31.5.04

L'enfer libertarien

Lorsque je me retrouve à débattre de solutions libertariennes aux grands problèmes de société, je suis toujours étonné par l'image qu'ont mes contradicteurs de ce que serait un monde libertarien. A les en croire cela ressemblerait à une sorte de jungle urbaine et sans loi dans laquelle errent de pauvres drogués hagards, violents et armés jusqu'au dents au volant de bolides hurlants et vrombissants qu'ils conduisent en se prenant pour Schumacher sur le circuit d'Imola, aplatissant sans pitié les pauvres petits enfants qui auraient le malheur de se trouver sur leur route avant de se rendre dans le bunker où ils rangent leurs ADM pour y décharger le plutonium qu'ils viennent d'acheter dans une grande surface dont les allées sont jonchées d'héroïnomanes séropositifs en plein trip que de pauvres grand-mères enjambent en cachant les yeux de leurs petits-enfants qu'elles portent dans leurs bras trop faibles en émettant un sifflement asthmatique causé par l'effort, la fumée de cigarettes omniprésente et la crainte de se faire arracher leurs bambins par des barbouzes armés agissant en plein jour comme kidnappeurs pour des réseaux de commerce d'enfants à destination de riches pédophiles barricadés dans leurs villas de luxe autour desquelles patrouillent les chars d'assaut de milices privées endurcies par les massacres qu'elles n'hésitent pas à perpétrer en guise d'entrainement, sûres de jouir de l'impunité puisque les sociétés de justice privées sont entrées dans leur capital il y a peu.

En un mot comme en dix, ils semblent obnubilés par l'idée - fausse, bien entendu - que les libertariens veulent abolir l'ordre et la civilisation. Mais pourquoi diable sont-ils la proie de cette fallacieuse impression ?

Je me demande s'il ne faut pas y voir le résultat de plusieurs décennies de propagande collectiviste. Le concept d'individu libre et responsable semble de moins en moins faire l'unanimité. Pour les collectivistes, comme pour l'Eglise catholique dans ses moments les plus glorieusement obscurantistes, la chair est faible. L'individu est en proie aux passions les plus destructrices, et par conséquent il est incapable de sens commun. Il faut le protéger contre lui-même, et c'est là selon eux le rôle de l'Etat : le Parlement devient un aréopage de despotes éclairés qui, par pur altruisme désintéressé, "font le bien des gens malgré eux". Dans ce modèle de société, l'Etat se transforme en une sorte de père bienveillant chargé de surveiller non plus des citoyens, mais de simples enfants, dépourvus de tout libre arbitre et allégés de l'éprouvant fardeau de la responsabilité de leurs actes.

Pour les partisans du tout-à-l'Etat, dépénaliser le commerce et la possession de drogues, qu'elles soient douces ou dures, c'est la porte ouverte à tous les abus. Privée des garde-fous que nos bienveillants édiles avaient placés, la population entière se ruera sur les officines distribuant ces produits psychotropes pour se métamorphoser un un troupeau bêlent de junkies hébétés. Autoriser la possession d'armes à feu transformera notre riant pays en un sanglant Far-West où chacun tirera sur l'autre à la moindre occasion. Permettre aux commerçants d'ouvrir leur magasins quand bon leur semble, c'est ouvrir la porte à l'exploitation de pauvres employés par d'horribles patrons qui s'enrichiront sur leur dos.

Passons même sur la triste opinion qu'ont ceux qui nous gouvernent de notre capacité à agir en adultes responsables, ce qui est encore plus navrant c'est l'existence de ce dogme qui voudrait faire de l'interdiction une sorte de baguette magique destinée à faire disparaître les problèmes de société. Sont-ils à ce point aveugles ?

Prenons l'exemple de la drogue. Depuis 1993, la France a considérablement durci sa politique en matière de lutte contre les drogues, et en particulier contre le cannabis. Cela a-t-il changé quelque chose ? Le 8 mai dernier, une émission de télévision sur F5 faisait le point en la matière : au moment de la nouvelle loi sur les stupéfiants, on comptait 500.000 usagers de cannabis. Aujourd'hui, ils sont 7 millions. Faut-il ajouter quelque chose ?

