28.12.05

Le rôle "positif" de la colonisation.

L'excellent blog Citoyen Durable publie aujourd'hui une fort intéressante chronique qui décortique la récente loi française imposant aux écoles de parler du "rôle positif de la colonisation" et démontre à quel point cette loi est grotesque mais surtout profondément inquiétante.





23.12.05

La censure des bien-pensants

Le magazine Trends-Tendances révèle dans un court entrefilet un petit drame de l'autocensure qui s'est déroulé au sein de la rédaction de La Libre Belgique la semaine dernière.

L'infortuné héros de cette histoire est Corentin de Salle, de l'Institut Hayek, collaborateur régulier de La Libre Belgique, à qui il livrait régulièrement des chroniques incisives. L'imparfait est de rigueur, puisque la Libre a abruptement mis fin à la collaboration, nous apprend Trends-Tendances, suite à un article de Corentin intitulé Le Mal Radical dans lequel, selon le journaliste de Trends, Corentin "[développait] le délicat problème d'une éventuelle primauté raciale".

Je n'éprouve aucune sympathie particulière pour l'Institut Hayek, dont l'atlanticisme farouche et le néoconservatisme me révulsent grandement, ce qui ne m'empêche cependant pas d'être occasionnellement d'accord avec eux sur certains sujets. L'Institut m'avait d'ailleurs fait l'honneur il y a quelques mois de reprendre une lettre ouverte que j'avais écrite à l'hebdomadaire anglais "The Economist" et originellement publiée sur Chacun pour Soi, dans laquelle je dénonçais l'inculture économique qui poussait les rédacteurs de cette publication à oser prétendre, cent cinquante ans après "Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas" de Frédéric Bastiat que Katrina n'aurait en fin de compte que des effets positifs pour l'économie américaine. Malgré nos désaccords profonds sur certains sujets, je reste persuadé que Corentin de Salle est un homme de bien et un intellectuel respectable même s'il a souvent tort. Qu'il soit l'infortunée victime de l'autocensure que la Libre Belgique s'inflige me rend fort marri.

Ce pauvre Corentin a malheureusement oublié que nous sommes à l'époque de la dictature des bien-pensants. Toutes les opinions ne sont plus bonnes à exprimer. En ce début de XXIème siècle , la pudibonderie règne en maîtresse absolue sur le terrain des idées. Ceux qui vont à l'encontre des tabous peu à peu mis en place par une élite socialiste en quête d'idéal depuis la chute du Mur de Berlin avec la complicité d'une droite démissionnaire qui a depuis longtemps renié les principes du libéralisme pour se vautrer dans le conservatisme honteux, ceux qui vont à l'encontre de ces tabous, disais-je, sont cloués au pilori avec une hargne qui en dit long sur le sentiment de culpabilité rentrée de leurs accusateurs.

Certes, l'argumentaire de Corentin n'est pas exempt de défauts. Mon ami Gadrel relève notamment que "les trois exemples qu'il donne (Irak, Iran, Corée du Nord), supposément exemplatifs de cultures inférieures, sont le fait de l'action étatique". Pourquoi cette confusion entre "culture", "pays" et "régime" ? Peut-être par peur de choquer le lecteur ou de franchir la limite qui l'exposerait à l'ire des censeurs bien-pensants ? Sans doute l'aurait-on encore plus aiésment taxé de racisme s'il
avait parlé, au hasard, de l'excision des jeunes filles en Afrique subsaharienne, de l'asservissement de la femme dans les sociétés méditerranéennes, ou du racisme "ethnophobique" qui sévit en Afrique Noire pour illustrer son propos. Malgré cette précaution, sa crainte s'est avérée fondée. A postériori, on peut donc déplorer la confusion qu'il entretient ici. Il est cependant indéniable que son analyse eût gagné en clarté s'il avait clairement circonscrit son propos. Maintenant, il est possible que ce soit son néo-conservatisme rabique qui l'a amené à illustrer ainsi sa thèse. Mais, si telle est la véritable raison, en confondant ainsi la énième justification "morale" de l'interventionnisme criminel des Etats-Unis une thèse intéressante sur les différences culturelles, Corentin n'a fait que compliquer un problème déjà épineux en soi.

