La fin de l'humanité
Dans un court mais excellent billet, mon ami Ronnie Hayek nous livrait hier une citation de Benjamin Constant qui se rapproche fort de ce dont je souhaite vous entretenir aujourd'hui : la diarrhée législative dont semblent atteints nos édiles depuis un peu plus d'un quart de siècle.
Quoi de plus normal, me direz-vous, que de voir des parlementaires rédiger et promulguer lois et décrets, après tout, c'est à cela qu'ils sont grassement payés. Certes, mais encore faut-il que les lois et décrets produits par les parlements national et régionaux soient d'une réelle utilité, et n'empiètent pas sur les droits fondamentaux des citoyens. Et c'est bien là que le bât blesse. Nous assistons en effet partout dans le monde démocratique, bien qu'à des degrés divers, à une augmentation drastique de l'intrusion de la loi dans la sphère des comportements privés. La majorité des nouveaux textes législatifs a pour ambition non déguisée de protéger les citoyens contre les conséquences de leurs "mauvais" choix, et cela qu'ils soient ou non demandeurs d'une telle protection. Un collectiviste de mes connaissances résumait la chose de façon lapidaire: "il faut faire le bien des gens malgré eux". Une telle approche du travail législatif présente à mon sens deux défauts rédhibitoires : l'un concerne les conséquences pratiques, l'autre, et c'est plus fondamental, les conséquences philosophiques et éthiques.
Les conséquences pratiques d'une telle entreprise législatives sont évidentes dès lors que l'on envisage la chose avec un tant soit peu d'honnêteté intellectuelle : nous assistons à une réduction sans précédent de la sphère des libertés individuelles. Des comportements qui n'affectent que les individus directement concernés sont criminalisés. Ne pas attacher sa ceinture de sécurité, par exemple, est passible d'une amende alors qu'en cas d'accident la seule victime de ce comportement est son auteur. Le propriétaire d'une maison qui refuserait d'équiper celle-ci de détecteurs de fumée serait la seule victime de son inconséquence. Le fumeur de cannabis ou le consommateur d'extasy sont les seules victimes des éventuels effets adverses de leur passe-temps. Celui qui objecterait à ce dernier exemple les effets potentiellement néfastes de la conduite sous influence commettrait une erreur logique qui profite aux partisans de ces lois liberticides. Rien n'empêche de légaliser l'usage des drogues, même dures, tout en continuant à réprimer de la même manière la conduite d'un véhicule sous l'emprise desdites drogues. Dans le premier cas, la consommation récréative de drogue, il s'agit d'un crime sans victime: le consommateur est le seul concerné par les conséquences de sa consommation. Dans la deuxième cas, il s'agit d'une mise en danger de la vie d'autrui. Et encore faudrait-il distinguer la mise en danger potentielle de l'acte lui-même, mais nous risquons de nous éloigner un peu trop du sujet de départ.
Mais la réduction des libertés individuelles, pour désastreuse qu'elle soit, n'est que la conséquence pratique de cette diarrhée législative. C'est en nous plaçant sur le plan éthique et philosophique que nous pouvons mieux comprendre le caractère mortifère de cette tendance. En effet, l'intention de "faire le bien des gens malgré eux" implique une vision particulièrement négative de la nature humaine, selon laquelle la vaste majorité des individus ne possède pas suffisamment de discernement et a besoin de l'encadrement intrusif, certes, mais bienveillant, d'une élite éclairée. En clair donc, les tenants de cette attitude postulent non seulement que la majorité de la population n'est pas capable de s'assumer seule, mais également que leur petit cercle possède une intelligence supérieure. Les humains seraient donc divisée en deux catégories : les sous-hommes qui composent le troupeau et les surhommes bienveillants qui veillent à son bien-être.
Passons sur l'incroyable vanité qui consiste à se proclamer supérieur à l'ensemble de ses congénères et, pire encore, à considérer que cette supériorité confère à ses détenteurs le droit de régenter la vie d'autrui comme ils l'estiment nécessaire. Le pire, dans cette histoire, c'est que chaque nouvelle loi votée en ce sens nous retire un peu plus de notre humanité, nous retire un peu plus de ce qui fait l'essence de l'Homme : la capacité de faire des choix et d'en assumer pleinement les conséquences. Et c'est en cela que les idées collectivistes sont mortifères : leur application retire graduellement aux êtres humains le libre arbitre qui est à la base même de leur nature.
10 Commentaires:
Eh bien! Je commençais à désespérer de lire le prochain billet ;)
C'est fascinant de constanter combien bon nombre de nos contemporains estiment au contraire que les libertés sont plus nombreuses aujourd'hui qu'hier. J'en suis à me demander parfois si ce n'est pas moi qui perd le sens des réalités…
Bruno Léoni en fait la démonstration claire et précise dans son livre "La liberté et la loi". A lire d'urgence
"mais encore faut-il que les lois et décrets produits par les parlements national et régionaux soient d'une réelle utilité"
On devrait même remplacer le mot utilité par le mot nécessité.
Tout ça part évidemment d'un bon sentiment, mais, il y a un mais, et de taille...
