Tchernobyl : révélateur de la malfaisance étatique en Europe francophone
Aujoud'hui, cela fera vingt ans qu'une explosion pulvérisait le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Vingt ans, c'est long. Assez pour que les langues se délient, et pour que l'observateur attentif glane quelques faits intéressants savamment distillés dans l'actualité de ces dernières semaines.
Que le gouvernement soviétique ait, par un mélange de maladresse, d'incompétence et de considérations géopolitiques douteuses, contribué à aggraver la crise n'est évidemment pas une surprise. Il a fallu qu'en Suède, trois jours après l'incident, les systèmes de surveillance d'une centrale nucléaire repèrent le nuage radioactif pour que les soviétiques se décident enfin à reconnaître - du bout des lèvres - qu'il y avait eu "un incident" dans leur centrale. En soi, cet événement s'avère d'ailleurs déjà fort instructif : regardez une carte d'Europe, vous verrez qu'il y a quelques pays entre l'Ukraine et la Suède, notamment l'Allemagne de l'Ouest (les deux Allemagne n'étaient pas encore réunies). Aucun pays n'a repéré le nuage, ou en tout cas n'en a parlé. Mais ce n'est pas là le plus grave. Car c'est au moment où le nuage a été repéré que les gouvernements occidentaux, ou plus exactement les gouvernements belge et français, ont démontré le mépris dans lequel ils tenaient leurs concitoyens : désinformation, absence de mesures préventives pourtant prises dans d'autres pays, aucune procédure d'alerte, rien.
Si en Belgique, quelques responsables politiques ont reconnu, du bout des lèvres, que la situation était sérieuse et préoccupante, cela n'a absolument pas été le cas en France. Le gouvernement de ce brave François Mitterand, "humaniste" que le monde entier admire, a sciemment orchestré un blocus de l'information sur les allées et venues des nuages radioactifs qui ont survolé l'Europe. A la télévision, un porte-parole du lobby nucléaire se présentait sur tous les plateaux pour répéter le catéchisme officiel : rien de grave, aucun danger pour la population, les taux de radioactivité n'ont rien de préoccupant. Pendant ce temps, certaines zones en France étaient survolées par les particules radioactives sans que la population n'en ait été avisée.
En Belgique, nous apprend un reportage de la RTBF paru il y a deux semaines nous, la gestion de la crise fut moins soviétique qu'en France, mais hélas non exempte de maladresses coupables, voire intentionnelles. Les météorologues officiels de la télévision d'Etat, tant flamande que francophone, ont ainsi été priés de mentir sur la trajectoire suivie par les nuages radioactifs. Entre temps, une cellule de crise s'était mise en place, et le gouvernement en place s'informait et tentait de comprendre ce qu'il y avait lieu de faire. Une des premières mesures, proposée par Miet Smet, fut de demander aux agriculteurs de rentrer le bétail dans les étables. Le lait est en effet, pour je ne sais quelle raison, un réceptacle privilégié des particules radioactives contenues dans l'herbe ingérée par les bovidés. Il convenait donc d'éviter que du lait contenant des particules radioactives ne soit ingéré par la population. Mesure de bon sens ? Certes, mais Daniel Ducarme, à l'époque ministre wallon de l'agriculture, ne l'entendait apparemment pas de cette oreille, et communiqua de son côté aux fermiers wallons qu'il n'y avait aucun danger et qu'ils pouvaient faire paître leur bétail à l'extérieur. Il ne fut jamais inquiété. La récolte et la vente des épinards, légume paraît-il fort enclin à recueillir les particules radioactives, ne furent à aucun moment interdites en Belgique, alors que les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Italie avaient pris des mesures en ce sens.
Les cancers de la glande thyroïde sont en augmentation partout en Europe, y compris dans notre pays. Pourtant, ils font partie des pathologies évitables. En effet, la thyroïde sert de réceptacle à l'iode absorbé par l'organisme. L'iode radioactif, qui est une des particules résultant de l'ionisation de l'environnement par un rayonnement nucléaire, s'y fixe et provoque à long terme une tumeur maligne. Mais un remède préventif efficace et connu depuis longtemps consiste à prendre des comprimés d'iode (non radioactif) afin de saturer la thyroïde en iode. L'iode radioactif éventuellement absorbé est alors rejeté par l'organisme et éliminé par voie urinaire. Pourtant, à aucun moment il ne fut procédé à la distribution de comprimés d'iodes, pourtant disponibles en quantités suffisantes, car cela fait partie des mesures de sécurité en cas d'accident nucléaire en Belgique.