Les mésaventures de ce jeune homme me renvoient à mon actuel livre de chevet, "Les Maîtres Censeurs" d'Elisabeth Lévy. L'auteur y explique que la gauche moderne, en rupture d'idéal, s'est lancée dans une frénétique entreprise de déni de la réalité. Cette entreprise passe par la création de tabous : certaines idées ne peuvent être exprimées, certains sujets ne peuvent être discutés ou débattus, car cela mettrait à nu l'implacable vérité que l'on cherche à cacher, à se cacher. Ces tabous sont ensuite exprimés et repris par les élites politiques et médiatiques, voire parfois même coulés en lois : interdiction de propos "révisionnistes", "racistes" ou "xénophobes". Notons au passage que les définitions sont suffisamment vagues pour permettre toutes les interprétations, fait d'autant plus grave qu'autorisation est simultanément faite à des personnes morales de s'instituer juges d'instruction et d'ester en justice pour tous les cas qu'elles jugent relever de leur compétence. Mais pourquoi ces tabous ? Reprenons un court passage du livre de Mme Lévy :

En somme, après avoir renoncé à changer le monde, ils n'entendent pas permettre que celui-ci soit interprété. "Comprendre, c'est justifier" pourrait être leur maxime. Autrement dit, on ne saurait comprendre que ce qui est déjà compréhensible, tolérer que ce qui est considéré comme tolérable. [...] Aujourd'hui, les média ont remplacé les bibliothèques et l'espace public est défini par ce dont l'intelligentsia admet que l'on parle. Comme si la contagion menaçait tout esprit trop curieux, comme si, à manier certaines idées, elles risquaient de vous sauter au cerveau.


Quelles sont les vérités que l'on cherche à celer, ces idées que l'on ne peut étudier ? Et bien, par exemple, le mythe de l'intégration réussie qui a cours chez nos voisins de l'Hexagone. Les récentes émeutes ont failli le faire un instant voler en éclat, mais depuis la machine à propagande a repris son "ronron" rassurant et le gouvernement français promet à ses citoyens que les moyens supplémentaires accordés à la politique d'intervention permettront sous peu de résoudre le problème. "Toujours plus de la même chose", aurait dit Paul Watzlawick.

Dans son article, Corentin a eu l'immense tort aux yeux de ses détracteurs de mettre en exergue, fort maladroitement, certes, un comportement essentiel au maintien en place du mythe de l'intégration : la tendance schizophrène des élites bien-pensantes à simultanément nier la différence entre les cultures d'Europe de l'Ouest et les cultures d'origine des populations immigrées, à exalter cette différence, et à insinuer, dans un typique cas d'autoflagellation qu'à tout prendre ces dernières sont supérieures aux nôtres. A la lecture de son article, on constate qu'il n'est nullement question d'affirmer une supériorité absolue de la culture occidentale sur les autres cultures, mais plutôt d'affirmer l'inégalité entre cultures. Chose que font d'ailleurs admirablement nos hommes politiques, puisqu'ils entendent par exemple imposer toujours et partout les droits de l'homme. Sous-entendu : un régime qui ne respecte pas les droits de l'homme, une culture qui les nie, ne saurait qu'être barbare. Curieusement, quand l'idée vient d'eux, elle semble exemptée comme par magie de l'obligation de respecter le tabou. Mais que quelqu'un comme Corentin fasse le lien logique qui consiste par exemple à dire que, puisque certaines cultures d'Afrique subsaharienne pratiquent l'excision des jeunes filles et que cette coutume est barbare, il est certain que ces cultures nous sont, au moins en ce domaine, inférieures, et la levée de boucliers est immédiate. Pourtant, cela ne revient pas à dire que ces cultures sont inférieures aux nôtres toujours et partout, mais cela suffit cependant pour que l'on fasse à Corentin ce procès d'intention.

