31.8.04

Rentrée : la lutte des classes

Ce n'est pas tous les jours qu'un journal arrive à me faire grincer des dents. Mais cette fois-ci, la Libre Belgique de mercredi passé a réussi son coup. Plusieurs articles sur l'enseignement s'y succèdent, chacun plus inepte que le précédent. Cette litanie d'absurdité gauchisantes culmine avec un torchon intitulé "L'Ecole ne fait plus le poids".

Je vous en livre l'introduction :

"Il convient probablement de se faire une raison : face à l'Entreprise et à ses valeurs marchandes, l'Ecole a peut-être bien déjà perdu la partie. Il est bien question d'une bataille tant les valeurs défendues par ces deux univers sont originellement aux antipodes les unes de autres. Nous pouvons identifier les divers terrains sur lesquels se joue la lutte d'influence inégale orchestrée par les tenants de l'entreprise-reine contre les tenants de l'idéal de l'école démocratique. Ce sombre dessein n'est évidemment réalisable que grâce à la complicité docile - quand elle n'est pas devancière - des hommes politiques au pouvoir. L'école est probablement le dernier bastion de résistance aux forces du marché. Pour valoriser - au sens de création de valeur pécuniaire - la sphère scolaire, il faut vaincre, par une offensive sur plusieurs fronts, cette résistance puissamment ancrée dans des pratiques et des mentalités aux racines socio-culturelles fortes. Faisons donc, sans prétendre à l'exhaustivité, le tour de ces fronts d'une armée en campagne vers le triomphe de ses valeurs et la fin de ce qui est en l'Homme le plus précieux, la faculté de penser par soi-même. "

Ouf ! Il n'y va pas avec le dos de la cuiller, ce Yann Fiévet, dont la manchette nous apprend qu'il est professeur de sciences économiques (si si) et sociales (ah ! je comprends mieux). Ainsi donc, l'Entreprise - avec un grand E, sans doute pour bien indiquer qu'il s'agit d'un Complot émanant du Milieu des vilains Capitalistes - est en guerre contre l'école ? Rhôôôôôôô !

Ironie mise à part, dans ce morceau de prose puante, et nonobstant les relents de matérialisme dialectique qu'il tente de nous faire gober, l'auteur se plante complètement. D'abord, pourquoi l'entreprise voudrait-elle faire la guerre à l'école ? Un gamin de quinze ans, réfléchissant sur le sujet en lisant Fluide Glacial dans les chiottes à la récré, parviendrait tout seul à une conclusion différente. Ben oui, l'Entreprise avec un grand E, c'est finalement la "cliente" des écoles, non ? C'est bien avec les produits de notre système éducatif qu'elle est censée constituer ses effectifs dans le futur. Alors pourquoi ferait-elle la "guerre" à l'Ecole, hmm ?

Remarquez, il y a bien une raison quand on y songe. Peut-être l'entreprise avec un grand "E", en a-t-elle marre de voir débarquer chaque année sur le marché du travail des jeunes de plus en plus abrutis et décérébrés, produits bêlants et incapables de réfléchir de notre système prétendument égalitaire dont la principale politique pour faire réussir les élèves "défavorisés" est de raboter chaque année les standards - on appelle cela "l'école de la réussite" quand on travaille au ministère. L'école n'apprend pas aux élèves à penser par eux-mêmes, elle se contente de leur permettre d'ânonner - avec si possible les accents de la juste indignation qu'ils ressentent - les slogans néo-marxistes que leurs enseignants leur martèlent sous la pression des inspecteurs trotskystes qui conçoivent les programmes. Mais voilà, il faut lutter contre la "Pensée Unique", n'est-ce pas ? On ne peut quand même pas laisser les "jeunes" se faire corrompre si tôt par la "logique du marché". Berk berk berk, c'est impensable ! Vite vite, apprenons-leur la solidarité et la responsabilité citoyennes, sans quoi nous en ferons des esclaves du néolibéralisme triomphant !

