15.6.03

Poujade, ou de la difficulté de réunir des informations

Décidément, ma petit chronique sur Poujade n'est pas passée inaperçue. Mon grand ami Aristophane Triboulet m'a envoyé un petit courrier ce matin pour me faire part d'un discours de Poujade dont il avait vu une retransmission dans une émission de télévision. Le bonhomme dénonçait l'implantation des supermarchés "Leclerc", qui faisaient selon lui une concurrence déloyale au petit commerce. Poujade ajoutait que Leclerc n'avait sûrement pas inventé ça tout seul et que les Américains le soutenaient sans doute dans l'ombre. Voilà donc notre brave pourfendeur des impôts présenté sous un jour bien moins libéral. Dont acte.

Cette missive m'inspire deux réflexions dont j'aimerais, chers lecteurs, vous faire part. La première concerne la recherche à laquelle je me suis livrée sur le personnage, la seconde sur quelques événements récents qui ne sont pas sans rappeler l'attitude de Poujade à l'égard des supermarchés.


Ainsi que je le faisais remarquer à Aristophane, je me suis livré pour la préparation de cette chronique a une recherche très intensive sur le Net. Quantités d'articles me sont passés sous les yeux, et ce qui me frappe, c'est la quasi-absence de critique sur cet aspect de son discours. Tout ce que l'histoire (en tout cas sa version collectiviste) semble avoir retenu de Poujade, c'est que Jean-Marie Le Pen a fait ses débuts en politique auprès de lui. Fort bien, mais qu'en est-il du reste ? Mystère. Seuls les sites web anglophones font autre chose que râbacher cette éternelle rengaine. Ils se concentrent eux sur la partie qui les intéresse, à savoir la lutte que Poujade a mené contre la pression fiscale qui s'exerçait à l'époque sur les indépendants. Combat louable s'il en est, qui lui a en outre attiré la sympathie des libertariens, au même titre que sa proposition de remplacer le Parlement par les Etats-Généraux. Bref, un grand flou intellectuel règne autour du personnage. Tout ce que les gauchistes en ont retenu, c'est qu'il a soutenu Le Pen (oubliant par là même que Poujade s'est assez rapidement ravisé et l'a expulsé de son parti). Point de critique de sa pensée politique, c'est à présent au-dessus de leurs forces, ils ne peuvent plus que raisonner par amalgames. Du côté libertarien, on ne mentionne pas la part de corporatisme et d'antiaméricanisme du personnage, pour se concentrer sur son message anti-fiscalité. Du coup, l'intellectuel rigoureux se trouve bien en peine de faire une critique réellement pertinente de Pierre Poujade et de son mouvement. C'est fort dommage.


Ce qui m'amuse, c'est la façon qu'ont les gens les plus prompts à qualifier leurs adversaires de "poujadistes" d'imiter Monsieur Jourdain et de faire du poujadisme sans en être conscients. Ainsi, les récents mouvements en France et en Belgique visant à fixer un prix minimum du livre. But avoué de la manoeuvre (qui, faut-il le rappeler, a hélas réussi) : protéger les petits libraires contre la concurrence des grandes surfaces. Ca ne vous rappelle pas quelque chose ? Je me demande ce qu'auraient dit nos fiers défenseurs de la soi-disant "culture" si on les avait taxés de poujadisme ...


Prenons à présent le chantre nauséabond de l'altermondialisme à la française, celui qu'Aristophane, dans un grand moment de lyrisme, qualifie de malfaisant imbécile , j'ai nommé José Bovin (pardon, Bové, désolé, ça m'a échappé). Ce brave homme se bat contre les OGM (un moyen de produire mieux, moins cher et en employant moins de pesticides et d'engrais), contre la mondialisation et pour le maintien de la politique agricole commune. Au nom de quoi ? De la défense de l'exception française et de la lutte contre l'américanisation de la société. Je reproduis en italique un communiqué de la confédération paysanne , le syndicat de José Bovin :

Le grand marchandage planétaire est reparti.Les tenants de la libéralisations des échanges agricoles se sont donnés rendez-vous à Genève du 25 au 31 mars 2003 pour obtenir une ouverture accrue des frontières.Depuis 1992, la Confédération paysanne s'oppose à cette main-mise des multinationales sur le secteur agro-alimentaire. L'Organisation Mondiale du Commerce a relancé depuis la Conférence du Qatar, un cycle de négociations visant à poursuivre la libéralisation des échages de produits agricoles. Depuis 1992, la Confédération paysanne et la Via Campesina dénoncent les mesures qui ont été prises et qui visent à contraindre les pays à ouvrir leurs marchés intérieurs. La libéralisation des échanges de produits agricoles n'a pas, comme le dernier sommet sommet de l'alimentation de la FAO à Rome l'a montré, permis de réduire le nombre de personnes souffrant de malnutrition. Dans le même temps, les profits des multinationales de ce secteur et les dividendes qu'elles versent à leurs actionnaires se sont envolés.

Donc, si je comprends bien, il ne faut surtout pas ouvrir l'agriculture à la concurrence et éviter que les multinationales ne fassent baisser les prix ? Poujadistes, va !



D'autant que finalement, cette ouverture des marchés profiteraient principalement aux pays du Tiers-Monde, qui voient pour l'instant les marchés américain et européen verrouillés pour leur en empêcher l'entrée tandis que USA et UE les innondent de produits subsidiés. La langue de bois n'est décidément plus l'apanage des politiciens.