20.5.03

Une journée dans l’enfer de l’ennui




L’observateur attentif qui viendrait à comparer l’esclavagisme électoral à celui, plus violent, qu’est le service militaire, ou celui, plus sournois, de l’impôt, arriverait sans nul doute à la conclusion que ce qui distingue cette forme des autres est l’ennui profond que ressent la victime tout au long de sa dure journée de labeur.

J’espérais dans ma grande innocence – et c’est un des dérivatifs que j’avais trouvé à la colère qui m’envahissait à chaque fois que j’imaginais cette journée de dimanche gâchée parce que le Tyran en avait décidé ainsi – ramener de ma journée de travaux forcés un compte-rendu cinglant des aberrations électorales de notre petit pays. Hélas, il n’en fut rien. Cette journée fut désespérement ennuyeuse, si soporifique que ce fut une torture.

Les inévitables problèmes informatiques, les files plus longues que la figure des pauvres victimes apprenant leur nomination comme assesseurs, les petits viux qui se présentent au bureau de vote vingt bonnes minutes avant l’ouverture et qui râlent parce que le bureau ouvre avec une demi-heure de retard, les illettrés de l’informatique pour qui c’est le premier contact avec le monde fascinant des ordinateurs, les abrutis qui crient à voix haute "Louis Michel, c’est quel parti encore ?", tout cela prend vite un goût de réchauffé. Etre assesseur, c’est un peu comme se retrouver assis sur les tréteaux inconfortables du Théâtre de la Balsamine pour y découvrir l’adaptation d’une pièce post-moderne est-allemande sur la conquête du pôle Sud : on s’ennuie à mourir et on regarde sa montre en attendant la fin. Quoique … à la «Balsamine» on peut encore se lever et quitter la salle, au risque de vexer la charmante jeune femme qui vous y a invité sur la recommandation chaleureuse d’une amie. Alors que l’assesseur, lui, est forcé de passer 8 heures à contempler ce spectacle d’un œil désabusé en compagnie de ses compagnons d’infortunes.

Les somptueux émoluments qui lui sont généreusement attribués à l’issue de cette séance de torture ne permettent même pas à la pauvre victime dominicale de se venger sournoisement de sa compagne en l’invitant au Varia («si si, tu vas voir, on y joue du Shakespeare en verlan habillés de sacs blancs Bruxelles-Propreté, c’est géniâââl»). Bref, encore une journée gâchée par l’Etat.

Seule consolation, mais je l’aurais eue également si j’étais resté chez moi à lutiner ma belle avant d’aller chercher des croissants et de passer la journée mollement allongé sur le divan du salon avec un chat sur les genoux, c’est d’apprendre en début de soirée que les Pastèques* se sont retrouvées transformées en compost électoral par des électeurs qui ont enfin compris que c’est grâce à eux que la SNCB fonctionne encore moins bien qu’avant, qu’on paie des écotaxes à tout-va et qu’avec la sortie du nucléaire, la Belgique a réussi l’exploit de condamner les générations futures à payer encore plus d’argent pour que des centrales gaz-vapeur achèvent de ruiner le protocole de Kyoto.



* pour les ramollis du bulbe rachidien qui n’auraient pas saisi l’allusion, la pastèque est un fruit dont l’écorce verte cache mal le rouge qui la ronge