Franchement, à fréquenter les salles des professeurs pour raisons professionnelles et à être chaque jour consterné des inepties qu'on entend les habitués des lieux proférer chaque jour que fait le Seigneur, on finit par comprendre pourquoi les entreprises avec un grand E ont envie de se mettre sur le sentier de la guerre. Tel abruti professeur de langues me faisait l'autre jour une réflexion acerbe parce que je partais visiter l'usine Volkswagen de Forest avec mes élèves : "ah oui, VW, les champions de la réduction des coûts !". Ben oui, connard, c'est d'ailleurs grâce à ça que t'as pu te payer une Polo neuve, si tu y réfléchis ! Alors si t'es pas content, t'as qu'à leur dire que t'es prêt à la payer le double, ta bagnole, pour qu'ils ne réduisent plus les coûts ! Tel autre, professeur d'histoire, s'indigne sur la leçon d'Adam Smith sur la division du travail : "tu te rends compte, Constantin, il arrive à distinguer dix-huit étapes différentes dans la fabrication d'une aiguille !". Ben oui. C'est même grâce à ça que le costume que tu portes ne t'a pas coûté 3000 euros chez le tailleur mais 200 chez Superconfex ! Les anecdotes sont authentiques, et les réponses aussi. Si ce n'est que je me suis mordu très fort la langue pour ne pas traiter de connard le professeur de langues.

Voyons la réalité en face : ce n'est pas l'entreprise qui est en guerre contre l'école, c'est le corps professoral qui résiste avec toute l'énergie dont il est capable à l'économie de marché. C'est un combat perdu d'avance, alors ils tentent comme ils le peuvent de se draper des oripeaux de la gloire intellectuelle. Mais quelle gloire ? Si aujourd'hui ils peuvent être professeurs, c'est grâce à l'industrialisation et à la division du travail. Si ces dernières n'avaient pas existé, nous en serions tous encore à gratter la terre pour y faire pousser des topinambours ! Dépenser toute son énergie à nier cette évidence, et s'adonner sciemment au nom de la "résistance à l'idéologie du marché triomphant" à la production d'étudiants mal préparés à la vie active qui iront grossir les rangs des chômeurs, ce n'est pas un combat très glorieux, quand on y pense.



26.8.04

Keep it simple

Il existe des gens pour qui vivre dans la prospérité est une malédiction. K., par exemple, nous parle de l'époque bénie où il vivait les larmes aux yeux, conduisait une vieille guimbarde qui tombait en panne tous les trois jours, travaillait comme un esclave et rentrait à une heure où sa femme dormait déjà à poings fermés, se faisait harceler par ses créditeurs et couper le téléphone par la compagnie à laquelle il devait déjà cinq mois d'abonnement. "Maintenant", nous dit-il, "les chèques que je fais ne sont pas en bois, j'ai une nouvelle voiture, les huissiers ne viennent plus jamais frapper à ma porte. Je n'arrive même plus à froncer les sourcils. Vraiment, je ne me suis jamais senti plus mal que depuis que je n'ai plus le blues". Evidemment, K. est musicien. Et quoi de plus gênant pour un bluesman que vivre dans le confort matériel et spirituel ?

Tour à tour humoristique, sérieux ou mystique, Keb' Mo' est sans conteste un des meilleurs représentants de ce que le blues peut être presque 70 ans après les premiers enregistrements de Robert Johnson. Solidement ancré dans la tradition du finger-picking, ce guitariste, chanteur et compositeur n'hésite pas à sortir de blues "traditionnel" pour écrire une pop du plus bel effet, pleine d'influences blues, gospel et soul. Ses compositions sont de petits bijoux à la structure harmonique extrêmement bien conçue, les arrangements sont simples mais efficaces et l'interprétation est excellente. Sa voix, chaude et un peu éraillée se marie à merveille avec la musique. Dans ses paroles, il évoque les choses de la vie, les tristes comme les joyeuses, les sérieuses comme les légères. Quelques morceaux plus gospel évoquent son rapport avec Dieu et le sens que l'on peut donner à la vie. Sans oublier, sur presque chacun des sept albums qu'il a déjà sortis, en hommage appuyé au père du blues, Robert Johnson, une reprise d'une de ses chansons. Qu'il la réarrange à sa sauce (comme "Come in my kitchen" sur l'album "Just like you") ou la restitue à l'ancienne, seul avec sa guitare (comme "Love in vain" sur "Slow Down"), le résultat est toujours admirable, parfois même poignant, et nous rappelle à quel point Johnson fut un maître du genre. Mais le reste de l'album a tôt fait de nous rappeler que Keb' Mo' a lui aussi l'étoffe d'un maître. A titre d'illustration et de mot de la fin, voici un extrait des paroles de "I don't know" :

You tell me that you love me
That you really care
We've talked it out
We did our best
And it sill ain't going nowhere

It feels like our forever
Just ended yesterday
And all of our tomorrows
Were simply tossed away

Should I stay, should I go ? I don't know





P.S. : Si cette chronique vous a donné envie d'écouter un de ses albums, je vous conseille "Slow Down", à mon avis l'un des plus représentatifs de la palette de styles que Keb' Mo' offre à ses auditeurs.

