30.6.05

Pornographie, responsabilité et typologie du collectiviste

L'étau se resserre autour de Philippe Servaty, ce journaliste du Soir accusé d'avoir "abusé" d'environ quatre-vingts jeunes marocaines lors de ses récents séjours à Agadir et d'avoir publié sur le net des photos de ses partenaires d'un moment. Il semble que l'on se dirige actuellement vers une inculpation pour "outrage aux bonnes moeurs" du journaliste, qui a par ailleurs présenté sa démission à la rédaction du Soir.

L'affaire est intéressante à plus d'un titre, à condition toutefois d'éviter de suivre l'opinion dominante, que l'on pourrait résumer à "bouh le vilain méchant il a profité de plein de filles en leur mentant éhontément et en plus à cause de lui elles ont des ennuis avec la justice".

Reprenons donc, si vous le voulez bien, l'ensemble des faits dont nous disposons (ceux qui ne sont pas au courant trouveront quelques détails ici et ). Donc, ce garçon aimait à passer ses vacances à Agadir ou son passe-temps favori consistait à convaincre quelques femmes, de préférence voilées, d'avoir des relations sexuelles avec lui. Pas de quoi fouetter un chat si vous voulez mon avis. Qu'il ait menti à ses filles pour arriver à ses fins ne plaide certes pas en faveur de ce garçon, mais soyons réaliste : n'importe quel dandy de fin de semaine branchée fait de même pour ramener chez lui une donzelle suffisamment crédule pour s'imaginer qu'il s'agit d'autre chose que d'une aventure sans lendemain. Ici comme là-bas, abuser de la crédulité des gens n'est certes pas élégant, mais ce n'est pas un crime. Heureusement pour nos politiciens, d'ailleurs. Notre bon ami a ensuite photographié ses proies dans des positions, disons, compromettantes. Première remarque : dans la presse écrite et télévisée, le mot employé est "victime". Une fois de plus, l'interprétation des faits prend le pas sur les faits eux-mêmes. Nous retrouvons ici déjà une jugement moral et sur Philippe Servaty, et sur les jeunes (ou moins jeunes) filles : il est le seul coupable, il a profité d'elles, ce sont des "victimes". Pas un mot sur le fait que les donzelles en question auraient pu refuser, ne pas croire à son baratin. Et pour une qui succombe, combien ont refusé de croire à ses mensonges cousus de fil blanc ? Le drageur impénitent lui même nous renseigne : "vous en abordez une vingtaine, de préférence en français, vous êtes sûrs d'en récolter au moins trois au final". Quant à la prise de photographies, là aussi les demoiselles ont leur part de responsabilité : elles pouvaient également refuser, il ne les a pas forcées le révolver à la main. Jusqu'ici, transformer ces jeunes filles en victimes comme le fait la presse, c'est nier leur part de responsabilité dans le fiasco.

Par contre, il est clair que la publication desdites photos sur un forum internet - forum, soit dit en passant, uniquement fréquenté par des férus de pornographie et de bons plans "baise" - pose un plus grave problème. Mais là aussi, les journalistes qui relatent les faits procèdent à de curieuses déformations. Certes, publier ces photos risquait à terme de causer des problèmes à ses "conquêtes", et il aurait dû au moins masquer les yeux, ce que plusieurs intervenants de son forum lui ont d'ailleurs fait remarquer. Simple question de correction. Mais la presse évacue assez curieusement la question centrale : si treize femmes croupissent à présent dans les geôles marocaines, c'est parce que l'Etat marocain en fait des coupables. C'est bien là que se trouve le scandale, cet Etat qui se permet de régir la sexualité de ses citoyens. Tout a commencé par une institutrice de 46 ans - entre parenthèses, difficile de croire à la thèse de la "jeune fille crédule" - qui est allée porter plainte au commissariat de son quartier. Ce qu'elle souhaitait, c'est qu'il soit mis un terme, par des voies légales, à la diffusion de ces photos sur le net. Au final, c'est elle qui se retrouve en prison pour pornographie. Personne ne trouve à y redire. Le coupable, c'est Servaty, pas l'Etat marocain qui sanctionne des comportements privés entre adultes consentants. Bien sûr, il aurait dû savoir, bien sûr, il aurait dû prendre les mesures nécessaires à éviter des ennuis à ces femmes, mais n'oublions pas cependant que tout cela ne serait pas arrivé si la loi marocaine ne s'intéressait pas à la sexualité des marocains.

