La guerre des sectes
C'est officiel : le citoyen solidaire a un nouvel ennemi. Le pauvre, il avait pourtant déjà fort à faire, avec les vilaines compagnies transationales - un nouveau terme à la mode, beaucoup plus effrayant que "multinationale" - qui délocalisent à tout de bras, jouent avec leur cerveau, oppressent et licencient pour faire d'horribles profits qui engraissent leurs actionnaires cupides, mais aussi avec les OGM, la pollution et les briquets sans sécurité enfants. Mais, las ! Un autre ennemi, sournois et malicieux, se profile à l'horizon : les SECTES.
Heureusement, l'Etat est là. L'Etat, toujours bon, toujours bienveillant, toujours prêt à écarter d'un revers de sa puissante main les méchants qui empêchent le petit citoyen de bêler sagement avec le reste du troupeau. Mais qu'ouis-je ? Le gouvernement, ce vilain méchant, s'est bien un peu occupé des sectes, mais après, il a fallu qu'il se plonge dans d'autres dossiers bien plus dangereux : les vols de nuits au-dessus d'Erps-Kwerps, le scission de l'arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvoorde, un salopard de capitaliste indien qui veut tout nous voler notre beau fleuron européen de la sidérurgie subsidiée, et puis la terrible, l'EFFRAYANTE, la cataclysmique peste aviaire, qui a déjà provoqué une hécatombe sur le territoire européen : trois cygnes et deux chats en moins d'un mois !
Heureusement, quand les ministres ne font rien à part courir derrière les terroristes turques en cavale, nos vaillants parlementaires veillent au grain. Et la Libre, toujours fidèle au poste, est prête à nous narrer par le menu les découvertes horrifiantes qu'ont faites nos preux chevaliers des temps modernes.
Lisons plutôt :
Le «groupe de travail» sur les sectes rend son rapport. Il constate d'abord de sérieuses lacunes dans la lutte contre ces organisations dont certaines sont dangereuses. Il recommande ensuite des corrections pour éviter les drames.
Lutter contre ces organisations "dont certaines sont dangereuses" : ça commence bien. Seuls "certains" de ces méchants ennemis sans visages sont donc méchants. On se demande pourquoi il faut "lutter" contre les autres. Mais soit.
Un an et demi de labeur. De nombreuses réunions (à huis clos). Des centaines de documents compulsés. Une vingtaine d'auditions de «grands témoins» (les ministres de la Justice, de l'Intérieur et de la Santé publique, des dirigeants de la Sûreté, de la Police, des parquets, etc.). Voilà ce qui a animé le «groupe de travail parlementaire» constitué en juin 2004 à la Chambre en réaction à l'apparent et considérable manque de suivi des recommandations de la commission d'enquête lancée par la même Assemblée sur le problème des sectes, en 1997. «La» commission qui avait sonné l'alarme...
Le gouvernement n'a pas fait son travail, alors on interroge le gouvernement à huis clos pour lui demander pourquoi. Cherchez l'erreur. Tiens, au fait, quand on y pense vingt auditions en un an et demi, ça fait treize auditions par an, un peu plus d'une par mois. Quel labeur acharné ! Heureusement, ainsi que je l'avais déjà mis en évidence dans une chronique, les parlementaires sont payés pour ce travail harassant. Au moins, les vrais chevaliers avaient-ils, quant à eux, fait voeu de pauvreté.
Ce groupe présente ce jeudi son rapport, qui paraît déjà essentiel pour le combat contre les «organisations sectaires nuisibles et dangereuses». «La Libre» a pu prendre connaissance tant de ses constatations, édifiantes, que des nouvelles recommandations qui vont influencer la politique en la matière.
Autant le dire: le constat posé par le président et fondateur du groupe de travail, André Frédéric (PS), par son vice-président Tony Van Parys (CD&V), son rapporteur J-P. Malmendier (MR) et ses membres (CDH, VLD, SP.A, VB) ne réjouit pas. Depuis 1997, c'était quasiment le vide...
Hé hé hé ! C'est un membre du parti socialiste qui s'occupe de surveiller les organisations sectaires, nuisibles et dangereuses. L'ironie est savoureuse. Je me demande si on convoquera le conseil d'administration de la Carolo lors d'une prochaine séance.
1) Evolution de la situation. Les activités des sectes n'ont pas diminué, au contraire. Mais, constate le groupe, elles avancent avec plus de discrétion. Il s'agit plus que par le passé de petites structures, même si de puissants groupes dissidents du protestantisme américain (évangélistes, pentecôtistes) occupent aussi le terrain.
