19.5.06

Les carabiniers d'Offenbach

Les "Brigands", une opérette du compositeur allemand Jacob Offenbach, met en scène une troupe de carabiniers qui arrivent toujours après la bataille. On peut en dire autant de nos courageux tirailleurs de la Commission Européenne : ils viennent en effet de s'indigner avec force effets de manche des tarifs de roaming pratiqués par les opérateurs de téléphonie mobile en Europe et de se proposer d'agir.

En-dehors du fait que cette situation, comme le rappelle l'Institut Molinari dans une chronique lapidaire, soit le fait des réglementations étatiques, et non du libre jeu de la concurrence, il est amusant de voir à quel point nos Commissaires se trompent sur le "manque de dynamisme" des marchés. Les initiatives privées fleurissent en effet en ce moment pour offrir aux consommateurs intéressés le roaming à bas prix. Ainsi, The Economist publie en deuxième de couverture une publicité pour la firme Vodaphone intitulée "Take your home tariff abroad". Vous l'aurez deviné, il s'agit d'un plan de roaming bon marché. Et l'initiative de Vodafone n'est pas la seule. Faites un tour sur Google et vous verrez ce qu'il en est. Remarquez, d'ailleurs, que le marché du roaming alternatif est particulièrement vivace chez ces vilains ultralibéraux de la perfide Albion.

La morale de cette petite histoire est double. Tout d'abord, ne comptez sur les Etats que pour enfoncer des portes ouvertes et s'intéresser avec fracas à des problèmes déjà résolus. Ensuite, et surtout, ne croyez pas ces fables que l'on vous sert sur la prétendue inefficacité des marchés : même sur un marché aussi étatisé et régulé que la téléphonie mobile - ce sont les Etats qui décident qui peut entrer sur le marché - les lois de la concurrence parviennent encore à s'exprimer. Que la Commission continue donc à inventer des réglementations absurdes et tâtillones, je ne sais pas moi, sur les normes de qualité des concombres et laisse les entrepreneurs faire leur travail, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.






P.S. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un extrait de cette passionnante réglementation sur les concombres :

"Les concombres légèrement recourbés peuvent avoir une hauteur maximale de l'arc de 20 millimètres pour 10 centimètres de longueur du concombre."


Y a pas à dire, la Commission sait s'y prendre lorsqu'il s'agit faire avancer l'humanité.







13.5.06

Toujours plus de la même chose

S'il est une école en psychologie qui m'a toujours fasciné par la clarté de sa pensée, la rationnalité de sa démarche et le caractère scientifique des validations effectuées sur le terrain, c'est l'Ecole de Palo Alto, dont le plus illustre représentant est Paul Watzlawick. Selon Watzlawick, une grande partie des comportements névrotiques sont causés par une représentation erronée de la réalité chez le névrosé, représentation qui lui permet seulement une observation tronquée de sa névrose : sa "définition de la situation" ne lui permet pas d'entrevoir le problème. Du coup, le névrosé qui essaie de résoudre seul son problème adopte une attitude que Watzlawick appelle "toujours plus de la même chose" : il tente à chaque fois avec plus d'intensité d'adopter un comportement qui en réalité renforce le problème. L'exemple classique donné par Watzlawick est celui d'un orateur qui souffre de trac : en général, il tente de dissimuler ce trac à son public. Mais voilà, plus il tente de celer son trouble et plus ce dernier prend de l'importance. L'orateur met alors au point des stratégies de dissimulation encore plus élaborées, qui ne font en général que rendre sa peur du public plus grande.

"Toujours plus de la même chose", c'est malheureusement la règle appliquée par les gouvernements et les intellectuels qui les conseillent, les défendent ou même les critiquent : la solution proposée aux problèmes de société générés par l'intrusion étatique est invariable : augmenter encore cette intrusion étatique.