18.8.04

Le besoin d'intervention étatique (III)

Jarrod est né à Corpus Christi, au Texas. C'est un "Born-Again Christian", un membre d'une tendance très puritaine du protestantisme. Il ne boit ni ne fume. Il n'a même pas vingt ans et vient pourtant de se marier. Pour lui et son amie, il était en effet impensable d'avoir des relations sexuelles en-dehors des liens sacrés du mariage. Les hormones étant ce qu'elles sont ...

Hicham, lui, est né à Bruxelles. Il fait sa prière cinq fois par jour et se rend à la mosquée le vendredi. Chaque mois, il met un peu de son salaire de côté. Il espère ainsi pouvoir effectuer dans quelques années un pélerinage à La Mecque. Il ne boit jamais d'alcool, mais se laisse parfois aller au plaisir d'un petit "joint"...

Sabrina est coiffeuse à La Louvière. Tous les vendredis, elle retrouve quelques copines pour une virée en boîte. Elle est d'autant plus impatiente qu'on soit vendredi que ce n'est pas son tour d'être "Bob". Elle pourra donc ingurgiter autant de Vodka-Red Bull qu'il lui plaira. Si elle rencontre un garçon qui lui plaît, il est fort possible qu'elle ne rentre pas chez elle avant samedi ...

Benoît est un altermondialiste convaincu. Chaque année, il part avec ses amis protester contre la mondialisation dans la ville où se tient un congrès de l'Organisation Mondiale du Commerce. Benoît n'aime pas la violence. Il se contente de rédiger et de distribuer des tracs, et de mettre à jour le petit site internet de son mouvement. Avant-hier, il est allé à Bergen-op-Zoom dans un "Coffee-Shop" avec deux amis. Ils ont ramené un petit peu d'herbe, de quoi tenir le mois. Ben et ses copains ne sont pas de gros fumeurs, mais ils aiment bien regarder le Loft en fumant un petit "stick" histoire de bien se laisser pénétrer par l'absurdité de cette émission. Il a croisé Hicham en rue hier, et lui a vendu un peu d'herbe, histoire de le dépanner...

Albert est un petit fonctionnaire tranquille. Le matin, dans un café près de la Gare Centrale, il boit un petit Maes pour se mettre en forme. Le soir, avant de prendre le train, il retournera à "L'Empereur" pour en boire une petite dizaine pendant qu'il fait une belote avec ses collègues du ministère de la justice. Son médecin lui a dit qu'il ferait bien d'arrêter, que son coeur est fragile et que son foie n'est plus très en forme. Ca le déprime. Il commande un petit whisky pour se remonter le moral.

Ce matin, en se rendant au travail, Hicham s'est fait agresser par de jeunes islamistes. Ils lui reprochaient de serrer la main aux infidèles. Ils l'ont même vu embrasser une fille sur la joue. Hicham s'est bien défendu, mais il a un oeil au beurre noir. Comment va-t-il expliquer ça à sa mère ?

La maman de Benoît aimerait bien que son seul souci soit le visage tuméfié de son rejeton. Ce matin, elle a été tirée de son lit par trois agents de police pourvus d'un mandat de perquisition. Ils ont trouvé du cannabis dans la chambre de Benoît et ont emmené ce dernier avec eux. Ils disent qu'on l'a vu en vendre en rue hier.

Sabrina, elle, pleure dans le petit réduit où se trouve la machine à café du salon de coiffure. Quelqu'un a écrit "sale putt" avec une bombe de peinture sur la porte de son petit appartement pendant la nuit. Elle se demande pourquoi les gens sont si méchants. Elle ne demande rien à personne, elle. Tout ce qu'elle demande, c'est qu'on la laisse vivre tranquillement sa vie. Après tout, elle n'a tué ni volé personne.