La "reduction ad hitlerum" est en place. Corentin parle de différences entre cultures, et de la supériorité de certaines valeurs sur d'autres. Il n'est en cela guère différent de ces gens qui s'insurgent - à juste titre - contre l'homophobie, le racisme ou l'antisémitisme. Ils expriment que certaines valeurs, dont la tolérance, qui sont l'apanage de nos cultures occidentales, sont supérieures à d'autres, dont l'intolérance, qui sont l'apanage d'autres cultures. Mais il est des opinions qu'il n'est pas bon d'exprimer, des sujets sur lesquels il est interdit de réfléchir autrement qu'en termes convenus et acceptés par les maîtres censeurs. En franchissant les limites tracées par les bien-pensants, l'infortuné collaborateur de la Libre ne pouvait que s'exposer à leur courroux destructeur. Le verdict est sans appel : Corentin parle de culture mais en fait, à en croire les journalistes, "il s'interroge sur le délicat problème de la primauté raciale". En clair, c'est un "sale raciste". L'intolérance est en passe de devenir la nouvelle religion de ceux qui se prétendent tolérants. Car, vous comprenez, mon bon monsieur, on ne peut pas tolérer l'intolérable. Allez, tous après moi :

La tolérance c'est l'intolérance.
La guerre, c'est la paix.
La liberté c'est l'esclavage.
L'ignorance, c'est la force.

Eviv Bulgroz !




19.12.05

Vider l'enseignement de sa substance

La proposition de loi sur l'évaluation externe des acquis des élèves - traduisez par "examen commun" - au terme des six années de l'enseignement primaire a été votée aujourd'hui, nous apprend La Libre Belgique. Est-ce un bien ou un mal ? Analysons ensemble la dépêche de La Libre.


Le gouvernement de la Communauté française a approuvé l'avant-projet de décret de la ministre-présidente en charge de l'Enseignement fondamental Marie Arena relatif au certificat d'études de base au terme de l'enseignement primaire et à l'évaluation externe des acquis des élèves.

De nouvelles dispositions ont été prises en matière d'octroi du Certificat d'Etude de Base au terme de l'enseignement primaire. Il s'agira d'une épreuve externe commune pour tous les élèves inscrits en 6ème primaire.

Cette épreuve portera sur la maîtrise des compétences et savoirs attendus à 12 ans et qui comprendra des questions traitant du français, des mathématiques, de l'éveil historique, scientifique, géographique.

Actuellement les élèves sont évalués différemment selon l'endroit où est située leur école. Dorénavant, tous les élèves auront la garantie d'être évalués selon un même niveau d'exigence quel que soit l'établissement ou le réseau qu'il fréquente.


Jusqu'ici, rien de bien alarmant, que du contraire. A priori on ne peut que se réjouir de l'instauration d'un système de "bac" dans l'enseignement de la communauté française. Comparer les résultats permettra aux parents de mieux choisir l'école dans laquelle mettre leur enfant, et à terme on pourrait même imaginer une décentralisation des programmes scolaires. En effet, si les exigences minimales sont fixées, pourquoi ne pas laisser les écoles totalement libres de la pédagogie à adopter ? Cela permettrait une vraie concurrence, qui devrait permettre à terme de relever le niveau catastrophique de nos têtes blondes à la sortie du primaire.
Et à propos de niveau catastophique, je décerne un zéro en orthographe au journaliste qui a rédigé la dépêche, pour avoir oublié que "il" de fin de phrase devait être au pluriel puisqu'il remplace "tous les élèves".




Les élèves qui auront satisfait à l'épreuve externe commune obtiendront leur CEB. Pour ceux qui n'y auraient pas satisfait, le décret prévoit une possibilité d'octroi sur base d'un dossier comportant les bulletins des deux dernières années et d'un rapport circonstancié établi par l'instituteur. Une procédure de recours externe sera également mise à la disposition des parents auprès d'un conseil de recours composé de l'inspecteur général et de sept membres qui sont des directeurs d'écoles fondamentales en activité ou à la retraite depuis moins de 5 ans.


