14.6.03

Petite mise au point



Cela fait deux fois en l’espace de quelques jours qu’un individu bien intentionné me fait remarquer que les propos que je tiens dans mes chroniques pourraient laisser penser au visiteur peu au fait du libertarianisme que la prose de votre ami Constantin a de forts relents poujadistes.

Même si l’intention est louable, le terme me choque. Il fait, je pense, partie de la panoplie du parfait petit policier de la pensée, au même titre que « ultralibéral » et « fasciste ». Ces trois vocables, vidés de leur sens premier, ne servent plus qu’à désigner les ennemis du collectivisme forcené.

Un peu de vocabulaire pour commencer. Le terme poujadiste désigne une philosophie politique défendue par l’Union de Défense des Commerçants et Artisans fondée en 1954 par Pierre Poujade. A en croire le Larousse, le poujadisme est « antiparlementaire, antieuropéen et nationaliste ». Bien. Il ajoute que « poujadiste », employé péjorativement, fait référence à une attitude revendicative catégorielle ou corporative. Bien bien. Je ne vois pas trop en quoi cela me concerne, mais en bon petit libertarien en quête de vérité, je poursuis mon raisonnement. Primo, le terme est péjoratif. Secundo, plus personne ne sait ce qu’il veut dire exactement. Tertio, il ressort des longues conversations que j’eus avec un important personnage universitaire que le poujadiste est un vilain petit bonhomme aigri qui critique l’Etat et les politiciens sans fondement aucun, les marquant du sceau de l’infâme « tous pourris ».

Là, tout à coup, les choses prennent leur sens. Que fait le libertarien ? Il critique l’Etat et les hommes politiques. Peu importe que sa pensée soit fondée, intellectuellement argumentée et en outre basée sur des ouvrages comme « The Fatal Conceit » et « The Road to Serfdom » de F.A. Hayek, « The Ethics of Liberty » et « For a new freedom : the libertarian manifesto » de Murray Rothbard, ou « Our enemy : the State » d’Albert Jay Nock, c’est un dangereux poujadiste. En outre, le libertarien éprouve une sympathie immodérée pour l’initiative privée, et suggère de retirer à l’Etat l’intégralité de ses compétences pour laisser des entreprises en concurrence s’en occuper. C’est donc un ultralibéral. Enfin, il ose se battre pour la liberté d’expression et contre les distorsions entraînées par les politiques « d’égalité des chances ». S’il ne veut pas que l’on favorise les étrangers, il est donc raciste. Et comme il n’en a pas honte, il ne peut être que fasciste. Ou, pour reprendre un autre raccourci entendu un jour dans la bouche d’une sotte bécasse dont le quotient intellectuel n’était, à n’en pas douter, proche de la température rectale, le libertarien est ultralibéral. Or, le libéralisme est de droite. Donc, une position ultralibérale est une position d’extrême-droite. Donc, le libertarien est un fasciste.

Me voilà donc devenu un facho poujadiste ultralibéral. « Facho » permet de discréditer tout ce que je pourrais dire sur l’immigration – il faudra m’expliquer comment quelqu’un qui est partisan de la suppression des Etats et de la libre circulation des individus pourrait être un fasicste opposé à l’immigration, mais bon - , « ultralibéral » permet de jeter rapidement l’opprobre sur toute intervention tendant à prouver que l’initiative privée permet de grandes choses et « poujadiste » permet de m’empêcher de critiquer l’Etat.

Me voilà muselé au moyen de sophismes bancaux qui cachent mal l’embarras intellectuel de mes détracteurs.

Peu importe que je place au-dessus de toute autre considération le respect de la liberté individuelle et que je ne cherche à imposer mon point de vue à personne du moment qu’on me laisse la liberté d’organiser ma vie comme je l’entends, je ne serai jamais qu’un dangereux nazi néolibéral.