15.5.05

Les chiffres, mon bon monsieur, ...

Un rapide coup d'oeil aux statistiques officielles nous apprend que le taux de chômage en Belgique est de 12,7%. C'est, soit dit en passant, plus du double du taux de chômage aux USA (5,2%) ou au Royaume-Uni (4,8%), et largement au-dessus de la moyenne européenne, qui est de 8,9%, mais là n'est pas le propos aujourd'hui. Vous êtes-vous déjà demandé, cher lecteur, ce que signifiait exactement la phrase : "le taux de chômage est de 12,7%" ? Pour commencer, à quoi se réfère-t-on ? Quelle est la grandeur dont le taux de chômage représente 12,7% ? Et que compte-t-on dans les 12,7% ? Répondre à ces questions, c'est entrer dans le labyrinthe déconcertant de la statistique officielle, où le flou artistiquement entretenu et le détournement de concept règnent en maîtres absolus, ou plutôt en contremaîtres loyaux de la propagande étatiste.

Curieusement pourtant, la réponse à la question peut être en partie découverte dans les tableaux publiés par le "Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation Sociale". A condition cependant de garder un oeil critique et de savoir ce que l'on cherche. Un coup d'oeil au cinquième tableau disponible dans les mises à jour statistiques du 19 avril 2005 nous fournira alors une première moisson de renseignements. Prenons tout d'abord le titre : "Evolution des différentes catégories d'inoccupés". Voilà qui est déjà fort intéressant : si, comme on peut le supposer, "inoccupé" signifie "actuellement sans emploi", cela indiquerait-il que les chômeurs ne représentent qu'une partie de la population des sans-emploi ? La réponse se trouve dans le tableau.

La population des "inoccupés" y est divisée en deux grandes catégories : les "demandeurs d'emploi" et les "non-demandeurs d'emploi". Les "non-demandeurs" d'emploi sont répartis en trois catégories :

- les bénéficiaires de "prépensions conventionnelles" : voilà déjà une trouvaille intéressante. Le petit fouineur découvrira en effet rapidement que la "prépension conventionnelle" est un des outils de la subsidiation par l'Etat des licenciements collectifs en cas de restructuration ou de faillite d'entreprise. Pour éviter trop de "licenciements secs", mauvais pour l'image de marque (et le portefeuille) de l'entreprise, et, surtout, pour les chiffres du chômage, les entreprises en difficultés "prépensionnent" plutôt que de licencier. Cela se fait par le biais d'une "convention collective" conclue entre les syndicats et la direction de l'entreprise qui licencie : en gros, on force les plus de 52-53 ans (cela dépend de la convention) à prendre une retraite anticipée. Au passage, l'indemnité de licenciement est moindre que pour les victimes de "licenciements secs", et donc l'entreprise y gagne. Mais la prépension n'est pas tout à fait la pension : ainsi, un "prépensionné conventionnel" pourrait très bien (éventuellement) se mettre à chercher du travail. Bien qu'à cet âge il lui soit fort difficile d'en retrouver. Qui plus est, si les conditions auxquelles il retrouve du travail sont moins intéressantes, cela aura un effet adverse sur la pension de retraite qui lui sera octroyée à 65 ans. Ah, les joies de la pension par répartition ! Contrairement au pensionné, le prépensionné conventionnel ne peut accepter, s'il veut continuer à bénéficier de son allocation de prépension, aucune activité rémunératrice, même dans les limites strictes prévues pour les pensionnés. En un mot comme un dix, c'est un chômeur dont on a changé le nom et qui restera vraissemblablement au chômage jusqu'à l'âge de la pension (la vraie).

- "les C.C.I. âgés non D.E." : sous l'acronyme se cache la réalité. Ce sont les chômeurs complets indemnisés âgés non demandeurs d'emploi. "Agé" signifie ici que le chômeur a dépassé 50 ans. Passé ce stade, hocus pocus shazam, on le sort des statistiques du chômage. Etonnant, non ?

- les "chômeurs dispensés pour raisons sociales ou familiales". Dispensés de quoi ? Mais de chercher un emploi, pardi !

Un rapide calcul nous apprend donc que les "non-demandeurs" d'emploi sont au nombre de 267.962. Qui ne sont pas repris dans les statistiques officielles du chômage, lesquelles se basent sur le nombre de demandeurs d'emplois, c'est-à-dire, toujours d'après le tableau :

- les chômeurs complets indemnisés

- les "autres inscrits obligatoires". Ce sont les chômeurs suspendus temporairement de leurs droits aux allocations et les jeunes en période d'attente.

- les demandeurs d'emplois incrits librement (demanderus d'emploi qui ne perçoivent pas d'allocations).


Seuls les premiers bénéficient d'une allocation de chômage, mais les trois groupes sont considérés comme "chômeurs" pour les statistiques. La moyenne de l'année 2004 les met au nombre de 576.612. J'ai bien dit la moyenne. Comme le chômage est en augmentation, l'utilisation de la moyenne permet de donner à la situation un air un peu moins dramatique. Si nous prenons les chiffres de décembre 2004, on monte à 595.454 chômeurs.

Voilà. Nous avons à présent une idée de la base de calcul du taux de chômage et du premier mensonge statistique perpétré par l'Etat. Officiellement, en 2004, les chômeurs étaient donc en moyenne 576.612, mais 253.513 personnes n'ont pas été considérées comme de véritables "chômeurs" sous prétexte qu'elles ne sont plus demandeuses d'emploi.

Pour nous rapprocher de la vérité, il nous faudrait donc compter 830.125 sans-emploi dans notre beau royaume fritier. Plutôt inquiétant, non ? Hélas, nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Dans la prochaine chronique, nous achèverons de décortiquer les statistiques et de mettre à nu les mensonges officiels.

4 Commentaires:

Blogger Constantin a écrit...

Voilà qui ne me surprend guère. Avec une réalité aussi lugubre, la tentation est grande pour nos Etats d'endormir le bon peuple.

15/5/05 12:01  
Blogger Constantin a écrit...

Il me semble que la Belgique a vers la même époque dévié des définitions BIT vers quelque chose de similaire. Avez-vous déjà remarqué cette tendance, qui semble aller croissant, des politiciens belges à imiter les "bonnes idées" des politiciens français et vice-versa ?

15/5/05 13:15  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour,

faîtes attention, en France lorsqu'on désigne le % de chomeurs on parle de la population active, ie celle en état de travailler (vous ecluez les enfants, les retraités...).

IL y a ainsi en Fr 11% de chômeurs, soit 11% de la population active.
Il y a en fait d'après les chiffres oficiels 2.500.000 chomeurs. soit en réalité un peu plus de 4% de la population totale.

Alors ne confondez pas population et population active !

P.S : félicitations pour ce blog !

15/5/05 13:47  
Blogger Constantin a écrit...

Bonjour, cher anonyme,

Vous venez involontairement de dévoiler le sujet de la prochaine chronique, laquelle traitera en effet de la confusion, sciemment entretenue par nos édiles, entre "population", "population active" et "population en âge de travailler".

A cette occasion, nous recalculerons un "taux de chômage" qui reflète un peu mieux la triste réalité.

Rendez-vous d'ici quelques jours, donc, et merci de vos encouragements.

15/5/05 13:56  

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