Les choses se gâtent : si l'enfant a raté l'examen, ce n'est pas grave, on peut malgré tout lui octroyer son CEB si l'instituteur le juge méritant. Quant au recours externe, la contemplation des actuelles farces - pardon, recours - que j'ai à traiter en tant qu'enseignant me laisse augurer du pire. En clair, ce CEB sera rapidement vidé de sa substance, qui est de certifier l'acquisition d'un certain nombre de savoirs.


Pour garantir la totale confidentialité des résultats que ce soit des élèves ou des écoles, aucun classement entre élèves ou entre écoles ne sera possible. Par ailleurs, pour entrer progressivement dans le dispositif, la participation à l'épreuve externe commune sera laissée à la discrétion de chaque école durant deux années scolaires. Elle ne deviendra obligatoire qu'en 2008-2009.


Pas de classement entre élèves ni entre écoles. Nous voilà en plein dans l'utopie égalitaire socialiste : ne permettons pas aux parents d'évaluer les progrès de leurs rejetons et de les comparer à ceux de leurs petits camarades, et surtout, ne leur permettons pas de comparer les écoles. Bref, à terme, ce CEB occasionnera un surcroît de paperasserie sans aucun bénéfice pour les parents ou les élèves.



Les évaluations externes quant à elles se déclineront en trois paliers. Le 1er palier (2ème et 5ème primaire et 2ème secondaire) débutera lors de l'année scolaire 2006-2007 et sera consacré à la lecture et l'écriture. Lors de l'année scolaire 2007-2008 ce sera le tour des mathématiques . Enfin, lors de l'année scolaire 2008-2009, place à l'éveil. A partir de 2009-2010, on recommence le cycle trisannuel.


J'avoue ne pas très bien comprendre l'utilité de la chose. Chaque année une matière différente ? Quel est l'intérêt de l'évaluation ? Comment comparer l'évolution d'une école si sur neuf ans on dispose pour une matière donnée d'à peine trois séries de réultats ? Sous l'apparence de la rigueur, le ministère se prépare à créer un suberbe écran de fumée qui masquera utilement les terribles carences dont souffre l'enseignement en Belgique francophone.



Le 2ème palier visera les 2ème et 3ème degrés du secondaires. A partir de 2007-2008, une épreuve pour l'ensemble des élèves d'une même année d'études (3, 4, 5 ou 6ème secondaire) aura lieu chaque année (sur proposition de la Commission de Pilotage), avec, au moins tous les 3 ans, une épreuve en lecture en 5ème secondaire.


Il y aura donc une "Commission de Pilotage" qui décidera elle-même où, quand et comment organiser ces évaluations. Vu la stratégie syndicale de noyautage des instances dirigeantes de l'enseignement, on peut craindre que la création d'une telle commission revienne à castrer et à museler le système d'évaluation. Surtout, surtout, pas de concurrence.



Enfin, le 3ème palier concernera les langues (première langue moderne étudiée). Lors de l'année scolaire 2008-2009, c'est la 6ème primaire qui devra s'y coller. Ensuite, lors de l'année scolaire 2009-2010, ce sera le tour de la 2ème secondaire, puis lors de l'anné scolaire 2010-2011, celui de la 5ème secondaire. A partir de 2011-2012, on repart pour un cycle de 3 ans.


A nouveau, on s'assure que les données récoltées n'auront aucune pertinence statistique. Cela ressemble fort à une tentative de renforcement de la centralisation dans l'enseignement. Les programmes laissaient les enseignants trop libres au goût des élites pédagogiques qui rédigent les programmes et n'ont pas vu une classe - sauf en photo - de toute leur carrière, s'il s'agit de pédagogues, et n'en ont plus vu depuis plus de vingt ans s'il s'agit d'anciens enseignants devenus inspecteurs. Le resserrement de la vis est en marche. La liberté pédagogique vit ses dernières heures et les enseignants ne seront bientôt plus que des robots régurgitant la matière dans l'ordre et selon le mode préconisé par ces "élites" de la pédagogie.



Les inspecteurs et les animateurs pédagogiques seront en possession des résultats (sous le couvert d'une totale confidentialité) et ils pourront conseiller les écoles dans l'analyse des résultats et dans la construction de pistes visant à les améliorer.


