Le besoin d'intervention étatique (II)
Rappelez-vous, chers lecteurs, la douceur maternelle de votre enfance. Cette sensation d'être entouré d'amour, protégé, choyé, alors que nous faisions nos premiers pas ou tentions d'utiliser correctement une fourchette. A chaque étape de notre vie d'enfant, notre mère était là pour nous guider, nous entourer. Pour nous protéger contre nous-mêmes aussi. Par exemple nous empêcher de toucher la porte du four ou de rouler a vélo sans les mains. Ce qui n'a d'ailleurs pas évité bon nombre d'entre nous de se brûler à ladite porte ou de constater que la rencontre entre notre menton et l'asphalte de la rue peut être douloureuse. Heureusement, la douceur maternelle avait tôt fait de remédier aux petits bobos de notre enfance, et les reproches qu'elle nous faisait à mi-voix trahissaient souvent le fait qu'elle nous avait déjà pardonnés. Heureusement, et probablement grâce à ces tendres attentions, nous avons grandi. Entourés de l'affection parentale, nous avons appris à faire seuls nos choix, et à en assumer les conséquences. Par essais et erreurs, nous avons construit notre vie et notre mentalité d'adultes responsables. Est-ce une réminiscence de cette bienheureuse période de l'enfance qui pousse certains d'entre nous à une plus grande dépendance envers l'Etat ?
"Il faut faire le bien des gens malgré eux", me disait il y a quelques années un collectiviste de ma connaissance, tout imprégné du sentiment d'être investi d'une mission quasi-divine. Depuis une dizaine d'années - sinon plus - l'Etat semble avoir fait sienne cette philosophie. Avec pour résultat une kyrielle de lois et de réglements destinés à protéger le citoyen contre les conséquences de ses propres maladresses. L'intention est louable, mais l'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ? Pêle-mêle, nous trouvons parmi ces règles l'obligation d'attacher sa ceinture de sécurité, les sécurités obligatoires sur les prises de courant (pour éviter qu'un gamin maladroit n'y introduise un quelconque objet et ne s'y électrocute), l'obligation d'asseoir les enfants de moins de douze à l'arrière du véhicule, éventuellement à l'aide de sièges spéciaux, les lois sur le surendettement, l'obligation d'assurer son véhicule en responsabilité civile, l'obligation pour le commerçant de faire la preuve de ses connaissances en gestion. Un dénominateur commun : éviter que la maladresse ou la négligence du citoyen lambda ne le mette dans une situation périlleuse.
Le problème est que toutes ces lois ratent entièrement ou partiellement leurs objectifs, imposent des obligations inutiles à certaines catégories de citoyens, ou ne sont tout simplement pas respectées. Il ne se passe par exemple pas une semaine sans que je ne voie une voiture dans laquelle une mère, assise à côté du conducteur, tient son bambin sur les genoux; la preuve des connaissances de gestion peut être apportée par un diplôme dont tous les acteurs de terrain savent qu'il ne garantit nullement que le commerçant sache réellement gérer son affaire; dopées par l'obligation que le conducteur a d'assurer son véhicule, les compagnies d'assurances se comportent en véritale cartel de prix, forçant certains conducteurs impécunieux à rouler sans assurance; la peur d'une augmentation de la prime d'assurance en cas de sinistre augmente le nombre de délits de fuite; les célibataires ou les couples sans enfant se battent pour enfoncer la fiche de leur appareil électrique dans ces démoniaques prises "de sécurité"; je m'arrête là.
Laissons sur le côté le problème de l'inefficacité et des effets pervers inhérents à l'intervention étatique, il ne s'agit pas à mon avis d'un argument propre à convaincre les partisans de l'Etat-Parent de cesser de réclamer à cor et à cris de nouvelles lois destinées à les protéger contre eux-mêmes. Il me semble par contre utile d'insister sur l'autre raison pour laquelle toutes les lois protectrices du monde ne parviendront pas à atteindre leurs objectifs. De même qu'à l'âge des culottes courtes et des carambars l'enfant se croit invulnérable et transgresse allègrement les interdits parentaux, les citoyens surprotégés n'hésitent pas à braver la législation et à n'en faire qu'à leur tête. Il suffit de regarder au carrefour le nombre d'automobilistes qui téléphonent, le GSM coincé entre la tête et l'épaule, alors que le kit "mains libres" est obligatoire depuis plus d'un an. Et d'ailleurs, bouclez-vous toujours votre ceinture de sécurité lorsque vous êtes assis à l'arrière d'un véhicule ? A moins de mettre un policier verbalisateur à chaque coin de rue, ou d'instaurer des contrôles à domicile dignes de la bande dessinée S.O.S Bonheur, ces lois ne seront jamais respectées. La nature humaine est ainsi faite. Croire que l'Etat peut changer cette nature relève de la superstition.
6 Commentaires:
De fait, l'analogie existe depuis déjà un bon bout de temps.
A titre d'anecdote, je me rappelle d'un livre de vulgarisation sur la psychologie, "Life and how to survive it", par Robin Skynner et ... John Cleese (paru au début des années 90).
Dans l'un des chapitres, les auteurs analysent l'Etat sous l'angle de la psychologie et font la différente entre un Etat "paternel" et un Etat "maternel", le premier étant caractérisé par un grnad nombre d'interdits et le second par une sécurité sociale étendue. Conservateur et socialiste, quoi ...
Bravo pour ton analyse !
Le rôle d'une mère, et d'un père évidemment, est d'apprendre à son enfant la responsabilité. Un enfant bien élevé deviendra un adulte responsable. Or l'Etat, en usurpant ce rôle maternel et éducatif, sabote ce comportement: il entame un processus de déresponsabilisation et, partant, de décivilisation. Il est d'ailleurs frappant que cette infantilisation croissante s'opère sous le couvert d'arguments détournés: les hommes de l'Etat ne cessent de marteler qu'il faut "responsabiliser les individus"... en les empêchant d'agir en adultes rationnels (ex: la sécurité routière ou domestique).
Je n'avais pas songé à cet aspect du discours étatiste. C'est d'autant plus intéressant qu'on assiste également à un double discours dans le cas de la prohibition (les effets de l'interdiction sont attribués à la substance et non à l'interdiction). Je ne manquerai pas de prêter attention à cet aspect dans les prochaines chroniques sur l'intervention étatique. Je ne serais pas surpris de découvrir à chaque fois une nouvelle forme de double discours.
L'Etat, cause première du spleen occidental ? Voilà un autre sujet à approfondir.
Il y a quelque temps, tentant d'expliquer ma position à un avocat convaincu de l'intervention étatique - enfin, quand celle-ci va de le sens de ses croyances et de ses comportements - je me suis dit que la nature même de l'homme, ce qui le différencie de l'animal, est son caractère moral. L'Homme définit un Bien et un Mal et est capable de faire la différence entre les deux. L'essence même de la nature humaine consiste donc en cette capacité de choisir à chaque instant entre le Bien et le Mal. L'intervention de l'Etat dans le domaine moral (sujet de ma prochaine chronique)le prive de cette caractéristique essentielle. A mon avis, voici une deuxième cause de ce malaise que vous décrivez.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Tout à fait. La suppression du libre arbitre par les lois "morales" est une négation de la nature humaine. Si l'on y ajoute la déresponsabilisation croissante de l'individu due au discours des hommes de l'Etat, rien d'étonnant à cette violence rentrée dontparlait MichelJP.
Enregistrer un commentaire
<< Retour à l'accueil