Une de mes amies a été gâtée par la nature : ses yeux bleus et ses cheveux dorés ravissent le regard, et son humour et son caractère pétillant rendent sa conversation extrêmement plaisante. Hier, elle m'a annoncé à brûle-pourpoint qu'elle était passée chez le coiffeur pour se faire teindre les cheveux en brun. Les esprits ricaneurs auront déjà complété : "ha ha, une blonde qui se teint en brune, c'est de l'intelligence artificielle". Croyez-le ou non, mais c'est précisément les blagues sur les blondes qui sont à l'origine de sa décision : lassée d'entendre ces blagues fleurir autout d'elle à chaque fois qu'elle apparaît quelque part, elle a décidé de tenter un anonymat capillaire qu'elle espère salutaire.
Quelqu'un s'est-il déjà interrogé sur les raisons de la popularité des blagues sur les blondes ? Ma théorie sur le sujet rejoint celle de l'éminent humoriste Pierre Desproges sur les blagues belges. Voici ce que disait le maître :
"Pourquoi les Belges prêtent-ils à rire ? Autrement dit, pourquoi diable et comment se fait-il donc que les belges soient la cible des amuseurs avinés de fins de banquets ruraux ? Dans son livre Comment vivre heureux en attendant la mort
, le Pr Léon Métastasenberg, président de la ligue pour le racisme sauf l'antisémitisme (LICA), émet une hypothèse fort séduisante, certes, mais moins que ma belle-soeur Fabienne dont la peau dorée à peine duvetée de blond sur l'arrondi de l'épaule, me donne envie de mordre dedans pour assouvir le désir éclatant que j'ai d'elle quand l'air chaud de foin coupé s'exhale au crépuscule de juillet. De juillet de l'année dernière. Cette année, on se gèle les couilles. Selon Léon Métastasenberg, le Belge prête à rire parce qu'il est blanc, ce qui permet aux comiques chafouins de se gausser à ses dépens sans encourir les foudres des diveres associations pour la défense de la dignité des Bougnoules."La blonde, c'est le Belge du XXIème siècle. D'abord parce qu'il y a des blondes belges, ce qui permet à ces derniers d'avoir également leur tête de Turc (que les Turcs présents dans la salle veuillent bien me passer cette expression qui ne sert nullement à dénigrer leur culture que je trouve admirable). Ensuite, parce que vingt-cinq ans ont passé depuis l'âge d'or des humoristes français, l'époque où Desproges, Le Luron et Coluche sévissaient ensemble sur les ondes et dans les salles de spectacle. Durant ce quart de siècle, la chape de plomb de la censure des bien-pensants s'est apesantie sur la société. Les lois violant la liberté d'expression qui ont été votées en France et en Belgique - ces lois qui visent à punir l'expression de propos racistes, antisémites ou homophobes - et la mode du politiquement correct importée des USA au mépris de toute politique d'exception culturelle ont profondément transformé les mentalités. Plus personne, à part sans doute les abrutis du Front National, n'ose raconter de blagues sur les juifs, sur les arabes ou les noirs. Est-ce réellement un bien ? Cela a-t-il fait reculer le racisme ? A voir l'inexorable montée des partis d'extrême-droite en francophonie continentale, il est permis d'en douter. Et rien n'est plus logique.
Une des fonctions de l'humour est en effet, à mon sens, de dédramatiser les situations, de faciliter l'intégration de nouveaux faits dans l'image que nous avons de la société, d'exorciser les peurs. Souvent, il sert aussi de soupape à la frustration vécue par une population. De nombreuses blagues sur les difficiles conditions de vie circulaient en Europe de l'Est avant la chute du mur. Un humour parfois grinçant, et parfois difficile à apprécier pour quelqu'un qui n'a pas vécu du mauvais côté du rideau de fer. Les blagues "racistes", à mon sens, ont joué un rôle important dans l'acceptation de la réalité de l'immigration du dernier demi-siècle. Les blagues sur les Italiens qui circulaient en Belgique dans les années soixante et septante ont peu à peu fait place aux blagues sur les maghrébins. Leur succès à l'époque faisait-il de la population une bande de honteux racistes ? Non. Que du contraire, suis-je même tenté d'affirmer, ces blagues permettaient d'évacuer une partie de la tension causée par la différence et la crainte que celle-ci inspirait. Le propre de l'humour des blagues raciales est de forcer le trait, de jouer sur les stéréotypes. Ce faisant, il permet de souligner, puis d'accepter et d'intégrer la différence. Les blagues sur les homosexuels ont joué le même rôle. Qui a plus de trente ans et n'a jamais raconté ce genre de blague ? Preque personne, j'en prends le pari. Cela fait-il des trentenaires une bande d'abominables racistes homophobes ? Non, car la majorité des gens savaient prendre les choses au second degré, faire la part des choses entre l'humour et la réalité.
Quand Patrick Timsit, dans un grand moment de génie humoristique, affirmait que "les trisomiques, c'est comme les crevettes, tout est bon sauf la tête", avait-il en tête de déprécier ces pauvres gens ? Bien sûr que non, son propos se voulait humoristique. Il jouait sur la gêne que chacun ressent quand il croise un mongolien ou un handicapé mental. Cette gêne n'est pas causée par la haine ou le mépris, mais par le caractère insolite de la situation, et le fait de ne pas savoir comment se comporter pour signaler qu'on a reconnu et accepté la différence, et qu'on ne sait pas comment se comporter "normalement" vis-à-vis de l'autre. Rire du mot d'esprit de Timsit n'est pas le signe de la méchanceté, mais de la reconnaissance de cette gêne qui précisément fonde la blague. Comme les blagues sur les 11 semptembre, sur le tsunami témoignent du choc émotionnel suscité par ces événements. Comme les médecins, militaires, pompiers, ambulanciers, échangent de macabres (nous semble-t-il) plaisanteries sur leur quotidien. Tout cela a pour but de dédramatiser, de souligner l'absurdité apparente du monde, de reconnaître et de dépasser les stéréotypes, ou bien de soulager la tension ou la frustration.
Et c'est là que les blagues sur les blondes sont fondamentalement différentes. On ne retrouve plus derrière ces tendances salutaires. Mon amie me le faisait fort pertinemment remarquer : personne, à part les rustres et les malpolis, n'aurait l'indécence de raconter une blague sur les noirs en présence d'un noir. Ou alors seulement s'il connaît la personne et sait que celle-ci ne le prendra pas en mauvaise part. Par contre, personne n'hésite à lâcher une blague sur les blondes en présence d'une blonde. Au contraire, même, certains prennent même un plaisir sadique à raconter aux blondes et à elles seules des blagues éculées dont le seul point commun est de se gausser des blondes.
En devenant en apparence plus respectueuse, notre société a cristallisé toutes ces frustrations désormais inexprimées en une méchanceté gratuite à l'égard des blondes. Le "politiquement correct" voulait modeler la société pour la rendre plus civilisée. Sous ce vernis de respectabilité, la réalité a pris une nature beaucoup plus malveillante. Le même mécanisme est à l'oeuvre sous le discours qui abuse des mots "citoyenneté" et "solidarité". Ce n'est sans doute qu'une question de temps avant que les "égoïstes" ne soient livrés à la vindicte populaire.