Et bien voilà, nous y sommes. La Gestapo de l'enseignement va pouvoir utiliser ces résultats pour forcer les écoles à rentrer dans le moule. La Belgique se prépare un avenir fort sombre, si vous voulez mon avis.




7.12.05

Petite histoire du commerce mondial (première partie)

« Les chiens aboient, la caravane passe » Pas besoin d’être grand historien pour se douter que l’expression est plus ancienne que les congés payés aux Pays-Bas. Et que ce proverbe arabe ne parle pas de camping mais bien de commerce : au Moyen-Age, les caravanes étaient des groupes de marchands qui se réunissaient pour parcourir de longues distances. N'en déplaise aux altermondialeux, le commerce international ne date donc pas d’hier.

Ni d’avant-hier d’ailleurs. Dans son ouvrage « From fire to Freud : a history of ideas », le journaliste et chercheur en archéologie Peter Watson nous apprend que les premiers échanges commerciaux sur de longues distances ont eu lieu il y a plus de 150.000 ans, en plein Paléolithique ! Des fouilles menées sur divers sites paléolithiques à travers le monde ont en effet permis d’exhumer des artefacts fabriqués à partir de matières premières disponibles seulement à plusieurs centaines ou plusieurs milliers de kilomètres de leur lieu de découverte. Autrement dit, les hommes du Paléolithique troquaient des objets qu’ils ne pouvaient pas se procurer dans leur région, comme par exemple les pierres de silex ou d’obsidienne, contre des biens dont ils disposaient en abondance.

Plus récemment, autour de la mer Méditerranée, on retrouve les traces de civilisations entièrement basées commerce. La plus fameuse est sans conteste celle des Phéniciens. Originaires de l’endroit où se trouvent actuellement la Syrie et le Liban, ils avaient établi sur les côtes de la Méditerranée un réseau de ports commerciaux. Ils transportaient et échangeaient les marchandises les plus variées : Cèdres du Liban, tissus et verre de Phénicie, argent et étain d’Espagne et de Grande-Bretagne, cuivre de Chypre, et même des épices et de la soie venues d’Asie par les routes commerciales terrestres (la célèbre « Route de la Soie »). Les marchands phéniciens étaient en contact avec la totalité du monde connu ! Ils étaient les principaux fournisseurs de bois de l’Egypte des pharaons. La civilisation phénicienne remonte à plus de 3000 ans avant Jésus-Christ et connaît sa période la plus florissante entre 1200 et 800 avant J-C. Certaines villes fondées par les Phéniciens existent encore de nos jours, comme par exemple Tyr (Sur) au Liban, Tripoli en Libye, Sousse et Carthage en Tunisie, et les villes espagnoles de Cadix et Carthagène.

La domination des Phéniciens sur les routes maritimes a peu à peu fait place à la concurrence avec une autre puissance : la Grèce. La Sicile, par exemple, abritait à une époque des colonies grecques et phéniciennes. La concurrence commerciale se mua hélas rapidement en guerre. Mais c’est l’empire romain qui, après avoir conquis la Grèce et les colonies grecques de Méditerrannée, mettra définitivement fin à la présence phénicienne par la destruction de Carthage en 146 avant J-C, à l’issue de la troisième Guerre Punique. Notons au passage que les Phéniciens, peuple de commerçants, ne goûtaient que très modérément la guerre et les combats. Les guerres puniques furent d’ailleurs démarrées par Rome, puissance militaire et non commerciale. Contrairement aux armées romaines, les armées carthaginoises étaient presque uniquement composées de mercenaires. Ce qui ne les empêcha pas d’obtenir des résultats impressionnants: lors de la deuxième guerre punique, le général carthaginois Hasdrubal conquit l’Espagne. Son fils Hannibal, à la tête d’une armée de mercenaires, réussit ensuite l’exploit de remonter le long des côtes depuis l’Espagne et de faire traverser les Alpes à son armée de plus de 50.000 mercenaires (y compris une cavalerie et des éléphants). En 217 avant J-C, sur les bords du lac Trasimène, il inflige à l’armée romaine menée par le consul Flaminius une de ses plus ignominieuses défaites. L’année suivante, il remet le couvert à Cannes, en Apulie, où il liquide plus de 60.000 légionnaires (sur une armée de 86.000 hommes).