Dernière petite remarque, qui rejoint un précédent texte sur la typologie du collectiviste. Philippe Servaty, journaliste financier, était apparemment connu pour ses prises de positions "tiers-mondistes". N'est-il pas amusant de constater le fossé qui sépare ses jolies paroles à la "sensibilité de gauche" de la façon dont il manifeste dans les actes son total irrespect des individus ?




22.6.05

To protect and to serve (part III)

Un gentil lecteur vient de me signaler un article paru sur le site en ligne de "La Dernière Heure". On y relate de nouveaux faits de violences policières à caractère raciste qui auraient eu lieu dans la zone de police de Schaerbeek. Le journaliste insiste - avec raison - sur le fait qu'il n'était pas présent au moment du présumé passage à tabac et que le doute est toujours de mise.

Je me permets cependant de lever une partie du caveat de la DH : l'histoire me semble plus que plausible. En effet, la description des faits présente de nombreuses similitudes avec un témoignage qui m'est parvenu il y a peu et impliquait des pandores du même commissariat. Si ce n'est que la victime des coups et des injures avait été frappée avec un bottin téléphonique.

Si l'on met en parallèle ces deux cas avec la mésaventure du jeune étudiant que j'ai également contée sur ce petit coin de toile, nous pouvons dégager le synopsis d'un cas typique de violences policières.

La victime, seule ou accompagnée, se trouve confrontée d'une façon ou d'une autre à la police alors qu'elle circule sur la voie publique de façon pacifique. Pour un motif quelconque et en général bénin, un agent de police l'interpelle avec agressivité. La victime a le malheur d'émettre une remarque sur le ton employé ou de contester l'interprétation des faits par le policier. Même si c'est fait avec politesse, c'en est apparemment trop pour le pandore qui procède - avec brutalité - à l'interpellation de l'importun(e). Une fois au commissariat, c'est la passage à tabac éventuellement - mais pas nécessairement - agrémenté d'insultes racistes. Ensuite, sous la menace, la victime est forcée de signer un procès-verbal dans lequel elle "reconnaît" avoir agressé les forces de l'ordre et résisté à son interpellation. La menace employée est toujours la même : si l'infortuné(e) refuse de signer ce procès-verbal arrangé, les policiers le(la) garderont plus longtemps au commissariat et les coups recommenceront.

Chers lecteurs, vous voilà prévenus : si un policier vous adresse la parole d'un ton peu amène, faites-vous humbles et doux comme de gentils petits moutons, l'intégrité de votre épiderme est à ce prix dans notre riante démocratie que le monde entier nous envie. Et ne faites surtout pas valoir le fait que vous "avez des droits". On vous répondrait d'un air goguenard que "vous vous croyez sans doute aux Etats-Unis".






12.6.05

L'hypostatisation, outil de propagande

A l'époque où j'usais encore mes fonds de pantalon sur les bancs des auditoires de l'université - et mes coudes sur le comptoir du bar de mon cercle facultaire - un cours m'avait profondément marqué. Son intitulé exact m'échappe, mais par contre j'ai un souvenir très vivace du sujet dont il traitait : les rapports humains dans l'entreprise, et la façon dont ils régissaient en sous-main l'organisation de l'entreprise elle-même, bien plus que sa structure formelle. Au détour d'un raisonnement, le professeur nous avait expliqué un mécanisme psychologique particulièrement intéressant, qui transforme un outil nécessaire à l'appréhension et à la compréhension du monde en un dangereux instrument de simplification et de déshumanisation du monde et des rapports humains : la réification, aussi connue sous le nom d'hypostatisation ou de chosification.

De quoi s'agit-il ? L'esprit humain analyse le monde à l'aide d'abstractions et de catégorisations. Quand je vois un quadrupède de taille assez conséquente, dont les pieds se terminent par un seul doigt entièrement recouvert de kératine, animal lui-même pourvu sur toute la surface de son corps de poils généralement courts, dont la tête à la mâchoir allongée surmonte un cou proportionnellement plus long que celui d'un humain, qui se nourrit de végétaux et émet un cri strident plus connu sous le nom de hennissement, je sais que j'ai affaire à un cheval, et que tous les animaux qui lui ressemblent, à part ceux dont la robe est blanche à rayures noires et ceux qui ont de longues oreilles peuvent également être appelés "cheval". Quand j'examine les actions d'un ensemble d'individus liés par un contrat de travail à une série d'entités juridiques - elles-mêmes conséquences de contrats passés entre individus -distinctes mais néanmoins liées entre elles, actions qui se concentrent autour de la diffusion d'un logiciel permettant de gérer les transferts d'information à l'intérieur d'un ordinateur, j'étudie Microsoft.