Les évangélistes sont donc eux aussi visés. Et tenez-vous bien, braves gens, car il s'agit de "puissants groupes dissidents". Dissidents de quoi, d'abord ?
Pour avoir eu l'occasion de parler aux "victimes" des évangélistes dissidents, principalement actifs dans les milieux africains, je ne vois rien de très dangereux dans ces puissantes sectes. A moins que nos éminents défenseurs de l'athéisme ne considèrent la prière et l'abstinence avant le mariage comme de pernicieuses menaces pour notre belle jeunesse. Ah oui, j'oubliais, ils sont créationnistes aussi. Et cça, c'est pas bien, c'est obscurantiste, comment peut-on penser ça au 21ème siècle madame ? Remarquez, avec pareille définition, une bonne moitié des musulmans de Belgique sont membres d'une secte : après tout, eux aussi prient, sont censés éviter le "boogie-woogie avant de faire les prières du soir" et croient que dieu a créé le monde et que Darwin était un blasphémateur qui brûle à présent dans les flammes de l'Enfer. Est-ce si grave que cela ? Personnellement, bien qu'athée et darwiniste, je ne me sens pas l'envie de tenter de faire interdire tout culte qui prétendrait que dieu existe et qu'il a créé le monde. Mais bon, ce serait laisser aux gens la liberté de penser, et ça, c'est dangereux.
2) Parquets, police et Sûreté. Leur connaissance du phénomène est fragmentaire, dit le groupe de travail. Un besoin de formation se fait sentir (déjà dit en 1997). Il est cependant vrai que les organisations sectaires disposent parfois de moyens colossaux et qu'il est malaisé d'enquêter sur leur patrimoine.
Côté parquets, un groupe de travail devait élaborer un plan de lutte, mais la note d'orientation attendue est toujours dans les limbes. Le gouvernement lui-même a omis de définir, en collaboration avec le Collège des procureurs généraux comme c'était prévu, une politique criminelle précise permettant aux services concernés d'orienter leur action. Et si la commission d'enquête avait préconisé la création d'une cellule spécifique transversale Police/Sûreté, elle n'existe pas. Enfin, si on notait en 1997 le manque de moyens matériels et humains dans ces services, c'est toujours le cas.
Bon je résume : la police n'y connaît rien. Bon, déjà, ça ce n'est pas une excuse. J'ai personnellement eu affaire à des policiers qui n'y connaissaient rien en traitement de texte ni en orthographe, et encore moins en prise de notes, ça ne les empêchait pas de prendre des dépositions. Par contre, ça prenait longtemps. Deux heures par page en moyenne.
Bon, je continue. Le police et la justice manquent d'argent, et en plus le gouvernement n'a pas créé les comités, cellules et autres commissions de coordination "indispensables" à tout travail policier digne de ce nom. Entre parenthèses, avec l'affaire Erdal, nous avons pu admirer l'efficacité de la coordination "police-sûreté". Une fois la commission ad hoc créée, les sectes n'ont qu'à bien se tenir !
3 La cellule administrative de coordination de la lutte anti-sectes répond, elle, effectivement à une recommandation de 1997. Mais, sans locaux, elle semble en léthargie. On attend toujours la publication de l'arrêté royal l'organisant...
En plus des commissions et groupes de travail, il manque bien sûr une "cellule administrative". Heureusement, elle existe. Enfin, sur le papier, puisqu'elle n'a pas de locaux. Euh non, finalement, pas sur le papier non plus, il manque un arrêté royal. Mais ça ne les empêche pas de dormir, à la cellule administrative. Je suppose qu'ils ont des matelas.
4) International. La coopération est étroite avec la France mais, même si la Sûreté entretient des contacts transfrontaliers de bon aloi, ça s'arrête à peu près là à cause de la disparité des législations en Europe et du fossé conceptuel entre les Latins et les Anglo-saxons, plus indifférents au phénomène. D'ailleurs, a remarqué le groupe de travail, les institutions européennes, cibles privilégiées du lobbying intense des organisations sectaires, s'intéressent peu au sujet. Pas de surprise, donc, à ce qu'Europol n'ait constitué aucun fichier d'analyse sur les sectes.
Ces salauds d'anglos-saxons sont "indifférents au phénomène". On reconnaît bien là ces fourbes d'alliés objectifs des Etats-Unis, toujours prêts à laisser les pauvres citoyens à la merci du premier exploiteur venu. Vous remarquerez jusqu'où l'antiaméricanisme va se glisser, de nos jours : tout est prétexte à vilipender l'ennemi, même la lutte contre les sectes. Tout ça c'est la faute à l'ultranéolibéralisme anglo-saxon !