En fin de compte, c'est l'Europe entière qui a souffert de l'inconscience des ingénieurs soviétiques qui "effectuaient des tests" au moment de l'accident. Mais les conséquences auraient pu être nettement moindres si les gouvernements, particulièrement les gouvernements belge et français, avaient agi de façon responsable. Encore un drame de l'étatisme.
14 Commentaires:
mon médecin m'a révélé qu'en Belgique, un individu sur trois souffre de disfonctionnements de la glande thyroïde.
Je serais curieux de voir d'éventuelles statistiques, dans une perspective temporelle, sur ces pathologies.
Un petit début de réponse dans une interpellaton de la ministre Wallone de la santé.
Voici l'extrait qui nous préoccuppe :
En Wallonie, l'augmentation de la mortalité due au cancer chez les enfants de 1 à 14 ans est inquiétante. La part des facteurs environnementaux est inconnue et le registre du cancer n'est, quant à lui, plus opérationnel en Communauté française depuis 1999. Des soupçons se portent également sur l'incidence de l'environnement sur la réduction de la fertilité masculine, le cancer du sein ou de la thyroïde. Mais ici aussi, il n'y a pas de preuve formelle.
Autrement dit, on ne tient plus compte des cancers dans les statistiques. Etonnant, non ?
Ce qui me sidère dans toute cette histoire, c'est le fait qu'on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. J'ai l'impression que la vérité est trop grande pour le commun des mortels et qu'il s'ensuivrait une catastrophe peut-être encore plus grande, la remise en question de notre société actuel et des choix que nous avons fait et faisons actuellement.
Ne versons pas non plus dans l'excès "théorie du complot".
La réalité est - hélas - assez claire, même si nos gouvernements, dans lesquels se retrouvent encore parfois certains acteurs de l'époque, tentent encore d'en celer certains aspects, ceci afin de dissimuler les erreurs et les fautes intentionnelles réalisées à l'époque.
Le nuage radioactif a causé une augmentation nette de certains cancers et une baisse de la fertilité.
Cela doit-il remettre en question le choix du nucléaire ? Je ne le pense pas. Les risques d'accident sont minimes, quoi qu'on en pense. N'oublions pas non plus que Tchernobyl a eu lieu en URSS, à l'époque où le système était en pleine décomposition et manquait d'argent. Les "tests" qui ont donné lieu à l'explosion étaient dangereux et inutiles, d'autant que la centrale, par manque d'argent, n'était pas très bien entretenue.
J'en profite d'ailleurs pour tordre le cou à une croyance tenace : ce qui s'est passé à Tchernobuyl n'était pas une réaction de fission nucléaire (en clair, une explosion atomique). SI je me rappelle bien, il s'agissait en fait d'une surpression de la vapeur d'eau présente dans le réacteur qui a causé l'éclatement de ce dernier. C'est cet éclatement qui a répandu dans l'atmosphère les premiers nuages de particules. Ensuite, la réaction de fusion nucléaire est devenue incontrôlable, raison pour laquelle les soviétiques l'ont enterré sous un sarcophage de béton et de plomb en attendant que ça s'arrête (en gros). La gestion de l'après-explosion a été faite avec un amateurisme incroyable, et un total irrespect de la vie humaine. Quant à l'absence d'évacuation de la zone avant trois ou quatre jours, c'est là aussi proprement criminel.
Mais là, les gouvernements français et belge, qui ont minimisé (pour la Belgique) ou nié (pour le France) les risques de retombées témoignent du même irrespect de la population. Et c'est cela qui m'interpelle : les gens croient encore en la "bonté" d'un Etat qui "s'occuperait d'eux", alors qu'il est avéré que ce ne fut pas le cas à l'époque.
