La mauvaise herbe individualiste
Je ne sais pas pourquoi, en cette funeste "journée sans voiture" que j'ai déjà amplement fustigée sur ce petit coin de toile, je pense à ce bon vieux Brassens :
Les hommes sont faits, nous dit-on
Pour vivre en bande, comm' les moutons
Moi, j'vis seul, et c'est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin
Je suis la mauvaise herbe,
Braves gens, braves gens,
C'est pas moi qu'on rumine et c'est pas moi qu'on met en gerbe
Je suis la mauvaise herbe, braves gens, braves gens,
Je pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés ...
Si Brassens avait vécu à notre époque, aurait-il seulement osé écrire ces quelques vers à la gloire de l'individu ? A l'époque déjà, il dénonçait la mentalité de troupeau dont font hélas preuve la plupart des habitants de nos pays soi-disant civilisés. Mais serait-il encore seulement envisageable de s'exprimer ainsi de nos jours ? Rappelez-vous ce couplet d'une autre chanson, la mauvaise réputation :
Le jour du Quatorze Juillet
Je reste dans mon lit douillet.
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n'écoutant pas le clairon qui sonne.
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde me montre du doigt
Sauf les manchots, ça va de soi.
L'individualisme, dans notre société festive, solidaire, et citoyenne, n'est plus une valeur respectable, ni même respectée. Les esprits libres sont couverts d'opprobre et vilipendés. La chape de plomb de la bien-pensance s'abat sur tous. Et chacun, au lieu de résister, s'adapte bon gré mal gré à l'air du temps. Car résister aux manifestations décrétées par le pouvoir en place avec l'assentiment, voire à l'insistance de la masse bêlante des citoyens "conscientisés", voyez-vous, c'est manifester son individualisme. Qui rime, comme chacun le sait à présent, avec fascisme. Car tout ce qui n'est pas solidaire est forcément fascisant. Comprenne qui pourra. Bien sûr, il est de bon ton de ne plus aimer la "Patrie", tarte à la crème collectiviste d'un autre âge, et la Mauvaise Réputation peut donc être écoutée par les rebelles à la petite semaine qui croient se donner bonne conscience en suivant à la lettre les dégoûts de la masse.
Mais que serait-il advenu si un Brassens moderne s'était piqué de critiquer la "solidarité citoyenne" ? Que serait-il advenu s'il avait mis en question l'utilité de cette manifestation d'autorité étatique aussi brutale qu'absurde qu'est la Journée sans Voiture ? S'il s'était gaussé des gens qui, les gens, en bons petits moutons, s'inventent des "barbecues de quartier", des "espaces festifs", des "jeux de conscientisation citoyenne", et que sais-je encore, pour tromper leur ennui en ce dimanche chagrin ? Qu'aurait-on dit s'il avait chanté :
Quand c'est la journée sans voiture
Je reste au lit, je fuis l'air pur :
Les apéritifs dans la rue,
Empestent la fausse vertu.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n'affichant pas ma piété piétonne
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde me montre du doigt
Sauf les manchots, ça va de soi.
6 Commentaires:
Dans le même style, je viens de recevoir le programme du PS en vue des élections dans ma commune. Il y est question, pêle-mêle, de (je cite) :
- "création d'un conseil consultatif de l'action sociale par le CPAS";
- "stimuler l'échange de services par le covoiturage entre voisins (déchets verts, bulles, trajets écoles, etc.)";
- et le pompon: la "création d'un échevinat de la participation et de la citoyenneté"...
Très bonnes paroles, l'ami Constantin. Seriez-vous poète à vos heures ?
@ ludovic
Alors, pour le conseil consultatif de l'action sociale par le CPAS, je ne vois pas trop ce que ça veut dire concrètement à part du pognon en plus pour les aparatchiks. Par contre, cette histoire de "stimuler l'échange de services" me fait peur, horriblement peur. Camarade, si tu ne covoitures pas, on viendra crever tes pneus et siphonner ton réservoir. On se croirait revenu aux "beaux jours" du NSDAP.