5) Médecine, psy et social. En 1997 déjà, il était évident que certaines sectes exploitaient le travail des adeptes. Mais les Affaires sociales se bornent à évoquer la jurisprudence, qui dit qu'adeptes et gourous ne sont pas liés par un contrat de travail. Constat d'amertume aussi côté médical: les pratiques sectaires éveillent peu l'intérêt des autorités et de l'Ordre des médecins. Les procès pour exercice illégal de la médecine sont rares. Les députés notent aussi que l'absence de statut du métier de psychothérapeute présente un réel danger.
Les médecins s'en battent l'oeil et les Affaires Sociales s'en désintéressent. Et en plus n'importe qui peut se dire psychothérapeute. Mais que fait le gouvernement ? Il faudra que je pense à poser la question à "Monsieur Amédée, grand mage de la forêt africaine, don héréditaire de père en fils", qui a gentiment laissé ses coordonnées dans ma boîte aux lettres.
6) Quelques avancées, malgré tout, directement liées aux recommandations de 1997 ou non: création du parquet fédéral; instauration de magistrats de référence dans les parquets locaux (mais ils n'ont pas reçu la moindre directive), obligation faite à ces parquets de notifier au parquet fédéral tout dossier secte; centralisation au même parquet des informations de la Sûreté de l'Etat (mais sans suites judiciaires jusqu'ici); enfin, un «carrefour d'information» a été créé dans chaque arrondissement judiciaire.
Ouf, on respire. Vivent les carrefours de l'information, qui entrecoupent utilement les autoroutes du même nom. Il ne manque plus que quelques feux rouges de l'information et tout sera réglé.
Mais La Libre nous a gargé le meilleur pour la fin. Je connais un journal qui va encore voir ses subsides augmenter :
Ce qui ne paraît pas si lourd... Merci, donc, aux députés: il était temps que quelqu'un réagisse!
15 Commentaires:
Très bien, comme souvent.
Une chose que je me demande: les sectes ont, comme tu l'indiques, déjà fait l'objet de l'intérêt de nos chères éminences.
As-tu une idé de la définition retenue à cette occasion pour caractériser les sectes, et les différencier d'une église "légitime?"
Eh mais ça va pas !!! eh mais vous etes des grands malade vous!!!! je viens de découvrir ce blog et j' hallucine des anarcho-capataliste quoi!! mais c'est du derlire, moi je sais ce que c'est que le vrai anarchisme je peux vous expliquer si vous voulez parce que là je peux vous dire que vous faite completement fausse route. Je dit ça c'est pour vous parce que moi je m'en fou, mais ceux qui vous ont mis ça dans la tete y se fiche bien de vous. C'est pas méchant mais bon fallait que je le dise.
Prune :)
Dites-moi, ma chère Prune, votre maman ne vous a pas appris que la meilleure manière de convaincre les gens n'est pas de les insulter puis de leur dire qu'ils n'ont rien compris ?
Vous savez, quand vous faites, ça, les gens se disent : "pour qui elle se prend celle-là, à insulter ses interlocuteurs et à se croire plus intelligente qu'eux ?"
En d'autres termes, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Si vous voulez discuter d'anarchisme, je le ferai avec plaisir, ici ou par MP. Mais à condition que vous montriez polie, aimable et ouverte au dialogue.
@ Paul
Apparemment, il n'existe pas de loi spécifique en la matière, on se base sur la notion d'abus de confiance ou d'autres règles de droit pénal.
Cet état de choses reflète à mon humble avis la difficulté de définir une secte et de concevoir une définition qui n'englobe pas les religions "mainstream". D'autant que certaines franges extrémistes catholiques, musulmanes ou protestantes peuvent également être assimilées à des sectes.
Si vous prenez par exemple le critère de l'extorsion de fonds basée sur un texte religieux quelconque, la Zakât musulmane (obligation pour le croyant de consacrer une partie non négligeable de son revenu à la charité) pourrait justifier que l'on considère l'Islam dans son ensemble comme une secte. Ce qui est évidemment absurde.
En fait, comme dans le débat sur les drogues, il n'existe pas de critère objectif et univoque pour décrire une secte. E clair, une secte est une secte parce que l'Etat a dit qu'elle en était une. Je vous laisse imaginer les dangers d'un tel arbitraire.
J'ai trouvé un site intéressant, SOS Sectes, qui fait le point sur la situation en Belgique :
http://www.sos-sectes.org/index.htm
Excellent article. Constantin, vous produisez peu, mais vos productions sont de qualité, comme toujours.
Cela dit, s'il fallait se référer aux critères retenus par notre cher Etat-providence, pourquoi ne pas ajouter l'Eglise catholique à la liste de ces sectes qui vous spolient votre âme et votre portefeuille lors de la quête dominicale ?
