11.9.06

Commerce international, avantages absolus et avantages comparatifs

Pour les lecteurs qui ont été intéressés par la première évocation de Ricardo, voici un explosé plus "technique" de la théorie des avantages comparatifs.



En 1819, David Ricardo publie « Des principes de l’économie politique et de l’impôt ». Il y expose la théorie des avantages comparatifs : le commerce entre deux pays bénéficie à chacun, même si l’un des pays est capable de fabriquer n’importe quel produit à un coût moins élevé que l’autre. C’est une révolution dans la théorie économique.

L’avantage absolu
Les prédécesseurs de Ricardo pensent en effet que le commerce entre deux nations n’est intéressant que si chacune possède un avantage absolu dans la production d’un bien.

Imaginons deux pays, Rome et la Gaule. On n’y produit que deux biens : du blé et de la viande. Les cultivateurs romains sont capables de produire du blé à un coût moins élevé que les Gaulois. Les éleveurs gaulois, eux, sont plus efficaces que les Romains dans la production de viande. Pour les économistes, Rome dispose d’un avantage absolu dans la production de blé et la Gaule dans la production de viande.
Si ces deux pays peuvent faire du commerce entre eux, les Romains vont se spécialiser dans le blé. Ils en exporteront une partie vers la Gaule, et utiliseront l’argent ainsi gagné pour acheter de la viande gauloise. Les Gaulois, eux, vont se spécialiser dans la viande et en vendre aux Romains. Grâce aux revenus de leurs ventes, ils importeront du blé romain.
Mais que se passe-t-il si la Gaule est moins efficace dans la production de blé et celle de viande ? Comme les Romains produisent blé et viande pour moins cher, le commerce avec la Gaule ne les intéressera pas. C'est du moins le point de vue couramment accepté avant Ricardo. Pour Ricardo, cependant, ce raisonnement est faux.

L’avantage comparatif
Reprenons la situation où chaque pays dispose d’un avantage absolu et traduisons-la en chiffres. Avec 100 ouvriers pendant un an, Rome est capable de produire 200 tonnes (T) de blé ou 50 tonnes (T) de viande. En Gaule, avec 100 ouvriers et durant la même période, on peut produire 80T de blé ou 80T de viande.


Avec la même quantité de travail, les agriculteurs romains produisent plus de blé que leurs collègues gaulois. Les éleveurs gaulois, eux, sont meilleurs que leurs concurrents romains. Rome dispose bien d’un avantage absolu dans la production de blé et la Gaule dans la production de viande.

Pour notre exemple, imaginons que Romains et Gaulois se nourrissent exclusivement de sandwiches au rosbif. En l'absence de commerce international, chaque pays doit produire son propre blé et sa propre viande. Or, un agriculteur qui produit de la viande ne peut pas faire de blé pendant ce temps-là, et vice-versa. A Rome, on ne peut donc produire 1T de viande qu’en acceptant de produire 4T de blé en moins. En Gaule, il faut abandonner la production de 1T de blé pour produire 1T de viande.
Autrement dit, à Rome, 1T de viande « coûte » 4T de blé, alors qu’en Gaule, 1T de viande coûte seulement 1T de blé.

Imaginons à présent que la frontière entre la Gaule et Rome s'ouvre au commerce. Les Romains proposent alors aux Gaulois d’échanger 2,5T de blé contre 1T de viande. Les Gaulois acceptent.

Pour les Romains, c’est une aubaine : 1T de viande leur coûte à présent 2,5T de blé au lieu de 4T. Les Gaulois aussi sont heureux : avec 1T de viande ils peuvent maintenant obtenir 2,5T de blé au lieu d’1T. Gaulois et Romains, sans fournir plus de travail, peuvent à présent manger beaucoup plus de sandwiches au rosbif. Le commerce international leur permet d’augmenter leur satisfaction.

Jusqu’ici, Ricardo et ses prédécesseurs sont d’accord : l’avantage absolu dont dispose chaque pays rend l’échange intéressant.

Mais Ricardo va aller plus loin. Pour lui, même si Rome dispose d’un avantage absolu dans les deux productions, les Romains ont quand même intérêt à commercer avec les Gaulois. Pourquoi ?

Imaginons que les Romains, avec cent ouvriers, produisent 200T de blé ou 100T de viande. En Gaule, la production reste identique.

Pour produire 1T de viande, les Romains ne doivent abandonner que 2T de blé. Si on ouvre la frontière et que les Gaulois leur proposent 1T de viande contre 2,5T de blé, les Romains ne seront évidemment pas intéressés. Pourtant, dit Ricardo, les Romains ont malgré tout intérêt à faire du commerce avec la Gaule.

En effet, si le taux d’échange est par exemple fixé à 1,5T de blé contre 1T de viande, tout le monde y gagne : les Romains, au lieu de payer 2T de blé par tonne de viande, ne paient plus que 1,5T. Les Gaulois, eux, au lieu d’échanger 1T de viande contre 1T de blé, obtiennent 1,5T de viande.

Même si Rome dispose d’un avantage absolu, la Gaule dispose de ce que Ricardo appelle un avantage comparatif par rapport à Rome : lorsqu’on compare les prix relatifs des deux biens, l’échange reste intéressant pour les deux pays. Voilà pourquoi le commerce international profite à tous quels que soient les pays impliqués.

Notez bien qu'il s'agit ici d'une tentative de vulgarisation des théories de Ricardo. Parler de "pays" qui "échangent" et qui "fixent des prix" est un abus de langage. Pour commencer, il est clair que certains Romains continueront à produire de la viande, rien ne les en empêche. Cela d'autant plus que ni Rome, ni la Gaule ne sont des économies planifiées et que producteurs et consommateurs sont libres de leurs choix. Cependant, si l'on se place au niveau macroéconomique, c'est-à-dire à l'échelle des pays, même si certains producteurs Romains continueront à produire de la viande, l'effet global sera un déplacement de la production de viande en Gaule. La "fixation des prix" doit de même être comprise comme un mécanisme de marché et non une décision étatique ou corporatiste. Le taux d'échange entre le blé et la viande, négocié transaction par transaction, s'équilibrera sur le long terme à un niveau où l'échange sera profitable aux deux parties.