1.4.05

Mascotte

Le vingtième siècle a vu la faucille et le marteau croisés devenir les symboles du socialisme et de la lutte des classes. Autre temps, autres moeurs. En ce début de 21ème siècle ou le communisme, phénix improbable de la pensée politique, renaît de ses cendres sous la trompeuse appellation de "progressisme", il me paraît opportun de lui trouver un nouveau "visuel", comme disent les gens de marketing. Et pourquoi pas l'autruche ?

Le lien entre l'autruche et le "progressisme" ? Cette admirable - mais suicidaire - propension à refuser d'affronter la réalité en face. Je ne vois pas où est le problème, ergo il n'existe pas. Simple, élégant, facile. En cette époque magique où une réflexion soutenue de plus de cinq minutes cause au quidam moyen une migraine dont il lui faudra la journée pour se débarasser, la pensée politique dominante ne s'embarasse plus de détails et refuse la confrontation avec ce qu'en pourraient dire ses contradicteurs. Voire même avec la réalité. Je vous propose, cher lecteur (ou chère lectrice), d'examiner ensemble quelques-uns des poncifs de la pensée altermondialo-solidaire et de les soumettre au "test de l'autruche".

Commençons par le mythe de l'Etat de droit. Le citoyen est censé, grâce au monopole de l'Etat, être assuré de "la liberté et la sûreté de sa personne". La police et la justice s'occupent de sa sécurité. Vraiment ? Quand ce ne sont pas les policiers eux-mêmes qui exercent des violences sur les citoyens pacifiques (voir à cet égard mes précédentes chroniques), la protection offerte par la police est pour le moins lacunaire. Combien de temps faut-il à un policier pour se rendre sur les lieux en cas d'agression ? Et quand l'agression a eu lieu, comment se déroule l'accueil au commissariat pour qui souhaite déposer plainte ? A en croire les témoignages que j'ai reçus ces dernières semaines, le manque d'amabilité des représentants de la loi n'a d'égale que leur incompétence. Je me souviens avoir un jour proposé au pandore qui prenait ma déposition de terminer de la taper à sa place, tant sa méconnaissance du traitement de texte influait sur le rythme de l'entrevue. Hélas, je me suis heurté a un refus catégorique. En fin de compte, il lui aura fallu près de deux heures pour prendre une déposition d'une page. Ne mentionnons même pas la justice, dont les "dysfonctionnements" permettent régulièrement à nos parlementaires de participer à ces "commissions parlementaires d'enquête" dont ils sont si friands. Pas par soif de justice, mais parce que la médiatisation de ces réunions leur permet de se faire mousser à bon compte et de se placer pour la prochaine échéance électorale.