Il est prouvé qu'en cas d'accident, les blessures infligées sont plus conséquentes en cas de non-port de la ceinture de sécurité, d'où un coût d'hospitalisation nettement plus élevé pour la collectivité, car n'oublions pas que NOUS finançons les mutuelles...
Il est également prouvé qu'en cas d'absorbtion de drogues, les effets nocifs sur la santé sont extrèmement néfastes, d'où là encore une dépense à plus ou moins long terme de la part des mutuelles ou de la collectivité, c'est à dire de la part du citoyen qui n'a rien à faire de ces paradis artificiels, au titre de la solidarité...
sans compter que nombre de ces dites drogues conduisent à des comportements absolument délirants et dangereux pour les autres (crack, meth, etc. Renseignez vous, c'est édifiant!)
Nous pourrions ainsi continuer d'énumérer les conséquences des actes irréfléchis d'une minorité écornant la réserve que chacun d'entre nous constitue en cas de problèmes physiques graves ou d'accidents réels...
Eh, oui, c'est simplement une question de gros sous...
Aux Etats Unis, par exemple, où comme vous le savez, l'affiliation à une caisse de maladie est facultative, nombre d'entr'elles refusent de vous assurer si vous êtes simplement (!) fumeur...Ne parlons pas des alcoliques et autres drogués... Des tests sont même effectués avant toute signature de contrat...(expérience vécue)
Ne crachons pas trop dans la soupe, et souvenons nous que souvent, sans vouloir défendre nos gouvernants outre mesure, ceux-ci ne font pas QUE des bétises...
Bonjour l'anonyme,
c'est bien pensé...si on considère comme allant de soi le système obligatoire-collectiviste-mutuelliste. Dans une logique de responsabilisation individuelle et d'assurance privée l'absence du port de ceinture constitue une faute personnelle susceptible d'accroître les risques. L!auteur de la faute en supporte les conséquences, partielles ou totales, celà ne coûte donc rien à autrui.
@Climax :
En effet, et je suis sûr qu'en privé nos édiles ne se gênent pas pour afficher leur supériorité sur la plèbe. Et d'ailleurs, le refus d'une part non négligeable de la classe politique de comprendre que la nécessité de respecter la loi et d'avoir une conduite morale procède de ce sentiment d'être au-dessus de la masse.
@ Anonyme
Vous entrez, comme Néolibéré vous l'a par ailleurs signalé, dans une logique collectiviste qui est précisément celle que je fustige. Les systèmes de sécurité sociale, en faisant supporter le coût de l'erreur, disons de l'automobiliste, à d'autres que lui, encouragent les comportements irresponsables, raison pour laquelle ils devraient également être démantelés. La dilution de la responsabilité individuelle qu'entraînent les mécanismes de "solidarité" (je mets les guillemets parce que ce n'est pas de la vraie solidarité) est aussi déshumanisante que la diarrhée législative. Je pense d'ailleurs que cela mériterait un autre billet, je vous remercie de me l'avoir inspiré.
Je suis en effet pour le financement privé des dépenses médicales, via un système d'assurances entièrement privé. De tels systèmes existent déjà, et fonctionnent, notamment pour les gens qui, en France, ont eu le courage, comme Laure Allibert, de quitter la Sécu. Le système US, contrairement à ce que vous pensez, est financé en partie par l'Etat américain et connaît d'ailleurs une crise de financement qui n'est pas sans rappeler les problèmes dont nous souffrons ici.
La "solidarité" dont vous parlez (hôpitaux publics US) présente toujours le gros désavantage d'être financée par l'Etat, donc par le contribuable. Vous semblez croire qu'il s'agit du seul système possible. Pourtant, un financement privé est tout à fait possible, via des organismes de charité. L'avantage est double : tout d'abord, et d'un point de vue éthique, c'est important, ne participent au financement que ceux qui le souhaitent. Ensuite, le caractère volontaire des donations implique, pour l'organisme bénéficiaire, une plus grande rigueur et une plus grande transparence dans sa gestion.
Si le sujet vous intéresse, je vous convie à venir en débattre sur le forum de la communauté libérale
J'ai plutôt l'impression que ces communiqués de presse sont une tentative pitoyable d'imputer le déficit de la Sécurité Sociale à une cause extérieure. C'est évidemment plus commode que d'admettre que le pourrissement actuel était inhérent au système lui-même.
Les infos que vous mentionniez dans votre précédent post me semblent justement procéder de cette logique de dissimulation. On se trouve une petite cause extérieure et hop, presto, le déficit de la sécu c'est plus notre faute.
Maintenant, soyons logiques, le problème de gestion de la sécurité sociale ne sera pas résolu tant que le système ne sera pas privatisé et mis en concurrence. Les incitants à la performance ou même simplement à l'équilibre budgétaire ne peuvent apparaître dans un système ou de toute façon les déficits seront épongés par l'Etat.
Enfin, quoi qu'il en soit, le problème de la sécurité sociale est plus qu'une question de gestion et de gaspillage, c'est une question d'éthique. La logique de "solidarité obligatoire" permet aux "free-riders" de s'en donner à coeur joie, et entretient en outre une logique perverse où ceux qui profitent du système sont récompensés.
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