Le magazine
Trends-Tendances révèle dans un court entrefilet un petit drame de l'autocensure qui s'est déroulé au sein de la rédaction de
La Libre Belgique la semaine dernière.
L'infortuné héros de cette histoire est Corentin de Salle, de
l'Institut Hayek, collaborateur régulier de La Libre Belgique, à qui il livrait régulièrement des chroniques incisives. L'imparfait est de rigueur, puisque la Libre a abruptement mis fin à la collaboration, nous apprend Trends-Tendances, suite à un article de Corentin intitulé
Le Mal Radical dans lequel, selon le journaliste de Trends, Corentin
"[développait] le délicat problème d'une éventuelle primauté raciale".
Je n'éprouve aucune sympathie particulière pour l'Institut Hayek, dont l'atlanticisme farouche et le néoconservatisme me révulsent grandement, ce qui ne m'empêche cependant pas d'être occasionnellement d'accord avec eux sur certains sujets. L'Institut m'avait d'ailleurs fait l'honneur il y a quelques mois de reprendre une lettre ouverte que j'avais écrite à l'hebdomadaire anglais "The Economist" et originellement publiée sur
Chacun pour Soi, dans laquelle je dénonçais l'inculture économique qui poussait les rédacteurs de cette publication à oser prétendre, cent cinquante ans après "Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas" de
Frédéric Bastiat que Katrina n'aurait en fin de compte que des effets positifs pour l'économie américaine. Malgré nos désaccords profonds sur certains sujets, je reste persuadé que Corentin de Salle est un homme de bien et un intellectuel respectable même s'il a souvent tort. Qu'il soit l'infortunée victime de l'autocensure que la Libre Belgique s'inflige me rend fort marri.
Ce pauvre Corentin a malheureusement oublié que nous sommes à l'époque de la dictature des bien-pensants. Toutes les opinions ne sont plus bonnes à exprimer. En ce début de XXIème siècle , la pudibonderie règne en maîtresse absolue sur le terrain des idées. Ceux qui vont à l'encontre des tabous peu à peu mis en place par une élite socialiste en quête d'idéal depuis la chute du Mur de Berlin avec la complicité d'une droite démissionnaire qui a depuis longtemps renié les principes du libéralisme pour se vautrer dans le conservatisme honteux, ceux qui vont à l'encontre de ces tabous, disais-je, sont cloués au pilori avec une hargne qui en dit long sur le sentiment de culpabilité rentrée de leurs accusateurs.
Certes, l'argumentaire de Corentin n'est pas exempt de défauts. Mon ami Gadrel relève notamment que "les trois exemples qu'il donne (Irak, Iran, Corée du Nord), supposément exemplatifs de cultures inférieures, sont le fait de l'action étatique". Pourquoi cette confusion entre "culture", "pays" et "régime" ? Peut-être par peur de choquer le lecteur ou de franchir la limite qui l'exposerait à l'ire des censeurs bien-pensants ? Sans doute l'aurait-on encore plus aiésment taxé de racisme s'il
avait parlé, au hasard, de l'excision des jeunes filles en Afrique subsaharienne, de l'asservissement de la femme dans les sociétés méditerranéennes, ou du racisme "ethnophobique" qui sévit en Afrique Noire pour illustrer son propos. Malgré cette précaution, sa crainte s'est avérée fondée. A postériori, on peut donc déplorer la confusion qu'il entretient ici. Il est cependant indéniable que son analyse eût gagné en clarté s'il avait clairement circonscrit son propos. Maintenant, il est possible que ce soit son néo-conservatisme rabique qui l'a amené à illustrer ainsi sa thèse. Mais, si telle est la véritable raison, en confondant ainsi la énième justification "morale" de l'interventionnisme criminel des Etats-Unis une thèse intéressante sur les différences culturelles, Corentin n'a fait que compliquer un problème déjà épineux en soi.