Les exemples abondent dans l'actualité. L'édition du 11 mai de Trends/Tendances nous apprend par exemple que l'Etat, pour remédier au chômage des plus de 45 ans, va subsidier les entreprises qui emploient du personnel de cette catégorie d'âge et mettent au point des "stratégies innovantes" pour les maintenir au travail. Le chômage des plus de 45 ans est principalement causé par l'action étatique, et cela se vérifiée d'autant plus que l'âge augmente. Le coût d'un travailleur âgé, dont l'expérience lui permet d'obtenir un salaire plus élevés que ses collègues plus jeunes, est nettement plus important pour l'entreprise, non en raison du salaire mais de l'effet de doublement du coût engendré par les prélèvements de cotisation sociale obligatoire. Les systèmes qui permettent aux entreprises de "prépensionner" leurs employés âgés plutôt que de les licencier en cas de restructuration sont une autre cause du faible taux d'activité des plus de 55 ans. Tant que ces incitants structurels au licenciement subsisteront, une politique de subsidiation des travailleurs âgés ne sera qu'un emplâtre sur une jambe de bois. Et quand bien même ces subsides contribueraient-ils malgré tout à conserver leur emploi à quelques-uns, je vous fiche mon billet qu'en contrepartie les entreprises se sépareront de quelques "plus de 25 et moins de 45 ans", qui ont l'horrible défaut de ne pas être subsidiés d'une manière ou de l'autre.

Le "toujours plus de la même chose" peut parfois prendre un caractère si absurde qu'il ferait presque rire si la situation n'était en elle-même d'une tristesse désespérante. Ainsi, le meurtre de Jo Van Holsbeeck à la Gare Centrale de Bruxelles, il y a quelques semaines, a poussé quelques abrutis gouvernementaux à proposer la création d'un "service civil", que d'aucuns voudraient même rendre obligatoire. En quoi le fait de forcer les jeunes à travailler pendant un an pour l'Etat leur rendrait-il cette "citoyenneté solidaire et responsable" dont les intellectuels raffolent ? En quoi cela empêchera-t-il des jeunes désabusés par le manque de perspectives d'avenir et la difficulté de s'intégrer dans la société de sortir leur couteau à la première occasion ? On nous vante "l'expérience" que cela représenterait d'être intégré dans un environnement où chacun serait amené à fréquenter des gens issus d'un autre milieu que le sien. Que je sache, le défunt service militaire ne proposait pas autre chose. A-t-il en quoi que ce soit favorisé l'acceptation de l'autre ? Demandez à nos aînés, vous verrez qu'il n'en est rien. C'est même le contraire, d'ailleurs, les préjugés sont sortis renforcés de cette expérience. D'ailleurs, point n'est besoin de revenir dans le temps pour le comprendre. L'école, ce lieu de brassage social forcé - chaque cabinet socialiste a à coeur de lier un peu plus les mains des écoles pour qu'elles ne puissent refuser un élève qui ne s'intégrerait pas dans l'établissement - permet-elle de diminuer le racisme, le désenchantement et la haine de l'autre ? Si c'était le cas, il ne serait pas nécessaire de créer un service civil juste après pour réapprendre aux jeunes les précieuses leçons de vie distillées à l'école. L'instauration d'un tel service civil obligatoire rendra encore plus criants les problèmes de chômage, quel que soit le niveau du diplôme obtenu : le jeune ingénieur qui a, à l'occasion de son mémoire, noué des contacts avec une ou plusieurs entreprises, ne pourra bénéficier de leur intérêt qu'à l'issue de son service civil. Mais aura-t-on encore besoin de lui à ce moment ? Le jeune électricien diplômé d'une école secondaire professionnelle, à qui la société auprès de laquelle il a effectué son stage de fin d'études a proposé un emploi dès qu'il aura son diplôme en poche se verra lui aussi obligé d'attendre. Pire, à se retrouver dans un travail obligatoire qui n'aura sans doute rien à voir avec son diplôme, il perdra un peu de cette expérience que les employeurs valorisent tant chez les jeunes. La création de telles frustrations contribuera-t-elle réellement à créer cette société de paix et d'amour dont nos étatistes espèrent forcer l'avènement ?

Les idées de l'Ecole de Palo Alto ont été exprimées pour la première fois vers la fin des années 60, force nous est de constater qu'elles n'ont pas encore fait leur chemin jusqu'au cerveau de nos "élites" politiques ou intellectuelles. Tant qu'il en sera ainsi, ces élites continueront à tenter de "faire le bien de la population malgré elles" par la force, agravant une situation dont la cause réside dans leurs prédédentes actions.