le propre de l'humour des blagues raciales est de forcer le trait, de jouer sur les stéréotypes. Ce faisant, il permet de souligner, puis d'accepter et d'intégrer la différence. Les blagues sur les homosexuels ont joué le même rôle. Qui a plus de trente ans et n'a jamais raconté ce genre de blague ? Preque personne, j'en prends le pari. Cela fait-il des trentenaires une bande d'abominables racistes homophobes ? Non, car la majorité des gens savaient prendre les choses au second degré, faire la part des choses entre l'humour et la réalité.

Quand Patrick Timsit, dans un grand moment de génie humoristique, affirmait que "les trisomiques, c'est comme les crevettes, tout est bon sauf la tête", avait-il en tête de déprécier ces pauvres gens ? Bien sûr que non, son propos se voulait humoristique. Il jouait sur la gêne que chacun ressent quand il croise un mongolien ou un handicapé mental. Cette gêne n'est pas causée par la haine ou le mépris, mais par le caractère insolite de la situation, et le fait de ne pas savoir comment se comporter pour signaler qu'on a reconnu et accepté la différence, et qu'on ne sait pas comment se comporter "normalement" vis-à-vis de l'autre. Rire du mot d'esprit de Timsit n'est pas le signe de la méchanceté, mais de la reconnaissance de cette gêne qui précisément fonde la blague. Comme les blagues sur les 11 semptembre, sur le tsunami témoignent du choc émotionnel suscité par ces événements. Comme les médecins, militaires, pompiers, ambulanciers, échangent de macabres (nous semble-t-il) plaisanteries sur leur quotidien. Tout cela a pour but de dédramatiser, de souligner l'absurdité apparente du monde, de reconnaître et de dépasser les stéréotypes, ou bien de soulager la tension ou la frustration.

Et c'est là que les blagues sur les blondes sont fondamentalement différentes. On ne retrouve plus derrière ces tendances salutaires. Mon amie me le faisait fort pertinemment remarquer : personne, à part les rustres et les malpolis, n'aurait l'indécence de raconter une blague sur les noirs en présence d'un noir. Ou alors seulement s'il connaît la personne et sait que celle-ci ne le prendra pas en mauvaise part. Par contre, personne n'hésite à lâcher une blague sur les blondes en présence d'une blonde. Au contraire, même, certains prennent même un plaisir sadique à raconter aux blondes et à elles seules des blagues éculées dont le seul point commun est de se gausser des blondes.

En devenant en apparence plus respectueuse, notre société a cristallisé toutes ces frustrations désormais inexprimées en une méchanceté gratuite à l'égard des blondes. Le "politiquement correct" voulait modeler la société pour la rendre plus civilisée. Sous ce vernis de respectabilité, la réalité a pris une nature beaucoup plus malveillante. Le même mécanisme est à l'oeuvre sous le discours qui abuse des mots "citoyenneté" et "solidarité". Ce n'est sans doute qu'une question de temps avant que les "égoïstes" ne soient livrés à la vindicte populaire.




11 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

Votre post m’a fait penser au combat qu’à mené Aimé Césaire, « le chantre de la « négritude » » (pour citer Wikipédia) qui correspond à « "l'ensemble des valeurs culturelles de l'Afrique noire" d'après Senghor ».
Même si Aimé Césaire a fini par rejeter cette terminologie, elle fut récupérée par ses héritiers, conscients ou non, pour désamorcer et neutraliser les discours racistes. Bref c’est justement quand les cibles du racisme se sont appropriées le vocabulaire raciste pour en faire usage à outrance, que selon moi le plus grand pas dans la lutte anti-raciste a été franchi, au moins sur le terrain du langage. Les mots cessaient d’être blessant et perdaient ainsi leur pouvoir. Toutefois, il aura quand même fallu attendre les années 90 pour que le phénomène se popularise définitivement : Je pense à la petite phrase prononcée dans le Loft (le 1er sur M6), qui avait fait tant de bruit…
Peut-être reste il aux blondes à définir leur « négritude »… ;)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Aim%C3%A9_C%C3%A9saire

2/9/05 21:00  
Blogger Constantin a écrit...

L'important à mon sens n'est pas la nécessité de définir une "blonditude", mais plutôt d'arrêter ce mouvement constructiviste qui veut construire une société gentille et policée et qui n'aboutit qu'à créer une jungle hypocrite.

3/9/05 09:49  
Anonymous Anonyme a écrit...

Preuve du caractère politiquement correct de la chose : l'existence d'un groupe appelé 4 Non Blondes.
Imaginez vous un groupe appelé "4 Non Noirs" ?

3/9/05 10:10  
Blogger Constantin a écrit...

Je voudrais partager votre optimiste. Mais hélas les visées constructivistes ont généralement l'effet contraire de celui qu'on en attend. Je vous rappelle que malgré les lois interdisant les propos racistes, antisémites ou xénophobes, l'extrême-droite ne cesse de voir ses résultats augmenter lors des élections, que ce soit en France ou en Belgique.

Les blagues racistes ont une fonction d'exutoire, comme je l'indiquais dans le texte : elles permettent d'évacuer certaines frustrations, d'alléger des tensions. Supprimez cet exutoire et, sous des dehors policés, vous obtenez une société de plus en plus intolérante. Et si cette intolérance ne s'exprime pas vis-à-vis de sa cible d'origine, elle s'exprimera autrement. Il suffit de voir la haine de tout ce qui est étiqueté "néolibéral" ou "ultralibéral", la répression dont souffrent ceux qui osent dire qu'ils réprouvent l'homosexualité, bref la dictature exercée par la nouvelle pensée unique, la pensée citoyenne, solidaire et durable, pour s'inquiéter.