Les mésaventures de ce jeune homme me renvoient à mon actuel livre de chevet, "Les Maîtres Censeurs" d'Elisabeth Lévy. L'auteur y explique que la gauche moderne, en rupture d'idéal, s'est lancée dans une frénétique entreprise de déni de la réalité. Cette entreprise passe par la création de tabous : certaines idées ne peuvent être exprimées, certains sujets ne peuvent être discutés ou débattus, car cela mettrait à nu l'implacable vérité que l'on cherche à cacher, à se cacher. Ces tabous sont ensuite exprimés et repris par les élites politiques et médiatiques, voire parfois même coulés en lois : interdiction de propos "révisionnistes", "racistes" ou "xénophobes". Notons au passage que les définitions sont suffisamment vagues pour permettre toutes les interprétations, fait d'autant plus grave qu'autorisation est simultanément faite à des personnes morales de s'instituer juges d'instruction et d'ester en justice pour tous les cas qu'elles jugent relever de leur compétence. Mais pourquoi ces tabous ? Reprenons un court passage du livre de Mme Lévy :
En somme, après avoir renoncé à changer le monde, ils n'entendent pas permettre que celui-ci soit interprété. "Comprendre, c'est justifier" pourrait être leur maxime. Autrement dit, on ne saurait comprendre que ce qui est déjà compréhensible, tolérer que ce qui est considéré comme tolérable. [...] Aujourd'hui, les média ont remplacé les bibliothèques et l'espace public est défini par ce dont l'intelligentsia admet que l'on parle. Comme si la contagion menaçait tout esprit trop curieux, comme si, à manier certaines idées, elles risquaient de vous sauter au cerveau.
Quelles sont les vérités que l'on cherche à celer, ces idées que l'on ne peut étudier ? Et bien, par exemple, le mythe de l'intégration réussie qui a cours chez nos voisins de l'Hexagone. Les récentes émeutes ont failli le faire un instant voler en éclat, mais depuis la machine à propagande a repris son "ronron" rassurant et le gouvernement français promet à ses citoyens que les moyens supplémentaires accordés à la politique d'intervention permettront sous peu de résoudre le problème. "Toujours plus de la même chose", aurait dit Paul Watzlawick.
Dans son article, Corentin a eu l'immense tort aux yeux de ses détracteurs de mettre en exergue, fort maladroitement, certes, un comportement essentiel au maintien en place du mythe de l'intégration : la tendance schizophrène des élites bien-pensantes à simultanément nier la différence entre les cultures d'Europe de l'Ouest et les cultures d'origine des populations immigrées, à exalter cette différence, et à insinuer, dans un typique cas d'autoflagellation qu'à tout prendre ces dernières sont supérieures aux nôtres. A la lecture de son article, on constate qu'il n'est nullement question d'affirmer une supériorité absolue de la culture occidentale sur les autres cultures, mais plutôt d'affirmer l'inégalité entre cultures. Chose que font d'ailleurs admirablement nos hommes politiques, puisqu'ils entendent par exemple imposer toujours et partout les droits de l'homme. Sous-entendu : un régime qui ne respecte pas les droits de l'homme, une culture qui les nie, ne saurait qu'être barbare. Curieusement, quand l'idée vient d'eux, elle semble exemptée comme par magie de l'obligation de respecter le tabou. Mais que quelqu'un comme Corentin fasse le lien logique qui consiste par exemple à dire que, puisque certaines cultures d'Afrique subsaharienne pratiquent l'excision des jeunes filles et que cette coutume est barbare, il est certain que ces cultures nous sont, au moins en ce domaine, inférieures, et la levée de boucliers est immédiate. Pourtant, cela ne revient pas à dire que ces cultures sont inférieures aux nôtres toujours et partout, mais cela suffit cependant pour que l'on fasse à Corentin ce procès d'intention.
La "reduction ad hitlerum" est en place. Corentin parle de différences entre cultures, et de la supériorité de certaines valeurs sur d'autres. Il n'est en cela guère différent de ces gens qui s'insurgent - à juste titre - contre l'homophobie, le racisme ou l'antisémitisme. Ils expriment que certaines valeurs, dont la tolérance, qui sont l'apanage de nos cultures occidentales, sont supérieures à d'autres, dont l'intolérance, qui sont l'apanage d'autres cultures. Mais il est des opinions qu'il n'est pas bon d'exprimer, des sujets sur lesquels il est interdit de réfléchir autrement qu'en termes convenus et acceptés par les maîtres censeurs. En franchissant les limites tracées par les bien-pensants, l'infortuné collaborateur de la Libre ne pouvait que s'exposer à leur courroux destructeur. Le verdict est sans appel : Corentin parle de culture mais en fait, à en croire les journalistes, "il s'interroge sur le délicat problème de la primauté raciale". En clair, c'est un "sale raciste". L'intolérance est en passe de devenir la nouvelle religion de ceux qui se prétendent tolérants. Car, vous comprenez, mon bon monsieur, on ne peut pas tolérer l'intolérable. Allez, tous après moi :
La tolérance c'est l'intolérance.
La guerre, c'est la paix.
La liberté c'est l'esclavage.
L'ignorance, c'est la force.
Eviv Bulgroz !