Que le libertarianisme soit assez radical ne fait aucun doute. Pour les libertariens, l'Etat doit disparaître - si vous avez affaire à un anarcho-capitaliste - ou être réduit à la portion congrue - c'est l'option "modérée" des minarchistes. Le cadre législatif qui entoure un univers libertarien est fort réduit. Il s'agit essentiellement de faire respecter les Droits Naturels des individus : liberté, intégrité physique et propriété. Chacun est libre de faire ce qui lui plaît tant que cela ne porte pas atteinte aux droits de quelqu'un d'autre. Il ne s'agit donc nullement de cautionner une sorte de jungle sans loi où chacun fait ce qu'il veut sans se soucier le moins du monde de son prochain. Mais la différence est de taille. Dans un monde libertarien, les individus assument les conséquences de leurs actes. Et de leurs actes seulement. Il n'est pas question de punir quelqu'un pour un acte qu'ils pourraient commettre un jour ou parce que leur conception de la morale n'est pas la même que celle du législateur. Un héroïnomane, dans un monde libertarien, n'a pas à être inquiété tant qu'il se détruit lui-même. c'est sa liberté. Mais si ce faisant il porte atteinte aux droits d'une autre personne, il dera en assumer la responsabilité.

Loin d'ouvrir la porte à tous les abus, cette vision du monde rend à l'individu sa liberté et la responsabilité qu'elle entraîne. Plutôt que de confier à l'Etat de décider de ce qui est bon pour la population, c'est à chacun de décider de sa propre conduite et d'en assumer les conséquences.

Nous assistons actuellement à un recul drastique des libertés individuelles sous le prétexte fallacieux que les individus ne sont pas responsables. Si nous ne nous dépêchons pas d'agir et de faire entendre notre voix, le jour n'est pas loin où l'Etat interdira les couteaux de cuisine sous prétexte qu'il serait facile à un mari violent de s'en servir pour découper sa femme en morceaux.





17.5.04

Not in my backyard ?

Les événements récents le démontrent hélas amplement : tout ce qui vient des Etats-Unis n'est pas nécessairement un progrès. Les prisonnniers d'Abou Ghraïf vous diront sans doute le contraire - les geôliers de Saddam étaient quand même nettement plus inventifs lorsqu'il s'agissait de faire parler un opposant - mais il n'en reste pas moins que certaines coutumes venues d'Outre-Atlantique auraient mieux fait de ne pas dépasser le Triangle des Bermudes. Parmi celles-ci, l'habitude d'appeler Nimby - acronyme de Not In My Backyard - les infortunés qui ont le front de s'opposer au nom de leur bien-être au progrès salvateur dispensé par nos élites bien-pensantes.

Et quoi ? Ces cuistres ont l'outrecuidance de refuser l'installation d'un incinérateur de déchets dans leur commune ? Ils refusent de se faire survoler par des Boeing 747 tous réacteurs hurlants ? Ils s'opposent à l'installation d'une usine dans leur riante bourgade champêtre ? La honte soit sur eux, que leur descendance soit maudite jusqu'à la dixième génération ! Ne se rendent-ils pas compte que la solidarité leur impose de se sacrifier pour le bien collectif ?

A en croire les censeurs auto-appointés au service de la Pensée Unique, les nimby seraient de vilains petits individualistes intéressés par leur seul bien-être. Et de les vilipender d'importance dans les journaux écrits et télévisés bien-pensants, maigres reliefs de notre morne plaine médiatique. Pourtant, peu nombreux seraient ceux parmi les pourfendeurs de l'égoïsme anticitoyen qui seraient prêts à consentir sans résistance aux divers projets que les nimby refusent. Ils ont beau jeu de conspuer les futurs riverains de l'incinérateur de déchets, ils chanteraient sans aucun doute sur un autre ton s'il s'agissait de l'endroit où ils vivent.

