14.6.03

Pierre Poujade



Pas plus tard qu'hier, chers lecteurs, votre ami Constantin se mettait à disserter sur le poujadisme dont on le taxait. Mû par l'orgueil (et quelque peu froissé par le qualificatif), je me suis mis en tête qu'une recherche rapide dans le dictionnaire et une analyse succinte des propos de ce professeur d'université suffiraient à faire la lumière sur le personnage et sur la définition qui en est actuellement donnée par les détracteurs de tout mouvement de protestation visant la manière dont l'Etat gère la chose publique.

C'était oublier que l'Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et que cela s'applique également en matière d'idéologie. La mémoire de Pierre Poujade (à droite sur la photo) et de son mouvement, l’Union de défense des commerçants et artisans de France, opposé à l'Etat, ne pouvait qu'être noircie par les collectivistes qui ont finalement gagné la bataille idéologique. Heureusement, la recherche d'une photo de ce brave monsieur me conduisit par le plus grand des hasards à un article de Murray Rothbard publié par le Mises Institute . Cet article, rédigé en 1956, c'est-à-dire en plein milieu de la lutte entre les poujadistes et les collectivistes, remet le mouvement poujadiste dans son contexte. L'analyse qu'en fait Rothbard, avec l'esprit acéré qui le caractérise, présente l'histoire sous une toute autre lumière. Le lecteur y apprend que le mouvement était anti-impôts et anti-étatiste, et privilégiait la désobéissance civile (notamment aux agents du fisc) comme moyen d'action. Il n'est donc guère étonnant de constater que les 150 communistes qui siégaient en ce temps à l'Assemblée Nationale se mirent en tête de lui coller les étiquettes de fasciste et corporatiste.

Rapprochement qui est de nos jours facilité par le fait que Jean-Marie Le Pen débuta sa carrière comme député poujadiste. Il se disputa cependant avec Poujade au sujet de la situation en Algérie (Poujade privilégiait une approche légaliste alors que Le Pen voulait établir une dictature de type militaire histoire de mater l'insurrection algérienne) et quitta le parti sans remettre son mandat. Cette excuse des débuts politiques de Le Pen au sein du parti pour discréditer l'entièreté du mouvement semble cependant un peu facile, ainsi que le souligne le site Antiwar.com dans un article sur Le Pen. Qui plus est, Poujade lui-même regrette de l'avoir accepté à cette époque au sein de son mouvement.


Nombre d'articles sur le web sont écrits par des organisations proches de la gauche, et présentent une vue plus que partiale du personnage. Ils n'hésitent pas à le qualifier simultanément d'anticommuniste (alors même que les premiers pas de son mouvement furent soutenus par le PC français et par l'Humanité) et d'anticapitaliste (alors que le mouvement est composé de petits commerçants qui s'opposent à la taxation à outrance de leurs bénéfices), ce qui en soi représente un exploit idéologique, d'antisémite (sans doute à cause de Le Pen, décidément bien pratique), d'antiparlementaire et de nationaliste. Le terme d'antiparlementaire est ici le seul dans lequel on peut trouver un semblant de vérité. Les détracteurs de Poujade s'abstiennent cependant de mentionner que ce que Poujade voulait, c'était substituer au Parlement des Etats-Généraux , c'est-à-dire remplacer une représentation géographique par une réprésentation sociologique. A bien y réfléchir, le système semble intéressant : il évite une surreprésentation d'une classe sociale au détriment d'une autre, ainsi que le risque que le Parlement soit majoritairement formé d'une élite sociale et intellectuelle et s'éloigne ainsi des préoccupations des citoyens. Il n'est généralement pas non plus fait mention de la principale revendication de Poujade, qui s'opposait à la hausse de la fiscalité frappant les petits commerçants, à l'intensification des contrôles fiscaux décidée par Mendès France et surtout à la loi votée par le gouvernement qui autorisait l'emprisonnement de tout citoyen s'opposant à un contrôle.


J'ai été fort surpris d'apprendre que Pierre Poujade, à 83 ans, était toujours vivant. Lors des dernières présidentielles, il a accordé son soutien au premier tour à Jean-Pierre Chevènement, un fait dont je ne suis pas sûr de savoir que penser. Il est également monté au créneau lors des manifestations anglaises contre l'augmentation des taxes sur les produits pétroliers, ce qui reste dans la droite ligne des idées qu'il a toujours défendues.


Que penser dès lors de Pierre Poujade ? Que l'analyse de son parcours politique mérite qu'on s'y arrête, et que le terme péjoratif "poujadiste" relève plus de la propagande collectiviste que d'une réalité historique. Et qu'il n'est peut-être pas si honteux que cela après tout d'être comparé à lui.