J'éprouve, je l'avoue, une certaine sympathie pour ce petit vieux, condamné par la justice, qui pillait les troncs des églises pour s'acheter de quoi vivre. Et j'essaie de me mettre à la place des généreux donateurs qui pensent avoir fait une bonne action rédemptrice en déposant une obole pour Sainte-Claire ou pour la fabrique d'église.
Cela dit, pour avoir vécu quelques semaines au sein d'une secte reconnue, j'avoue ne pas comprendre comment "ces gens-là" parviennent à se faire spolier. Manque de lucidité basée sur un désespoir profond...
Je crois que vous manquez cruellement de personnes qualifiées. Il serait judicieux que la france vous envoie le grand Jean-Pierre Brard, spécialiste international incontesté et incontestable en matière de sectes et autres nuisibles du même ordre.
Allez soyez sympas, débarrassez nous en.
Via Lucilio, j'apprends qu'on parle de toi sur le site de radio France. Félicitations!
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-inter01/information/chroniques/blogs/fiche.php?did=42372
Apparemment, ma critique du patriotisme économique fait mouche !
Donc tu ne vois pas le "probleme" avec les creationistes et evangelistes ? C'est de l'antiamericanisme donc ?
Tu as donc sans doute rate le debat qui fait pourtant rage aux US quant a savoir si il faut enseigner la genese en classe de science. Anodin n'est ce pas ?
Tu ignores aussi sans doute que le Dakota a passe une loi interdisant l'avortement, qd bien meme il s'agirait de viol ou d'inceste.
Non vraiment, rien d'inquietant du cote des evangelistes, c'est juste le traditionnel anti-americanisme francais ...
On se demande pourquoi notre gouvernement s'inquiete vraiment ...
Vous mélangez deux choses importantes : la vie privée des gens et la politique.
Personnellement, que quelqu'un soit tenant du créationisme ou de l'évolutionisme m'importe peu, c'est un problème qui le regarde.
Que des politiciens se mêlent de faire voter des lois liberticides est un tout autre problème, qui est celui des hommes d'Etat tentant d'imposer à la population un comportement qu'ils jugent souhaitable en employant la coercition étatique. Mais là la Belgique n'est pas plus à l'abri que les Etats-Unis. Les lois limitant la liberté d'expression en sont une preuve. Les programmes d'économie de la CFWB en sont une autre. L'imposition de jours de fermeture aux commerçants constitue un troisième exemple de comportements dommageables de politiciens qui se mêlent de régler ce qui, dans les trois cas, devrait ressortir des raltions libres et consentantes entre individus et non de la coercition étatique.
Je ne melange pas. Effectivement qu'un individu adhere a une quelquonque croyance, c'est son probleme.
Le fait est que les evangelistes representent des lobbies puissant et veulent dicter ce que l'on apprend a l'ecole.
La religion n'a jamais ete une affaire purement "individuelle", et il me semble legitime qu'un etat se preoccupe de celles qui sont manifestement nocives.
Le libertarien que je suis vous répondra que la religion est une affaire privée. Et que l'Etat n'a pas à se mêler de l'enseignement.
Si des lobbies, quels qu'ils soient, influencent la législation pour faire avancer leur agenda, le problème ce n'est pas les lobbies, c'est le pouvoir de l'Etat. Supprimez l'Etat et vous supprimerez la possibilité pour des groupes d'intérêt d'user de la puissance étatique pour obtenir une meilleure situation.
Je me pose une question, je vous la livre.
L'Etat (de type européen, ventripotent et partout) dans son comportement n'agit-il pas en fait en certains domaines comme ce qu'il décrit des agissements sectaires? Ce qui doit nous éveiller c'est l'exploitation du désespoir de gens qui fragilisés plongent.
Ma foi, c'est un peu ce que je voulais sous-entendre en traitant à mots couverts le parti socialiste de secte.
Les dirigeants et le personnel de la machine étatique, ainsi d'ailleurs que tout ceux qui bénéficies des "largesses" que l'Etat leur distribue grâce à l'argent volé par l'impôt ont intérêt à maintenir la population dans un asservissement subtil : la conviction que seul l'Etat est à même d'aider les gens à avancer dans la vie.
et oui le PS est une secte, d'après les derniers sondages 60% de ses membres-électeurs ne parviennent pas à le quitter.
Mais je me rappelle qu'il y a déjà 20 ans que Charles Picqué, élève des jésuites, avait demandé le controle des imams dans les mosquées et les écoles. Il ne l'a jamais obtenu.
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