La problématique "nimby" a cependant le mérite de soulever une question enterrée par le droit civil il y a près de deux siècles : la nécessité pour les industriels d'indemniser les propriétaires lésés par leurs activités. A l'époque, n'importe quel citoyen incommodé d'une façon ou d'une autre par les actions d'une autre personne - ou d'une entreprise- pouvait engager devant les tribunaux civils une procédure qui, pour peu que le cas soit solide, avait de fortes chances d'aboutir à une juste indemnisation. Peu à peu, cependant, les pouvoirs exécutif et judiciaire ont présidé à une lente transformation du droit permettant de contourner cet obstacle sur le chemin du progrès. En instituant un système de "permis d'exploitation", le législateur a entamé un processus de près d'un siècle qui a vu les possibilités de procédure civile à l'encontre d'entreprises disposant d'un permis en règle se réduire comme peau de chagrin. Les conséquences de cette évolution - ne vaudrait-il pas mieux parler de régression - sont loin d'être anodines.

En supprimant la possibilité pour le citoyen lambda de se retourner contre une entreprise dès lors qu'un permis a été accordé à celle-ci, l'Etat a en effet collectivisé la gestion de l'environnement. Dès lors, pour peu qu'elles aient pu agiter les bonnes ficelles - ce qui, vu la collusion entre nos élites dirigeantes et les patrons des grandes industries, était souvent un jeu d'enfants - les industries ont pu obtenir le blanc-seing leur permettant de polluer autant qu'il leur plairait. Privez les riverains d'une petite rivière de Wallonie de la possibilité de se retourner contre la tannerie voisine pour exiger la cessation des rejets rendant l'eau de la rivière impropre à la pêche, à la lessive ou à la consommation et vous ôtez tout incitant à un comportement respectueux de l'environnement. Empêchez les voisins d'une usine sidérurgique de porter plainte à cause des rejets de suie qui recouvrent leur jardin d'un linceul noir des plus déprimants et vous ouvrez la porte à la pollution de l'atmosphère à grande échelle.

Nos amis écologistes qui ne manquent pas une occasion - parfois à juste titre, notez-le bien - de critiquer vertement la pollution industrielle feraient bien de se rappeler que c'est l'Etat, en faisant disparaître les possibilités de recours devant les tribunaux contre cette pollution, qui a déresponsabilisé les entreprises. Le mouvement nimby représente donc un prometteur retour d'un véritable contrôle par les personnes les plus concernées - les riverains - citoyen sur les nuisances causées par l'activité industrielle avec la bénédiction de l'Etat. Loin d'être un fléau prétendument irresponsable, l'individualisme est la seule voie de sortie réellement "durable" des actuels problèmes de gestion de l'environnement.



8.5.04

Le silence est d'or


Beaucoup d'eau est passée sous les ponts depuis ma dernière intervention sur ce petit coin de toile. A peine le temps de cligner des yeux et voilà que mon dernier post remonte à plusieurs mois ! Tempus irraparabile fugit.

Pendant ce temps, le monde a continué de tourner, et la folie étatiste de gagner du terrain. Et pourtant, de nouvelles personnes se sont intéressées au mouvement libertarien. L'AGLLB - avant-garde ludique des libertariens bruxellois - s'enorgueillit d'un nouveau membre et fait plus que jamais trembler les vitres de cafés du parvis de Saint-Gilles quand ses membres entonnent gaiement leur hymne au vieux Murray :

Au 31 de février
Au 31 de février
M'est arrivée par le courrier
M'est arrivée par le courrier
Une missive du gouvernement
Qui disait : "l'argent que t'as gagné,
Mon p'tit ami, on va le taxer"

Buvons un coup là là
Buvons en deux
A la mémoire du vieux Murray
A la santé des libertariens
Et merde pour le gouvernement
Qui nous pique tout notre argent