Benoît non plus n'a jamais tué ni volé. Il ne croit pas en dieu, mais ça ce n'est pas très grave. Il est en bonne santé et se demande ce qu'il peut bien faire derrière ces barreaux. Tout ça pour un petit bout de "shit" refilé hier à Hicham.

Vois-tu, Benoît, chacun est libre de se ruiner le foie à coups de Jupiler si ça l'amuse , ou de s'envoyer en l'air sans préservatif et en-dehors d'une union bénie par notre Sainte Mère l'Eglise. Jarrod, lui, désapprouve ce genre de comportement. D'ailleurs s'il connaissait Benoit il trouverait sans doute à redire à sa consommation de cannabis. Mais il ne se mêle pas des affaires des autres quand elles ne le concernent pas. On ne peut hélas pas en dire autant de l'Etat.


10.8.04

Le besoin d'intervention étatique (II)

Rappelez-vous, chers lecteurs, la douceur maternelle de votre enfance. Cette sensation d'être entouré d'amour, protégé, choyé, alors que nous faisions nos premiers pas ou tentions d'utiliser correctement une fourchette. A chaque étape de notre vie d'enfant, notre mère était là pour nous guider, nous entourer. Pour nous protéger contre nous-mêmes aussi. Par exemple nous empêcher de toucher la porte du four ou de rouler a vélo sans les mains. Ce qui n'a d'ailleurs pas évité bon nombre d'entre nous de se brûler à ladite porte ou de constater que la rencontre entre notre menton et l'asphalte de la rue peut être douloureuse. Heureusement, la douceur maternelle avait tôt fait de remédier aux petits bobos de notre enfance, et les reproches qu'elle nous faisait à mi-voix trahissaient souvent le fait qu'elle nous avait déjà pardonnés. Heureusement, et probablement grâce à ces tendres attentions, nous avons grandi. Entourés de l'affection parentale, nous avons appris à faire seuls nos choix, et à en assumer les conséquences. Par essais et erreurs, nous avons construit notre vie et notre mentalité d'adultes responsables. Est-ce une réminiscence de cette bienheureuse période de l'enfance qui pousse certains d'entre nous à une plus grande dépendance envers l'Etat ?

"Il faut faire le bien des gens malgré eux", me disait il y a quelques années un collectiviste de ma connaissance, tout imprégné du sentiment d'être investi d'une mission quasi-divine. Depuis une dizaine d'années - sinon plus - l'Etat semble avoir fait sienne cette philosophie. Avec pour résultat une kyrielle de lois et de réglements destinés à protéger le citoyen contre les conséquences de ses propres maladresses. L'intention est louable, mais l'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ? Pêle-mêle, nous trouvons parmi ces règles l'obligation d'attacher sa ceinture de sécurité, les sécurités obligatoires sur les prises de courant (pour éviter qu'un gamin maladroit n'y introduise un quelconque objet et ne s'y électrocute), l'obligation d'asseoir les enfants de moins de douze à l'arrière du véhicule, éventuellement à l'aide de sièges spéciaux, les lois sur le surendettement, l'obligation d'assurer son véhicule en responsabilité civile, l'obligation pour le commerçant de faire la preuve de ses connaissances en gestion. Un dénominateur commun : éviter que la maladresse ou la négligence du citoyen lambda ne le mette dans une situation périlleuse.

Le problème est que toutes ces lois ratent entièrement ou partiellement leurs objectifs, imposent des obligations inutiles à certaines catégories de citoyens, ou ne sont tout simplement pas respectées. Il ne se passe par exemple pas une semaine sans que je ne voie une voiture dans laquelle une mère, assise à côté du conducteur, tient son bambin sur les genoux; la preuve des connaissances de gestion peut être apportée par un diplôme dont tous les acteurs de terrain savent qu'il ne garantit nullement que le commerçant sache réellement gérer son affaire; dopées par l'obligation que le conducteur a d'assurer son véhicule, les compagnies d'assurances se comportent en véritale cartel de prix, forçant certains conducteurs impécunieux à rouler sans assurance; la peur d'une augmentation de la prime d'assurance en cas de sinistre augmente le nombre de délits de fuite; les célibataires ou les couples sans enfant se battent pour enfoncer la fiche de leur appareil électrique dans ces démoniaques prises "de sécurité"; je m'arrête là.