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Quelques petites corrections à votre dernier commentaire, Constantin:
"[C]e qui s'est passé à Tchernobuyl n'était pas une réaction de fission nucléaire (en clair, une explosion atomique)."
1) Votre utilisation du terme explosion atomique est plus qu'ambigue. Il existe des bombes à fission -bombe atomique- et des bombes à fusion -bombe thermonucléaire.
2) Ce qui s'est produit à Tchernobyl est bien une augmentation incontrolée de la fission au sein du réacteur.
"[U]ne surpression de la vapeur d'eau présente dans le réacteur [...] a causé l'éclatement de ce dernier. C'est cet éclatement qui a répandu dans l'atmosphère les premiers nuages de particules. Ensuite, la réaction de fusion nucléaire est devenue incontrôlable."
Non, C'est plutôt l'inverse. Et il ne s'agit toujours pas de fusion. Plusieurs facteurs (défauts de conception et erreurs des opérateurs) ont mis le réacteur dans un état instable, et la réaction de fission a rapidement gagné en puissance. Les mesures d'urgence n'ont pas réussi à arrêter la réaction de fission (voire l'ont aggravée) et c'est le dégagement de chaleur accru qui a provoqué l'explosion de vapeur qui a détruit le coeur, ouvert la dalle et libéré le nuage radioactif.
Mais évidemment tout cela n'est que détail technique..
Cordialement,
J'ai effectivement mélangé fusion et fission, mea culpa.
Je voulais insister sur le fait qu'il y avait eu augmentation incontôlée de la fission, suivie d'une explosion due à la vapeur d'eau, mais pas une explosion nucléaire.
Merci d'avoir rectifié ma prose.
J'ai récemment appris que la quantité de radiations radioactives à Tchernobyl a été 400 x celle de l'explosion de la bombe atomique utilisée à Hiroshima. Est-ce correct?
Une petite recherche sur le net nous apprend que, selon les sites, nous serions entre 100 et 400 fois le niveau de radiations de Nagasaki et/ou Hiroshima.
La vérité, me semble-t-il, est que personne n'en sait trop rien. Rappelons nous qu'en 1986, l'U.R.S.S. est encore une dictature communiste, où règnent silence, mensonges et dissimulation. J'ai revu il y a peu une interview de l'ambassadeur d'URSS à Bruxelles quelques jours parès l'accident. Il affirmait avec le plus grand sérieux que les radiations sur le site même étaient de loin inférieures aux normes !
Les estimations actuelles sont donc basées, me semble-t-il, sur des extrapolations de ce qu'a dû être le niveau exact de radiations.
Maintenant, je ne serais guère surpris que le niveau soit effectivement supérieur. Hiroshima et Nagasaki étaient de "petites" bombes (si vous me permettez un raccourci cynique). De plus, après l'explosion, plus de réaction de fission nucléaire sur le site.
A Tchernobyl, il s'agissait d'un réacteur qui s'est "emballé". La réaction de fission s'est poursuivi pendant des semaines, voire des mois, tant qu'il restait de l'uranium dans le réacteur en fait. Et les sous-produits de la fission, les "déchets" étant eux-mêmes radioactifs et n'ayant pu être traités, ont continué à émettre. Une fois que le réacteur a été enfermé - au prix de dizaines de vies - dans son "sarcophage" de béton, les radiations émises ont été contenues. Mais il a fallu plusieurs semaines. Dans l'intervalle, et surtout les premiers jours, les émissions ont été très importantes. La technique adoptée par les Soviétiques pour essayer de limiter la casse - largage de tonnes de sable par hélicoptère - a contribué, semble-t-il, à la dispersion d'un nombre plus important de particules radioactives, que la chaleur émise par le réacteur a fait monter dans l'atmosphère.
Donc, non seulement les radiations ont été très importantes, mais la dispersion dans l'atmosphère a également été énorme.
Je me souviens d'un reportage consacré au nucléaire russe lors d'une "Marche du siècle" dédiée à cette thématique. On y voyait entre autre un institut de recherche nucléaire balancer ses eaux usées contaminées dans le fleuve, en pleine ville, à proximité de la plage d'une base de loisirs où les gens se baignaient. On visitait des villages proches de sites où des essais de bombe A étaient faits en plein air à l'époque de Staline, etc.
