We don't need no education
Une salle de classe anonyme quelque part dans une école de la capitale. C’est le jour de la visite des parents, et une dame d’une quarantaine d’années discute avec un professeur de l’absentéisme et des résultats désastreux de son rejeton. Lorsqu’elle apprend que ce dernier « brosse » régulièrement les cours, elle rétorque : « C’est votre rôle d’apprendre à mon fils à respecter la discipline ! ». Plus tard, elle confiera à un autre enseignant que c’est parce que le corps professoral est trop jeune que son fils ne se sent pas tenu de lui témoigner un quelconque respect. Avant d’expliquer le plus sérieusement du monde que si ce brave garçon arrive systématiquement deux ou trois heures en retard le matin c’est parce qu’il passe trop de temps dans la salle de bains à se coiffer … L’anecdote prête à rire, mais elle ne représente que trop bien l’état d’esprit de nombreux parents d’élèves de nos jours. Loin de soutenir l’effort pédagogique des enseignants, les parents entreprennent souvent un travail de sape, minant les fragiles fondations que l’école tente d’ériger. Face à une telle attitude, comment s’étonner du taux d’échec grandissant dans l’enseignement supérieur ?
Personne aujourd’hui n’aurait l’idée de contester que l’enseignement secondaire est engagé dans une mauvaise voie. Pour savoir comment en sortir, il importe non seulement de dresser la liste des incohérences qui rendent le système actuel aussi inefficace, mais aussi de rechercher les atouts sur lesquels s’appuyer pour construire un avenir qui rende enfin à l’école le rôle qu’elle était destinée à jouer : former de jeunes esprits, leur insuffler la joie de l’apprentissage et de la découverte, parfaire leur sens civique et les aider à découvrir ce qui sera leur futur métier. C’est à cette analyse que seront consacrées les prochaines chroniques « enseignement » de ce petit coin de toile.
Mais avant de nous intéresser au système proprement dit, il me paraît primordial d’insister sur le rôle crucial que jouent les parents au sein du système éducatif. Car les enseignants les plus motivés et les systèmes pédagogiques les plus élaborés ne pourront rien changer si le soutien parental fait défaut. Quand le travail des enseignants est systématiquement critiqué par les parents, quand les décisions d’un conseil de classe font d’office l’objet de recours, quand enfin on délègue aux enseignants des responsabilités parentales comme par exemple celle d’apprendre aux enfants à respecter les règles de savoir-vivre élémentaire et à assumer les conséquences de leur comportement lorsqu’ils enfreignent les règles en vigueur dans l’établissement, il est impossible à l’enseignant d’assurer sa principale mission, qui est d’enseigner. Au lieu de cela, il se retrouve dans le rôle particulièrement inconfortable de parent de substitution, ou plus exactement de figure d’autorité. Parce que les parents ne savent plus dire « non » à leur progéniture, c’est à l’enseignant, bien malgré lui, d’assumer cette nouvelle responsabilité, ne fût-ce que parce que sans cela il est impossible de créer un climat propice à l’apprentissage dans la classe. Conséquence logique de ce nouvel effort, la quantité de matière abordée diminue, et il devient impossible de consacrer à chaque chapitre le temps nécessaire pour que le contenu soit réellement assimilé et intégré par les élèves. Cette superficialité, qui contente les inspecteurs bercés de l’illusion que « le programme a été vu », a bien entendu des conséquences désastreuses : les étudiants sont dépourvus de tout bagage intellectuel, et il n’est pas rare – je le vis chaque année avec un étonnement renouvelé – de rencontrer des élèves incapables, en sixième année de l’enseignement professionnel, de procéder à une simple « règle de trois ». Et qu’on ne vienne pas me dire que cela ne leur servira pas dans leur futur métier ! L’enseignement professionnel peut – et devrait – former les ouvriers qualifiés dont notre économie manque cruellement. Le terme « qualifié » parle de lui-même : il s’agit de former des ouvriers autonomes, en pleine possession de leur spécialité, capables de prendre des initiatives et de se distinguer ainsi du simple manœuvre.
Malheureusement, le temps consacré par le personnel pédagogique de l’école à simplement faire prendre conscience aux élèves de l’existence de règles de savoir-vivre qui permettent de vivre harmonieusement en société ne permet plus de s’assurer que les nouveaux outils de raisonnement ou d’apprentissage présentés aux élèves soient réellement « fixés » dans leurs esprits. Comment s’étonner dès lors que de nombreux enseignants, démotivés, démoralisés, se cantonnent dans l’exécution à la lettre de leurs obligations contractuelles ou statutaires, en l’occurrence s’assurer que les contenus prévus par le programme aient été « vus » par les élèves : les guillemets sont là pour nous rappeler à quel point l’expression est littérale, car les « apprenants » ne font alors guère plus que poser les yeux sur le tableau, voire sur leur cahier dans le meilleur des cas, pour ensuite s’empresser d’oublier ce qui a été appris.
Vous trouverez peut-être que le tableau que je vous brosse semble fort sombre. Il est vrai que j’exerce mon métier au sein d’un de ces établissements « difficiles » qui accueillent une population qui, si elle ne se livre que très rarement à des actes de violence, n’en est pas moins rétive à toute forme de transmission du savoir. J’ai cependant la ferme conviction que le problème est présent partout, même s’il se manifeste de façon différente. Pour que l’enseignant puisse enfin reprendre son vrai rôle, il importe que les parents prennent enfin conscience de leur responsabilité dans l’éducation de leurs enfants. C’est seulement à cette condition que l’enseignement pourra entreprendre de se réformer. Sans cela, toute tentative de réforme sera impitoyablement vouée à l’échec.
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