Laissons sur le côté le problème de l'inefficacité et des effets pervers inhérents à l'intervention étatique, il ne s'agit pas à mon avis d'un argument propre à convaincre les partisans de l'Etat-Parent de cesser de réclamer à cor et à cris de nouvelles lois destinées à les protéger contre eux-mêmes. Il me semble par contre utile d'insister sur l'autre raison pour laquelle toutes les lois protectrices du monde ne parviendront pas à atteindre leurs objectifs. De même qu'à l'âge des culottes courtes et des carambars l'enfant se croit invulnérable et transgresse allègrement les interdits parentaux, les citoyens surprotégés n'hésitent pas à braver la législation et à n'en faire qu'à leur tête. Il suffit de regarder au carrefour le nombre d'automobilistes qui téléphonent, le GSM coincé entre la tête et l'épaule, alors que le kit "mains libres" est obligatoire depuis plus d'un an. Et d'ailleurs, bouclez-vous toujours votre ceinture de sécurité lorsque vous êtes assis à l'arrière d'un véhicule ? A moins de mettre un policier verbalisateur à chaque coin de rue, ou d'instaurer des contrôles à domicile dignes de la bande dessinée S.O.S Bonheur, ces lois ne seront jamais respectées. La nature humaine est ainsi faite. Croire que l'Etat peut changer cette nature relève de la superstition.


9.8.04

Le besoin d'intervention étatique (I)

Jamais la tentation de faire appel à l'Etat pour résoudre le moindre de nos problèmes n'a été aussi forte dans nos social-démocraties qu'en ce début de XXIème siècle. Il ne se passe pas un jour sans qu'un journaliste ou une figure publique n'en appelle à une plus grande intervention étatique dans tel ou tel domaine, que ce soit pour réglementer une activité, protéger le citoyen ou assister financièrement quelque groupe en difficulté. Se tourner vers l'Etat est devenu une sorte de réflexe pavlovien. Malheureusement, l'intervention étatique n'est pas une panacée. Dans le meilleur des cas le problème reste entier. Dans le pire des cas, l'intervention complique encore la situation, ce qui entraîne une nouvelle intervention qui vise à corriger le tir mais ne fait généralement qu'aggraver le problème, et ainsi de suite en un cercle vicieux d'interventions inefficaces.

L'aveuglement généralisé quant à l'inefficacité de l'intervention étatique a de quoi surprendre. Nos édiles, qui aiment à répéter qu'il faut apprendre les leçons de l'Histoire, font preuve d'un curieux aveuglement quand ces leçons s'appliquent à leurs propres décicions. Prenez la "lutte contre la drogue", par exemple. Cela fait maintenant presque trois quart de siècle que les Etats-Unis ont aboli la Prohibition. Cette tentative de lutter contre les ravages de l'alcool, loin de réduire l'alcoolisme, l'a encouragé, et a au passage contribué à l'essor d'organisations mafieuses pour lesquelles le commerce du produit interdit vint remplacer le bon vieux racket comme source de financement. Pourtant, l'échec de la Prohibition n'empêcha pas les mêmes Etats-Unis de promulguer, quelques années àpeine après la fin de cette triste expérience, l'interdiction de consommer et de vendre le cannabis et ses produits dérivés. Aujourd'hui, la "guerre contre la drogue" mobilise des moyens gigantesques sans réellement parvenir à endiguer l'augmentation de la consommation de drogues, tant dures que douces, au pays de l'Oncle Sam.

Si nous voulons nous opposer efficacement à l'accroissement généralisé de l'intervention étatique, il ne nous suffira donc pas de démontrer son inefficacité, puisqu'à cette leçon-là personne ne semble prêter attention. Ce fait même nous indique cependant la nature du problème auquel nous faisons face : le recours à l'intervention étatique, malgré les discours contraires que nous entendons à l'occasion, est un phénomène non pas intellectuel mais émotionnel. L'acharnement de certains libéraux à prouver par les faits l'inefficacité de l'intervention étatique n'est certes pas entièrement inutile - car elle sert à convaincre ceux qui, comme nous, sont sensibles à la voix de la raison - mais elle ne suffira pas à renverser la vapeur. Ce sont les facteurs émotionnels qu'il nous faut analyser et ensuite combattre.