Dans le premier cas, il est assez difficile de faire mauvais usage de la catégorisation. Enfin, sauf si on se met à catégoriser des races et à leur prêter des caractéristiques plus ou moins flatteuses, mais là n'est pas le propos. Le deuxième cas, par contre, est celui qui peut prêter à hypostatisation : nous pouvons par exemple lire dans la presse que la Commission Européenne a infligé des sanctions à Microsoft. A la lecture de cette phrase presque anodine, il est facile d'oublier que la Commission Européenne est une abstraction qui désigne un ensemble de personnes travaillant sous la coordination d'un conseil de douze commissaires dirigés par un président, et dont le rôle est de gérer un certain nombre de matières qui ont été déléguées par les représentants du peuple de ses Etats membres à l'Union Européenne, et que Microsoft désigne l'ensemble décrit plus haut. Prêter une volonté, ou, plus largement, une existence propre et indépendante, à des objets dont l'existence est uniquement conceptuelle est ce qu'on appelle l'hypostatisation. Le problème de l'hypostatisation est qu'elle présente comme homogène une réalité qui ne l'est pas. Tous les assistants du commissaire européen à la concurrence étaient-ils convaincus de la malignité des décisions du conseil d'administration de Microsoft ? Tous les commissaires européens étaient-ils d'accord pour infliger des sanctions à Microsoft ? Une telle unanimité serait touchante (quoique ...) mais bien peu probable. Et parmi les employés et dirigeants de la communauté d'intérêts connus sous le nom de Microsoft, tous souhaitent-ils dominer le monde et écraser les sociétés rivales ? L'hypostatisation part de simplifications commodes de la réalité - commodes parce qu'elles nous permettent de grandement synthétiser et de rendre nos raisonnements moins laborieux - et détourne ces simplifications de leur rôle originel pour les transformer en outils de propagande. Parfois, le processus est inconscient chez celui qui en use. Parfois, au contraire, et c'est encore plus regrettable, c'est à dessein qu'on l'utilise.

Prenons par exemple un sujet qui fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps : la Chine et ses exportations textiles. Que voilà une belle réification ! A moins bien sûr qu'il n'existe une entité malfaisante, appelée la Chine, qui aurait décidé d'innonder de produits textiles bon marché le reste de la planète. Pourquoi cette réification ? Mais parce qu'elle arrange bien les adversaires de la liberté de commercer, pardi ! Ce n'est pas "la Chine" qui exporte des textiles. Ce sont des entreprises chinoises, c'est-à-dire des ensembles de personnes qui produisent des biens ou des services et qui se livrent à cette activité dans une zone géographique déterminée connue sous le nom de "Chine". Et ces entreprises ne se livrent pas de leur propre chef à une activité mystérieuse appelée "exportation", qui consiste apparemment à innonder le monde des produits qu'elles fabriquent. Au contraire, les dirigeants ou les délégués commerciaux de ces entreprises ont conclu des accords avec les dirigeants et délégués commerciaux d'autres entreprises. Les exportations ne sont rien d'autre que des relations commerciales. Ce ne sont ni les dirigeants chinois, ni les dirigeants européens, qui mènent ces activités, mais bien les entrepreneurs chinois et européens. Et ce sont les consommateurs européens et les ouvriers chinois qui profitent de ce commerce. Et plus largement, l'ensemble de la population des deux pays : en effet, les consommateurs européens, grâce à l'argent économisé, peuvent satisfaire d'autres besoins et faire ainsi fonctionner de façon plus intense d'autres entreprises qui engageront de nouveaux travailleurs pour faire face à ce surcroît de demande. Simultanément, un grand nombre de chinois, parce que les entreprises textiles leur procurent un revenu plus élevé et une plus grande sécurité que ce qu'ils avaient avant, ont connu une augmentation non négligeable de leur niveau de vie. Mais là n'est pas le propos du jour. Ce qui me paraît important, c'est que chacun d'entre vous, chers lecteurs, se mette à réfléchir aux réifications qui parsèment notre quotidient, et à l'objectif qui les sous-tend. Lorsque, comme dans le cas de la Chine, elles masquent les hommes et les femmes qui profitent de ces échanges commerciaux, elles permettent d'effacer tout sens de la proportion. Ainsi, "le secteur textile", autre hypostatisation, devient la victime de "la Chine" : toute idée de grandeur relative des bénéficiaires et des éventuelles victimes de ces échanges passe à la trappe. Les bénéficiaires eux-mêmes ne sont plus correctement identifiés, car, nous l'avons vu, "la Chine" n'est pas la seule à bénéficier du commerce du textile. La réification permet de simplifier le débat à outrance et de tirer les conclusions les plus dommageables et les plus erronnées d'une l'analyse tronquée des faits.