Votre question sur les stéréotypes reste cependant intéressante. Mais c'est l'histoire de l'oeuf et de la poule : les blagues racistes renforcent-elles les stéréotypes et contribuent-elles à les banaliser, ou bien est-ce le caractère répandu desdits stéréotypes qui les rend utilisables dans une blague ?

5/9/05 15:59  
Blogger Constantin a écrit...

Le problème est que le raisonnement a lieu a deux niveaux simultanément : par catégories (les noirs) et par individus (mon voisin Mamadou). Si les stéréotypes et les blagues s'appliquent aux catégories, ce sont les individus qui en pâtissent. Chacun, comme vous le signalez, réagit à sa manière à la situation à laquelle il est confronté. L'une est-elle meilleure que l'autre ? Cela dépend de l'individu, de son propre vécu, de son environnement social et familial, et cetera.

Pour en revenir aux blagues racistes, rien ne vous empêche évidemment de faire remarquer au type qui les raconte que cela ne vous plaît pas, je n'ai jamais voulu prôner le contraire. Mais j'ai un problème avec cette dictature du politiquement correct qui amène à des excès comme le procès fait à Patrick Timsit.

Ce qui me pose problème aussi c'est cette volonté constructiviste qui consiste à vouloir à tout prix "lisser" les choses pour que tout apparaisse joli et poli. En psychologie, une des règles élémentaires est que ce qui est "refoulé" finit par ressortir à un moment ou à un autre d'une manière beaucoup plus désagréable. L'humour, par son rôle de défouloir, permettait d'évacuer les frustrations. A présent, elles sont refoulées, et c'est à mon sens beaucoup plus dangereux. Je ne prétends évidemment pas que c'est le politiquement correct et lui seul qui cause les problèmes de racisme dans notre société. Mais par contre, j'affirme qu'il contribue à maintenir ces problèmes parce qu'il bloque les relâchement de tension que permet l'humour.

6/9/05 12:03  
Blogger Constantin a écrit...

A Patrick encore :

"Mais faut-il s'empêcher de réagir quand on entend un propos que l'on trouve haineux, dénigrant, raciste? Faut-il s'empêcher de faire remarquer à cette personne que l'on trouve son propos haineux, déplacé et bien souvent stupide, et d'entamer une discussion? "

Bien sûr que non. Etre raciste, c'est être stupide et haineux et avoir peur de la différence, et les propos racistes doivent être combattus. Mais comme vous le dites, cela doit se faire par la discussion. Ou est la possibilité de discussion quand l'un des interlocuteurs sait que ses propos pourraient être sanctionnés ? Là aussi, les lois sur les propos racistes, antisémites et homophobes, non contentes de constituer une atteinte à la liberté d'expression, sont surtout un facteur de blocage dans la lutte contre le racisme. Si l'expression d'opinions racistes devient "underground", où est la possibilité de confronter ceux qui ont ce discours et de démontrer que leurs idées sont fausses ?

6/9/05 12:08  
Anonymous Anonyme a écrit...

Cher ami,

Car oui, malgré votre ostensible belgitude, je vous condière déjà tel un ami. Il est toujours troublant de constater que les grands esprits finissent toujours par me rencontrer. Aussi, je tiens à rendre hommage à ce texte magnifique dans lequel je décèle de violents échos à un de mes humbles écrits que j'aimerais vous soumettre ici-même.
En vous remerciant de nouveau et au plaisir de vous relire.

6/9/05 13:42  
Anonymous Anonyme a écrit...

A noter qu'en réaction à ce phénomène, il existe également un petit nombre de blague qui se moque des gens qui racontent des blagues sur les blondes.

6/9/05 18:42  
Blogger Constantin a écrit...

Merci cher Panda, j'ai beaucoup aimé votre chronique. Particulièrement ce petit morceau-là :

"Chacun peut donc goûter sans risque à la joie de proférer une blague discriminante en présence de ladite personne discriminée, recevant au pire des cas une tape (molle) sur l'épaule de la part d'une blonde faussement outrée accompagné d'un "roh, t'es trop con/conne, toi, muf muf (rire étouffé)". En comparaison, raconter une blague sur les arabes en présence d'une vingtaine de rappeurs de la banlieue du coin relève déjà plus le niveau du challenge. "

7/9/05 00:22  
Anonymous Anonyme a écrit...

Voilà qu'on me cite, je vais rougir. Merci de vous être attardé par chez moi, cher ami.

7/9/05 16:50  
Anonymous Anonyme a écrit...

Allons bon, moi je continue à raconter des blagues sur les noirs, les arabes ou les pd.

Par contre les Belges blondes on y touche pas, faudrait voir à pas déconner.

(Mauvaise) blague à part, je tenais à te dire que je te soutiens totalement dans ta théorie sur les blagues comme exutoire, défouloir, passoire et tous ces mots en -oir (on pourrait en faire un poème tiens... ah nan, Baudelaire l'a déjà fait! (vous chercherez, bande d'incultes.)).
Je vais plus loin en affirmant que ceux qui n'osent pas faire de blagues de mauvais gout, racistes, homophobes ou humainement execrables, sont tous des racistes qui s'ignorent, et se cachent derrière des dehors politiquement corrects. (d'ailleur les connars du FN doivent être les derniers à faire des blagues racistes, bien trop occupés qu'ils sont à se préoccuper de leur image et à créer des formules "lights" pour faire passer leurs pensées dégeulasses.)

11/5/06 18:13  

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