La vraie question est dès lors de savoir quelles sont les causes de cet acharnement à recourir à l'Etat en dépit de la raison. A mon sens, il en existe quatre :

- la notion de morale collective
- le besoin d'une mère
- l'endoctrinement par l'éducation étatique
- la propagande intellectuelle

Je vous proposer de consacrer une chronique à chacun de ces phénomènes. J'espère que vous profiterez de la fonction "commentaires" pour enrichir le débat.

8.8.04

Chroniques Floridiennes : "Wishful thinking"

Sous le soleil et les palmiers qui incitent à la désinvolture et aux plaisirs des sens, la Floride, au contraire de la Californie, est un Etat puritain et conservateur. Il existe par exemple des lois pénalisant la prostitution : ces lois permettent de poursuivre la prostituée, le client, le proxénète et même le propriétaire d'un lieu loué par la prostituée ou son client pour consommer l'acte de chair.

Lorsque j'ai discuté de ce problème avec mon "roommate" - la personne dont je partageais l'appartement moyennant participation au loyer - il m'a rétorqué que c'était tout à fait normal. Son raisonnement était le suivant : si la prostitution était légale, une horde d'hommes mariés iraient louer les services de prostituées. Cela mettrait en danger leur mariage. Il ne s'agit donc pas ici d'un "victimless crime" - un crime sans victime - puisque la femme et les enfants du mari adultère pâtiraient de son geste coupable, et il est donc du devoir de l'Etat d'empêcher ce désastre par tous les moyens. En outre, m'affirma-t-il de façon péremptoire, les prostituées sont sales et pleines de maladies.

Fort bien. Que l'Etat, au nom de la morale, tente d'éradiquer le plus vieux métier du monde, n'a en soi rien de surprenant. Vous noterez cependant que si on appelle la prostitution "le plus vieux métier du monde", c'est que les tentatives précédentes de se débarasser de ce "fléau" n'ont guère été couronnées de succès. Mais au fait, au nom de quelle morale ? Et quid des célibataires, lesquels pourraient légitimement prétendre à visiter régulièrement les péripatéticiennes patentées et que la loi empêche d'agir comme bon leur semble ? Et des jeunes demoiselles préférant vendre leurs charmes plutôt que de passer caleçons et boîtes de nourriture pour félins domestiques au scanner dans un quelconque Walmart ?

Comme toujours, force est de constater que les leçons de la Prohibition n'ont pas été apprises par les politiciens du pays qui l'a appliquée. Quels sont les résultats de l'interdiction actuelle ? Tout d'abord, l'activité est repoussée dans la clandestinité, avec tous les inconvénients et les dangers que cela entraîne :

- augmentation des prix : la prostituée exige une juste compensation pour les risques
judiciaires qu'elle encourt

- sécurité du client compromise : puisque le client ne peut de toute façon porter plainte sans confesser un crime et risquer des ennuis, pourquoi la demoiselle ou son protecteur se gêneraient-ils pour lui faire les poches, avec ou sans violence ?

- diminution de la qualité : le métier devenu plus risqué, seules les "désespérées" recourrent encore à cette source de revenus. Cela augmente les risques de transmission de MST, mais ouvre également la porte à un trafic lucratif : la traite des blanches

L'Etat a ensuite beau jeu d'imputer les conséquences de l'interdiction qu'il a lui-même promulguée sur l'activité elle-même et s'en servir pour justifier un durcissement de la législation - si vous me permettez l'expression.

Ensuite, il va sans que ce genre de législation répressive ne parvient pas à endiguer la prostitution en Floride. Croire qu'une loi parviendra a faire disparaître ce genre de pratiques, qui finalement ne concernent que la prostituée et son client, relève de la superstition. Par contre,
ce genre de législation répressive finit par conduire au sommet du burlesque. Ainsi, dans le comté de Hillsborough, des policiers ont envoyé un indicateur dûment équipé de micros solliciter les services d'une prostituée et consommer lesdits services dans une chambre de motel. Les policiers étaient à l'écoute pour bien être sûrs d'intervenir au milieu de l'acte délictueux. Tout cela bien sûr à l'aide de fonds publics.