6.6.05

L'amour de la crainte

Une nouvelle missive m'est parvenue du Zimbabwe. Apparemment, le climat de terreur se fait chaque jour plus oppressant :

"On ne sait pas trop quoi penser.
Une famille est venue à notre porte au bureau vendredi pour demander à y entreposer ses possessions "en attendant". Une autre famille a fait de même à la maison hier dimanche. Aujourd'hui, ce sont les vendeurs ambulants de fruits et légumes qui ont littéralement "abandonné" toute leur marchandise dans notre jardin au bureau derrière le mur a l'abri des regards de la police qui les poursuivait...

A défaut de combattre la pauvreté, le régime a decidé de faire une guerre sans pitié aux pauvres...

Quelle tristesse."


Tiens, c'est curieux, personne dans notre belle presse francophone subsidiée n'a l'air de mentionner les derniers actes de Mugabé. Où sont-ils donc, les chantres du "devoir d'ingérence humanitaire" ? Où sont-ils donc, ceux qui clament que la France et la Belgique sont les fers de lance du combat pour les droits de l'homme ? Parfois, le silence est plus assourdissant que le bruit des balles et des transports de troupes.




5.6.05

La crainte et l'amour

Les acteurs et les comédiens sont des gens curieux : ils gagnent leur croûte en endossant la personnalité de quelqu'un d'autre. De leur crédibilité à incarner un personnage dépendra souvent leur réussite professionnelle. Mais comment y arrivent-ils ? Si vous le leur demandez, ils vous répondront que leur travail se base sur le ressenti : ils doivent arriver, en quelque sorte, à ressentir les choses comme leur personnage le ferait. Pour cela, vous expliqueront-ils, il faut savoir que l'entièreté du spectre des émotions humaines peut être ramené à deux émotions primaires, la peur et l'amour. C'est de ce "couple" que l'on tire le reste : la crainte et la confiance, la violence et la douceur, la revanche et le pardon, la jalousie et la confiance, le découragement et la ténacité, et cetera. Une conversation récente avec une collègue de l'école où j'enseigne m'a amené à réfléchir sur les implications de cette dualité fondamentale sur la politique.

Cette brave dame a une fille qui a choisi de vivre aux Etats-Unis, où elle termine actuellement ses études universitaires. Vous remarquerez au passage que, contrairement au lieu commun éculé, il est tout à fait possible de financer ses études supérieures aux USA même quand on est la fille d'un petit prof du secondaire. Au fur et à mesure que le temps passe, la jeune femme s'américanise. Lors d'un récent séjour en Belgique, elle s'étonnait auprès de sa mère de l'inertie des chômeurs belges : "comment peuvent-ils se satisfaire de cela, pourquoi ne se mettent-ils pas plus activement à la recherche d'un job ?". Bien sûr, la remarque est un peu caricaturale, et les rigidités du marché du travail en Belgique sont sans doute pour beaucoup dans cet état de choses. Mais justement, voici que mon propos se profile. Si l'on revient à l'analyse du monde selon la catégorisation évoquée plus haut, la conclusion est sans appel : les Belges (et la plupart des européens, d'ailleurs), vivent dans la crainte. C'est cela qui explique les rigidités du marché du travail : ils ont peur de se faire licencier, peur de ne pas retrouver un travail, peur de ne pas être assez bien payés, peur de trop travailler, peur de ne pas assez travailler, peur de tomber malades, peur d'être exploités par leur patron, peur du harcèlement sexuel, peur du tabagisme passif, peur des accidents de travail, peur qu'un collègue leur "pique leur place", peur qu'un autre plus performant soit payé mieux qu'eux, peur, peur peur. Ce sont ces craintes, ces angoisses, ces jalousies, que l'on retrouve derrière la pléthore de lois et de réglements qui régissent le monde du travail : les contrats sont cadenassés, le licenciement est rendu difficile, les salaires minimum sont fixés par convention collective, les augmentations maximales aussi, d'ailleurs, les durées de préavis sont extrêmement longues, il y a des lois sur le harcèlement sexuel, le harcèlement moral, le tabagisme au travail, l'hygiène au travail, la sécurité au travail, ... Plus il y a de lois et de règles, plus la marché est rigide. Car les employeurs aussi ont peur : peur d'engager quelqu'un et de ne plus pouvoir le licencier, peur des passe-droit accordés par la loi aux délégués syndicaux, peur de l'inspection des lois sociales, peur de l'inspection de l'hygiène, peur des procès intentés par des employés licenciés, peur de devenir trop gros et de tomber ainsi dans le collimateur du fisc, peur, peur, peur. Et ceux qui, au départ, n'ont pas peur, les entrepreneurs qui se lancent au mépris des difficultés, acquièrent hélas rapidement à leur tour des réflexes pavloviens de peur et de haine : demandez à mon ami Arsène le brasseur ce qu'il pense de l'administration des accises ou des contrôleurs de la TVA. Le résultat de tout cela : un taux de chômage réel de plus de 18% et une croissance anémique faute notamment du trop faible nombre de création d'entreprises.