Continuons avec la sécurité sociale. Vous êtes-vous déjà penché sur le coût astronomique que cela représente pour le citoyen ? Les cotisations de base à l'ONSS représentent en Belgique 37,94% du salaire brut d'un travailleur salarié. Cela ne tient pas compte du financement "alternatif", c'est-à-dire par l'impôt : en 2003, l'Etat a versé plus de 5 milliards d'euros dans les caisses de la sécurité sociale. Sur une populaton active de 4,5 millions, cela représente donc une ponction supplémentaire de 1.137 euros en moyenne par citoyen. Tout cela bien sûr sans compter les cotisations ONSS supplémentaires exigées aux entreprises de plus de 20 personnes, de moins de 150, et j'en passe. Tout cela pour financer un système qui, loin de remplir ses missions, est cependant en état de faillite virtuelle. Le gouvernement belge redouble de contorsions statistiques pour éviter de faire face à la vérité : exclusion de certains catégories de chômeurs des chiffres du chômage (si si), pré-pensions, manipulation des statistiques de la population active. Faut-il continuer ? Reprenons les chiffres des cotisations ONSS : 37,94% du salaire brut, cela signifie que pour un salaire brut de 2000 euros, 758 euros par mois partent en cotisations. Le citoyen de base ne voit partir que 261 euros sur sa fiche de paie, le reste est extorqué à son patron. Sur douze mois de salaire, cela fait donc 9096 euros auxquels j'ajoute les 1.137 euros de financement par l'impôt. Nous en arrivons donc à la somme astronomique de 10.233 euros. D'après Laure, de Quitter la Sécu, on peut se procurer dans le privé une assurance soins de santé pour environ 1.000 à 2.000 euros par an. D'accord, me direz-vous, mais cet argent ne couvre pas que l'assurance maladie, il y a aussi le chômage, les allocations familiales et la pension. Prenons la pension. Un petit tour sur le site d'une banque belge m'apprend que pour disposer d'un revenu fixe de 2000 euros par mois (soit plus que ce que notre travailleur gagne actuellement), il lui faut investir un capital 549.914,89 euros dans un des fonds d'assurance de la banque. Un rapide calcul de placement m'apprend qu'un travailleur né en 1980 qui placerait son argent dans un fonds d'épargne qui ne lui verse que l'intérêt minimum (3,5% par an) régulièrement jusqu'à sa pension devrait investir 6.200 euros par an pour disposer de cette somme à la pension. Notez que si le placement rapporte du 4% par an le montant tombe à 5.500 euros. Passez à du 4,5% et cela fait 4.900 euros par an. A titre d'information, les obligations à 10 ans du gouvernement américain rapportent actuellement 4,55% par an. Pour 6.000 euros par an, voici notre jeune travailleur assuré d'une confortable pension et mis à l'abri des dépenses que lui occasionneraient maladies et hospitalisations. Une assurance revenu garanti tourne autour des 600 euros de prime par an, donc notre travailleur peut être mieux couvert et pour moins cher les 10.000 euros que lui coûtent la Sécurité Sociale. Mieux couvert ? Je vous rappelle que les pensions actuellement prévues par l'Etat procurent au pensionné environ 80% de son dernier salaire net. Et la situation n'est pas prête de s'améliorer. Selon les estimations, le système des pensions par répartition sera en faillite au plus tard en 2030. Tiens, et en parlant de pension par répartition, nos amis "progressistes" vous ont-ils déjà dit que le premier gouvernement à appliquer le système fut le gouvernement de Vichy ? Comme ancêtre idéologique, il faut avouer qu'on fait mieux, n'est-ce pas ?
Chaque année, les discussions recommencent sur le même thème : comment financer le déficit de la sécurité sociale. Mais simultanément on vous prétend que l'Etat-Providence à la belge est une réussite que le monde nous envie. Nous avons je crois clairement établi le prix de cette réussite : 3 à 4000 euros de différence par an entre un système privé et le système actuel. Pour le ménage belge moyen, cette somme représente la différence entre vivre en comptant le moindre sou et vivre sans s'inquiéter de savoir si on mangera des pâtes au beurre à la fin du mois.

Heureusement, rétorquerons nos amies les autruches progressistes, l'enseignement gratuit et obligatoire permet de réduire les inégalités. Comme ce rapport PISA de l'OCDE tombe mal, lui qui nous rappelle que l'élève belge figure parmi les plus illetrés et les moins aptes au calcul des écoliers des 40 pays les plus développés de la planète. Les fidèles de cette chronique savent que j'exerce le métier de professeur dans une école du secondaire. Je peux vous confirmer que le rapport PISA sous-estime la réalité de terrain. Quand je demande à mes élèves de calculer la TVA à 21% sur un montant de 300 euros, ils sortent leur calculatrice. Quand je leur demande de lire un texte, je dois m'armer de patience et corriger leur déchiffrage en moyenne tous les cinq mots. Et je parle de lire, même pas de comprendre. L'autre jour, un élève d'une de mes classes de terminale s'est plaint de ce qu'un texte tiré du mensuel Budget et Droits (édité par l'association de consommateurs Test-Achats), texte de vulgarisation sur le mécanisme des centimes additionnels (vous savez, cet impôt sur l'impôt perçu par les communes), était beaucoup trop compliqué. S'agissait-il d'une option littéraire ? Pas le moins du monde, il s'agissait d'une classe d'humanités techniques option comptabilité. Vous ne me croyez pas ? Discutez-en avec ceux de votre entourage qui ont des bambins dans l'enseignement primaire. Vous apprendrez que la "méthode globale" continue à faire des ravages en lecture, que l'orthographe est déplorable, que les tables de multiplication ne doivent plus être apprises par coeur et que les fractions ne sont plus une "compétence certificative" (traduction : on peut apprendre aux élèves à se servir des fractions mais on ne peut pas les interroger pour évaluer leur maîtrise de la matière).

La réalité est là. Mais nos amis "progressistes" refusent de la regarder en face. Nos états sont au bord du gouffre, mais tout critique du système actuel est farouchement combattue : celui qui l'émet ne peut être qu'un horrible néolibéral, égoïste et pas solidaire pour un sou, qui veut mettre à mal notre beau pays pour le transformer en un far-west économique où le plus faible mourra écrasé par la loi du profit. "Un iceberg ? Mais non, vous avez mal vu !", aurait dit le capitaine du Titanic.