Echevinat de la citoyenneté ? Sera-til couplé avec celui de la festivité solidaire ? Ou bien avec celui de la solidarité festive ?
@ un lecteur habituel
Oh, je n'ai pas cette prétention, loi de là. Je voulais juste rendre un modeste hommage à Brassens, que je considère comme un des plus grands poètes.
Un texte éminemment délectable, bravo !
Face au "tout à la voiture", n'y a t'il pas quelque chose à faire ?
N'est-ce pas un problème de voir Bruxelles paralysée tous les jours par les embouteillages ?
La "journée sans voiture" n'est certes pas une solution à cela mais sans doute elle crée une prise de conscience: qu'il y a moyen de faire "autrement".
Personnellement, je suis pour un péage urbain à la manière de Londres. Avec des tarifs de péage adaptés, on arrivera à "une journée avec peu de voitures" tous les jours !!
(sans parler du financement induit de Bruxelles)
@ vieux fusil :
Il y a beaucoup moins de différences qu'il ne peut y paraître entre ce qu'il est convenu d'appeler "les sensibilités de gauche" et le vrai libéralisme. Beaucoup de gens s'imaginent à tort que seule la gauche défend la générosité et l'altruisme. C'est totalement erronné : l'individualisme bien compris est la première condition pour une réelle générosité et une rélle solidarité avec son prochain. C'est d'ailleurs pourquoi je pense que beaucoup de gens qui se croient de gauche sont dans les faits de vrais libéraux. Ce qui leur importe, c'est la liberté et la générosité, par la générosité coercitive défendue par les socialistes. Mais je m'éloigne.
Sinon, concernant les éoliennes, je vais vous surprendre encore une fois mais je n'ai rien contre non plus. Bien sûr, le problème est l'implantation des bébêtes, qui ont besoin d'une surface de 100 mètres carrés pour être installées. Le viol des droits de propriété que constitue l'actuel système des "permis d'environnement" va évidemment créer énormément de mécontents comme vous. C'est ça l'écologisme de gauche en action : protéger la nature au détriment de l'homme.
@ Alain
Il ne faut pas tout mélanger quand on aborde le problème de la voiture en ville. Une grande partie de la congestion actuelle est le résultat de la conjonction de deux facteurs :
- une politique de transports en communs proprement désastreuse, qui "force" les utilisateurs à prendre leur voiture. Saviez-vous que le maillage actuel du réseau est basé sur la démographie bruxelloise des années 50 ? Les grandes concentrations de lieux de travail et d'habitation ayant changé depuis, il ne faut pas s'étonner de l'inadéquation de l'offre de transports en commun. Ainsi, le trajet que j'emploie pour me rendre sur mon lieu de travail me prend vingt minutes en voiture et une heure et demie en transports en commun.
Ajoutez à ce mauvais maillage du réseau les risques de grève, les retards permanents et l'inadéquation des fréquences de passage et vous comprendrez pourquoi tant de gens préfèrent encore la voiture.
- une gestion des voiries destinées à décourager les automobiliste et à grossir les embouteillages. Prenez par exemple le passage à deux bandes du boulevard général Jacques, la réduction du nombre de bandes des rues Béliard et de la Loi, la suppression d'une bande rue fossé-aux-loups et rue de l'écuyer et la multiplication des sens interdits et vous aurez une idée des raisons de l'augmentation de la congestion. Ajoutez encore à cela les taxes exorbitantes que font payer les communes bruxelloises aux entreprises qui désirent construire un parking pour leur personnel dans les sous-sols de leurs immeubles et vous comprendrez que les problèmes de Bruxelles sont majoritairement causés par les "responsables" locaux.
La priorité, c'est de résoudre les deux problèmes ci-dessus. Après, s l'engorgement subsiste, on peut discuter de la privatisation des routes et d'une "congestion charge" à la londonienne.
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