27.6.03

Rosa, rosa, rosam ...





Dans le dossier enseignement du Soir en ligne, une interview de Marcel Crahay, docteur en sciences pédagogiques, nous apprend que la "concurrence" entre établissements est néfaste. En clair , nous jouissons en Belgique d'une situation privilégiée - notamment en comparaison de nos voisins français - car les parents ont le libre choix de leur école, alors qu'en France (ou aux Etats-Unis, d'ailleurs, en ce qui concerne les écoles publiques), les parents sont obligés d'inscrire leurs rejetons dans l'école dont dépend leur domicile. Selon l'éminent M. Crahay, cela est mal, très mal. En effet, cette situation scandaleuse dont jouit la Belgique entraîne, ô horreur, une concurrence entre établissements scolaires sur la qualité de leur projet pédagogique. Tout le monde le sait, dans le bréviaire du parfait petit collectiviste, la concurrence est un terme impie, frappé du sceau de l'infamie et, autant le dire tout de suite, la porte ouverte à une dérive ultralibérale. Ou quelque chose du genre. Ce brave Marcel Crahay en a froid dans le dos.


Passons sur son interview, que vous pourrez lire si vous êtes curieux en utilisant le petit lien en tête de paragraphe précédent. Cette intervention, ainsi que l'actuel déclin de la qualité de l'enseignement me paraît une excellente occasion de vous entretenir de cet épineux sujet. Incubateur des adultes de demain, l'école est un modèle réduit de la société, avec ses travers et ses bons côtés. Les élèves y amènent leurs attentes et leur vécu, et l'on y trouve donc pêle-mêle la société d'aujourd'hui et celle de demain. C'est là aussi que les carences de notre modèle de société se cristallisent et se prêtent à l'observation et à l'analyse.

Bien que le sujet ait été maintes fois abordé, un des premiers traits saillants de la vie dans un établissement scolaire est le peu de cas que les parents et leur progéniture font du travail et de l'opinion du professeur. Les possibilités de recours contre une décision de conseil de classe sont nombreuses, et les élèves et leurs géniteurs fort bien informés de leur fonctionnement. Du coup, ils dépensent une énergie considérable à faire jouer ces mécanismes de sauvegarde, énergie qu'ils eussent plus utilement consacré à l'apprentissage de leurs leçons. Toutes les excuses sont bonnes, même les mensonges les plus patents, pour tenter de faire jouer le système en leur faveur. Ce phénomène met en exergue l'évolution actuelle de notre société, où la moindre sanction d'une faute donne lieu à une recherche des droits dont la "victime" de la sanction dispose. Point de réflexion sur la nature néfaste du comportement incriminé, ce serait sans doute une perte de temps. Cela me rappelle cet avocat pénaliste de ma connaissance qui m'expliquait encore récemment qu'une part importante de ses clients estimait que le travail d'un avocat consistait à faire libérer le plus rapidement possible la personne inculpée, que cette dernière soit ou non coupable. Là non plus, pas de réflexion sur le délit. Les prévenus ont droit à la liberté indépendamment des faits qu'on leur reproche, même en cas de flagrant délit. Curieuse attitude qui pourtant ne choque pas plus que cela.

Une autre caractéristique fascinante est le manque de vision à long terme, conjugué à un sens plus que flou des rapports de causalité entre les événements. L'équation mauvais comportement = sanction = punition n'a plus cours dans les écoles. L'élève qui aurait par exemple insulté un professeur estime que l'expression de ses regrets devrait suffire à lever la sanction. Un peu comme l'accusé lors d'un procès pénal se sent presque obligé de murmurer au juge qu'il regrette, qu'il ne le fera plus, qu'il s'excuse, etc ... Le manque de vision à long terme est patent dans l'anecdote suivante qui m'a été livrée par un ami enseignant : quelques élèves, déclarés "élèves libres" (le jargon enseignant pour désigner des élèves soumis à l'obligation scolaire mais qui ne seront pas évalués ni délibérés à l'issue de l'année scolaire) pour de trop nombreuses absences injustifiées, ont introduit un recours auprès du ministère afin de faire casser cette décision. Persuadés de leur "bon droit", ils arrivent à leurs fins et sont réintégrés. Pour échouer lamentablement quelques semaines plus tard aux examens et doubler leur année. Préoccupés sans doute de l'avancement de leur procédure de recours, ils avaient négligé d'étudier convenablement, voire de mettre leurs cours en ordre après leurs nombreuses absences. Curieux aveuglement...

Bien d'autres rélfexions me viennent à l'esprit en rédigeant cette chronique, je vous propose de les reprendre dès demain.