Si Hannibal ne poursuit pas sur sa lancée pour écraser Rome, c’est « grâce » aux politiciens carthaginois de l’époque, qui, dans un de ces mémorables calculs politiciens qui démontrent mieux que de longs discours la nuisibilité des hommes de l’Etat, refusent d’envoyer des renforts, de peur que la gloire d’Hannibal en cas de victoire ne mette en péril leur propre carrière politique. Leur refus s’avèrera néfaste au-delà de toutes les projections : l’absence de renforts empêche Hannibal de conquérir Rome, et la contre-offensive romaine menée par Scipion l’Africain mettra fin à la deuxième guerre punique. Quelques cinquante années plus tard, Rome décidera de la destruction totale de la ville de Carthage. A peine trois ans seront nécessaires à Scipion Emilien pour vaincre les carthaginois affaiblis, massacrer la population, vendre les survivants comme esclaves, raser entièrement la ville et répandre du sel sur le sol pour le rendre stérile.




4.12.05

Les illusions dangereuses

Au hasard des pérégrination mondaines de fin de semaine, je me suis retrouvé, hier soir, face à un fort intéressant représentant de la gauche caviar et de son idéalisme redistributeur, idéalisme dont le danger réside dans la combinaison d'un pouvoir d'attraction émotionnel important et de bases économiques et sociologiques erronnées et dangereuses.

Le brave jeune homme étant cabinettard au ministère de l'enseignement, notre discussion s'orienta tout naturellement vers l'état catastrophique de l'enseignement en Belgique francophone. Il ne fallut guère longtemps avant qu'il n'expose la pièce centrale de son programme politique : le système est bon à la base, ce qu'il faut c'est le corriger. Inutile de vous dire, chère lectrice (et cher lecteur) que je ne pus m'empêcher de marquer véhémentement mon désaccord avec cette assertion, assertion qui, soit dit en passant, tient lieu de programme aux politiciens de tous bords en ces temps intellectuellement troublés ou personne ne veut prendre le risque de soulever la chape de plomb idéologique qui bannit toute remise en cause du paradigme collectiviste.

Donc, en gros, les prémisses de base de l'enseignement en Belgique sont bonnes : la centralisation, le monopole de l'Etat, le découplage total entre la réalité des professeurs sur le terrain et celle des gens qui conçoivent les programmes de cours, le fonctionnariat, l'absence d'évaluation des performances et d'impact sur la rémunération, les sections ghetto, l'enseignement général en tant que voie royale vers l'université à laquelle tous doivent accéder et donc idéalement 95% de la population devrait être diplômé, et j'en passe. Tout cela est bel et bon dans le principe, c'est l'application qui est fautive.

La réalité est que c'est la base même du système qui est viciée. C'est cette volonté de planification, de centralisation, qui est la cause de tous les "dysfonctionnements" que l'on peut observer. Bien sûr, il existe des facteurs agravants. Ainsi, le poids disproportionné des syndicats dans l'ensemble des processus de décision a créé un sytème dont le centre des préoccupations n'est plus l'avenir des élèves mais le bien-être et le confort des enseignants. Cela n'a été possible qu'à cause de la structure du système : la centralisation des décisions facilite le noyautage par les groupes de pression.