Pendant ce temps, de l'autre côté de l'Atlantique, ces Américains que nombre d'entre nous regardent avec une condescendance amusée - mêlée d'envie, notez-le bien - ces américains, donc, vivent dans la confiance. Avec un taux de chômage sous la barre des 5%, ils ont le luxe de pouvoir s'inquiéter, plutôt que de l'augmentation du chômage, de l'affaiblissement du taux de création d'emplois ("seulement" 70.000 emplois créés au mois de mai, vous vous rendez compte ?). Bien sûr, ils ne bénéficient pas de nos "protections", mais la vérité est qu'ils ne s'en soucient guère. Ils n'ont pas besoin de se sentir protégés, parce qu'ils n'ont pas peur. Balladez-vous le long d'une quelconque avenue bordée de commerces, vous apercevrez partout des pancartes "NOW HIRING" (nous engageons). Peste, diront les esprits chagrins, ce ne sont que des petits boulots. Bien sûr, mais être engagé dans un "petit boulot" aux Etats-Unis ce n'est pas tout à fait la même chose qu'ici. Là-bas, la mobilité verticale n'est pas un vain mot. Mon "roommate" (colocataire), lorsque je vivais en Floride, avait un de ces "petits boulots" : il était serveur dans la cafétaria d'un Borders, un magasin de livres, disques et DVD. Ce petit boulot l'arrangeait car il travaillait en horaire décalé et pouvait ainsi en journée suivre les cours d'une école de musique. En l'espace de quelques mois, il avait dû refuser deux promotions, car exercer de nouvelles responsabilités l'aurait empêché de se consacrer à la musique. Et c'est ainsi partout. Un petit boulot, à partir du moment où on le fait bien, peut conduire, après quelques années à peine, à devenir manager de la grande surface dans laquelle on a commencé comme caissier. Les horaires décalés (certains supermarchés sont même ouverts toutes la nuit) permettent à chacun de travailler quand cela l'arrange, voire de cumuler deux boulots afin d'économiser pour envoyer le gamin à l'université, pour s'acheter une maison, ou un bateau quand on a déjà la maison. Loin des "ouin-ouin" à la Michaël Moore, l'Amérique travaille et ses citoyens s'enrichissent et s'épanouissent. Là-bas, la mobilité de la main d'oeuvre n'est pas non plus un vain mot : celui qui souhaite aller travailler à cinq mille kilomètres de chez lui n'a pas à s'en faire : il saute dans sa voiture (ou dans le premier bus Greyhound) et s'en va deux ou trois Etats plus loin. En moins de deux jours, il aura trouvé une maison ou un appartement. Quelques jours de plus et il aura trouvé un travail. Beaucoup d'américains font cela, d'ailleurs, la mobilité fait partie de leur culture. Ou que vous soyez, parlez avec les gens qui vous entourent, vous verrez qu'ils viennent des quatre coins du pays.
Bien sûr, les esprits chagrins ne manqueront pas de voir les risques et les dangers de la situation, de s'offusquer de ce que certains "doivent prendre deux boulots pour pouvoir s'acheter une maison", de plaindre "les pauvres employés de WalMart obligés de travailler jusque deux ou trois heures du matin", de plaindre ceux qui doivent "tout laisser pour aller trouver du boulot ailleurs". Oui, si on regarde les Etats-Unis avec nos yeux d'européens noyés dans la crainte, c'est un pays horrible. Mais quand on est sur place, ce qui frappe, ce n'est pas la crainte : c'est au contraire la confiance et le dynamisme des Américains, leur inébranlable optimisme, leur fierté d'être citoyens de ce pays où tout est possible pour chacun. Prenez mon roommate : son père venait d'une région pauvre d'Italie. Quand il a débarqué aux Etats-Unis, il parlait à peine anglais, et n'avait que quelques dollars en poche. Lorsqu'il est décédé, il y a un an à peine, il possédait et dirigeait trois garages (entretiens et réparations toutes marques) dans le New Jersey qui tournaient à plein rendement.