Pour être justes, il faut dire que la France a fait de même en 1960 dans le sahara algérien. Des contingents furent postés à quelques kilomètres pour juger du taux de radio-activité absorbé. Ils furent décontaminés par le biais d'une classique douche. Bien sûr silence radio là-dessus, il n'y a que les intéressés au premier chef pour en parler. Assez bizarrement beaucoup n'ont pas atteint la cinquantaine, au mieux.
Concernant les niveaux de radiation apres l'accident, je vous conseille de visiter le site de la CRIIRAD : http://www.criirad.com/
ou vous trouverez des cartes avec les taux residuels mesures au sol. Les disparites sont tres grandes en fonction des zones de pluviometrie.
Concernant "l'impreparation" des pouvoirs publics : ce n'en est pas une, c'est une strategie du pire adoptee dans toute l'industrie ; on considere qu'un taux de risque est acceptable, et qu'on peut se permettre des pertes. Ces pertes font partie du process pour toute industrie. C'est notre fonctionnement. Tout pont s'effondre un jour ou l'autre, nous l'acceptons en pensant que ce sera le voisin qui le traversera ce jour la.
Voici ce qui me préoccupe: analyse de l'histoire récente.
La catastrophe de Tchernobyl était, au départ, un test. Un test délibéré sur le fonctionnement de la centrale nucléaire.
Sous le commandement du chef de la centrale, Brioukhanov, les opérateurs se livrèrent à une expérience, on attendit et le résultat escompté n'arriva point. Pour transformer l'échec en succés (car ce devait être une réussite - l'avancement de Brioukhanov en dépendait) les opérateurs engagèrent une manoeuvre qui les dépassa.
Ceci reléve de l'histoire. En fait ce qui arriva était la conséquence logique de l'état d'esprit des ingénieurs, cadres du parti qui ont encadré le projet depuis la conception de la centrale jusqu'à l'expérience finale; groupe de leader parvenus à leur poste grâce à leur volontarisme militant, adoubés par leur pairs sur stricte critère d'appartenance et partage des dogmes. La conclusion fatale est la conséquence d'une cascade de choix d'une ribambelle de membres d'un régime politique et bureaucratique pour lequel efficacité et respect idéologique, esprit de caste et de nomemklatura, l'emportèrent sur toute autre considération. C'est le dogmatisme, le consensus clanique qui rendirent possible ce qu'en d'autres logiques la plus élémentaire prudence et le respect des hommes interdiraient. L'homme passait après le clan et le dogme. L'accident arriva parce que la centrale était mal conçue et au rabais (relativement à la sécurité), mais ces défauts étaient profondément liés au régime politique, bien plus un accident politique que technologique.
Ceci pour dire où peuvent mener de telles logiques, dans d'infinis dérives.
Dans le domaine économique, en notre beau pays (la France) nous avons connu un tel clanisme d'un groupe de leaders parvenus à leur poste grâce à leur volontarisme militant, adoubés par leur pairs sur stricte critère d'appartenance et partage des dogmes, si de tels désastres technologiques ne leurs sont pas imputables, il faut les créditer de désastres économiques comme celui du Crédit Lyonnais, dont les archives brulèrent deux fois. Oh on ne meurt pas par les radiations en ce désastre, on meurt par effet colatéral du renflouement. Combien d'entreprises et d'emploi furent sacrifiés pour renflouer ce navire? Infiniment plus qu'il n'est admis et encore à venir!
Deux cas, deux cultures avec des objectifs et missions différentes mais à la base mêmes causes: Une pensée élitiste volontariste et sans limitations ou contre pouvoir. Quand la machine est bloquée elle est bloquée infiniment, quand elle s'emballe elle s'emballe infiniment quand elle déraille elle entraine tout le train.
Merci à Christophe pour les précisions sur la carte et à notre contributeur anonyme pour le commentaire précédent celui-ci, avec lequel je suis entièrement d'accord. Le parallèle que vous dressez est extrêmement intéressant et fertile, je ne manquerai pas d'y revenir si vous me permettez de vous l'emprunter.
Vous avez mon accord et je pense que nous pourrions y mettre un contenu fort éclairant!
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