14.5.03

La dictature des bien-pensants



Il y a quelques jours, au cours d’un débat passionné avec quelques libéraux engagés, le problème du racisme fut mis sur la table. Non qu’il y ait quelques divergences que ce fût au sujet du racisme en tant qu’opinion, que nous condamnions tous avec véhémence. Si divergences il y eut, c’est au cours du débat sur l’immigration qui s’ensuivit qu’elles apparurent. Ces saines différences alimentèrent d’ailleurs une discussion des plus animées et des plus instructives et inspirèrent à mon estimé ami Melodius deux chroniques d’un grand intérêt. Mais ce n’est pas de cela que je souhaitais vous entretenir aujourd’hui.

Vous savez, je suppose, que la France et la Belgique se sont dotées chacune d’une loi sur les propos racistes au cours de la dernière législature. Ce sont ces dernières, et le pseudo-débat qui entoura leur vote, qui me restent depuis longtemps en travers de la gorge, car quand une prétendue démocratie se met à transcrire dans son arsenal législatif des textes instituant le délit d’opinion avec la bénédiction imbécile des masses, j’entends au loin des bruits de bottes peu rassurants.

Fus-je à l’époque le seul à les entendre ? J’ai été rassuré d’apprendre qu’il n’en était rien, et que quelques libéraux de bon aloi avaient tiré la même conclusion que moi. Mais tous se heurtèrent à ce que j’appellerai la dictature des bien-pensants . Invariablement, les partisans de cette loi taxaient de racisme quiconque osait, fût-ce timidement, dénoncer l’atteinte à la liberté d’expression qu’elle constituait, comme si le fait de défendre le droit pour chacun d’exprimer son opinion impliquait nécessairement que l’on soit d’accord avec celle-ci. Inutile de contrer avec la célèbre phrase attribuée - apparemment injustement - à Voltaire, « je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire», le mal était fait et l’étiquette « raciste » vous était collée sur le front avec une hâte et une mesquinerie qui ne laissèrent pas de me laisser pantois et rageur.

Je persiste cependant dans mon jugement. Même si le racisme est détestable, voter une loi visant à réprimer les propos racistes est un danger pour la démocratie, car une telle loi ne peut que donner lieu à terme à toutes les dérives totalitaires. La préparation de cette chronique m’a d’ailleurs offert l’occasion de relire la dernière modification de cette loi et j’ai à nouveau été étreint des mêmes frissons appréhensifs.


Le paragraphe 4 de l’article 2, stipule notamment que toute discrimination directe ou indirecte est interdite, lorsqu’elle porte sur, entre autres, la diffusion, la publication ou l’exposition en public d’un texte, d’un avis, d’un signe ou de tout autre support comportant une discrimination (la discrimination étant définie par l’article 1 comme une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondée sur le sexe, une prétendue race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, l’âge, la conviction religieuse ou philosophique, l’état de santé actuel ou futur, un handicap ou une caractéristique physique). Cette définition très vague laisse la porte ouverte à toutes les interprétations, et est d’autant plus inquiétante que le paragraphe 3 de l’article 19 institue un renversement de la charge de la preuve : lorsque la victime de la discrimination ou un des groupements visés à l'article 31 de la loi (voir plus loin) invoque devant la juridiction compétente des faits, tels que des données statistiques ou des tests de situation, qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, la charge de la preuve de l'absence de discrimination incombe à la partie défenderesse. L’article 31 dont il est question donne au Centre pour l’Egalité des Chances et à n’importe quelle autre association dont la mission statutaire est de lutter contre les inégalités, le racisme ou le révisionnisme, le pouvoir d’ester en justice. En clair, donc, le Centre pour l’Egalité des Chances se voit conférer des pouvoirs normalement dévolus à la police et aux magistrats. Ca ne vous fait pas peur, vous ?