Le processus planificateur, néfaste en soi, est évidemment rendu plus délétère par le constructivisme qui est l'alpha et l'oméga de la pensée politique collectiviste : l'illusion qu'il est possible pour des "élites intellectuelles" d'influencer la façon de penser et d'agir des gens. Ce trait de la politique de l'enseignement fut d'ailleurs illustré de façon particulièrement édifiante par mon interlocuteur, lorsque nous abordâmes la question de la "mixité sociale" si chère aux socialistes. Sur le papier, cet objectif peut paraître noble et désintéressé : il faut que l'école soit un lieu de rencontre, où chacun, dans le respect mutuel, puisse prendre conscience de l'autre dans sa différence, afin que l'enrichissement mutuel contribue à la disparition des barrières et des ghettos. Si l'intention est louable, prétendre l'imposer par décret est une tentative vouée à l'échec. Le dialogue, l'ouverture à l'autre, doit partir d'un élan intérieur, d'une volonté consciente de chaque acteur d'effectuer sur lui-même un travail de remise en question. Faute de cet engagement individuel, la prétendue "mixité sociale" se transforme en machine à renforcer les préjugés. Ma pratique quotidienne de l'enseignement tend d'ailleurs à le confirmer : dans l'école "difficile" où je travaille, les relations entre maghrébins et africains subsahariens sont extrêmement tendues. J'ai assisté à des matches d'insultes particulièrement édifiants, et, l'an dernier, certains élèves en sont même venus aux mains. Comment imposer à ceux qui sont persuadés qu'ils ont raison et que leur culture est la meilleure de respecter l'autre ? On peut tenter de le faire comprendre, on peut essayer de susciter le dialogue, mais, faute de volonté individuelle, rien ne changera. A moins bien sûr que les professeurs ne s'occupent que de cela à plein temps. Mais dans ce cas, l'apprentissage du français, des mathématiques, de tous ces savoirs indispensables qui aideront les jeunes adultes à entamer des études supérieures ou à se lancer dans la vie professionnelle sera mise entre parenthèses, ce qui n'est guère productif sur le long terme. Les tensions que crée dans les écoles cette politique de mixité sociale forcée, et que, bon gré mal gré, enseignants et éducateurs sont amenés à gérer pour que les établissements scolaires restent des lieux d'apprentissage, détournent une part importante des énergies du corps enseignant de sa mission première, qui est la transmission de savoirs.

Mais au-delà du principe, dont le caractère mortifère ne fait, je n'espère plus aucun doute, son application même génère de nouveaux problèmes. Il est ainsi rendu très difficile, voire impossible, aux directions d'école de refuser un étudiant qui se présente à l'inscription. Quand on sait qu'un seul élément perturbateur peut suffire à pourrir l'ambiance de travail dans une classe, il n'est guère difficile de comprendre que cette mesure peut sérieusement compromettre l'avenir d'une vingtaine d'élève sous prétexte d'en aider un qui, soit dit en passant, n'a peut-être même pas envie d'être aidé. Sous prétexte de refuser les "écoles-ghettos", qu'il s'agisse d'écoles "de crapules" ou d'écoles "d'intellos", la mesure contribue à généraliser une médiocrité (au sens étymologique du terme) qui, loin de promouvoir la réussite individuelle, comme semble pourtant le prôner le slogan "école de la réussite", contibue au nivellement par le bas dont souffrira ensuite la société. Car la baisse contante de la qualité des diplômés a un impact non négligeable sur la société dans son ensemble. Pourquoi donc, par exemple, les entreprises de la région bruxelloise doivent-elles "importer" des informaticiens indiens alors qu'il y a pléthore d'informaticiens bruxellois au chômage ? N'en déplaise aux tenants de la prétendue "concurrence des bas salaires", la cause ne réside pas dans les exigences salariales plus réduites des indiens. En effet, du moment que le contrat est exécuté en Belgique par une entreprise de droit belge, il est soumis à la législation sociale belge, et donc aux barèmes minima appliqués dans le secteur. La vraie raison de cet engouement pour les Indiens est bien le manque de qualification des informaticiens-chômeurs, couplé sans nul doute au fait que les Indiens font preuve d'une éthique du travail qui faut cruellement défaut chez nous, tant les professeurs sont occupés à rattraper les dégâts des politiques de mixité sociale et les autres mesures désastreuses adoptées par les gouvernements successifs plutôt que de donner à leurs élèves le goût de la réflexion et du travail bien fait.

La politique préconisée par les collectivistes en matière d'enseignement est viciée à la base. Changer les modalités de son application ne modifiera rien des conséquences désastreuses du sytème en vigueur. Les préoccupations actuelles des politiciens sont celles du capitaine du Titanic, trop occupé à pousser l'engin jusqu'à sa vitesse maximale pour s'inquiéter du cap suivi.