La législation actuelle parvient donc simultanément à rater son objectif (l'éradication de la prostitution n'est toujours pas une réalité), à criminaliser une activité qui devrait relever de la morale personnelle, à mettre en prison des propriétaires de motels qui cherchent simplement à rentabiliser leur établissement, et à faire gaspiller l'argent du contribuable par les forces de police à des opérations qui n'ont rien à voir avec laprotection du citoyen. Tout cela au nom d'une morale qui, en fin de compte, n'est même pas sauve.




6.8.04

Le saigneur des agneaux

Dans la célèbre trilogie de Tolkien, le hobbit Frodon se retrouve porteur d'un anneau démoniaque. A l'intérieur de cet anneau est gravée en lettres de feu la dernière strophe d'un poème maléfique :

One ring to rule them all,
One ring to find them,
One ring to bring them all,
And in the darkness bind them,
In the land of Mordor, where the shadows lie.


A l'époque où j'ai lu pour la première fois ces strophes, j'étais un jeune garçon et les aventures de Frodon m'avaient littéralement captivé. Lorsque, plus âgé et maîtrisant mieux l'anglais, j'ai enfin pu me plonger dans la version originale, la musique des vers de Tolkien m'a ravi. Mais le libertarien qui sommeille en moi même lorsque je me réjouis du retour d'Aragorn sur le trône de Minas Tirith veille au grain...

"One ring to rule them all"

Mon Robert-Collins m'apprend que la signification la plus courante du verbe "to rule" est "gouverner". Le but ultime du seigneur du mal dans l'épopée de la Terre du Milieu est donc de gouverner et c'est à cette fin qu'il conçoit son anneau maléfique. Les afficionados des aventures des Neuf se rappelleront par ailleurs que l'Anneau tente tous ses possesseurs en leur faisant miroiter le pouvoir qu'il pourrait leur apporter. Bien entendu, il s'agit d'un leurre, car seul Sauron le maléfique détient le vrai pouvoir. Celui qui souhaiterait utiliser l'anneau commencerait par faire le bien, mais le pouvoir de l'anneau pervertirait peu à peu son esprit et il deviendrait un nouveau seigneur du mal, faisant ployer chacun sous son joug maléfique.

Hmm, suis- je le seul à y voir une analogie avec le pouvoir du gouvernement ? Tous ces politiciens, qui se sont lancés dans cette carrière par idéalisme et par passion, qu'ont-ils fait de leurs beaux idéaux ? Le pouvoir les a corrompus, et maintenant ils sont les valets des divers groupes d'intérêts qui les manipulent.

La solution qu'avaient trouvé les sages rassemblés à Rivendell pour contrer ce pouvoir maléfique était de détruire l'anneau. Il serait peut-être temps que nous songions à abolir l'Etat.

4.8.04

European shame

Dans un communiqué de presse, l'ONU nous informe des derniers développements de l'organisation au Vénézuéla d'un référendum au cours duquel les vénézuéliens décideront si Hugo Chavez, la brute communiste qui leur sert de président, doit partir ou rester. Vous remarquerez dans l'article qu'il est fait mention d'observateurs internationaux, mais que seuls le Centre Carter et l'Organisation des Etats Americains sont mentionnés.

Qu'en est-il de l'Union Européenne ? Et bien il semblerait que nos chers édiles aient tout bonnement refusé d'envoyer leurs observateurs surveiller le déroulement des élections. Pourtant, à lire par exemple ce que dit l'ami Ase sur son blog, de tels observateurs seraient bien nécessaires pour restreindre les objectifs de Chavez, qui tente par tous les moyens de s'assurer la victoire. Dernière tentative en date : les vénézuéliens séjournant à l'étranger, à qui la Constitution accorde sans restriction aucune le droit de vote, devront pour pouvoir exprimer leur vote, prouver qu'ils séjournent légalement dans leur pays d'accueil. Vu le nombre de vénézuéliens qui se sont carapatés du pays ces derniers mois pour fuir la misère grandissante sans passer par les formalités d'usage, la différence sera de taille.

Une fois de plus, l'Union Européenne fait montre à l'égard de régime ouvertement communistes et dictatoriaux une complaisance qui ne peut nous inspirer qu'un profond dégoût. Nous savions déjà nos représentants partiaux vis-à-vis du barbu cigarophile de La Havane, force est maintenant de constater qu'une dictature militaire ouvertement pro-castriste semble également recueillir leur soutien sans faille. En plein milieu d'un débat sur la légitimité des institutions européennes, cela ne peut que nous faire réfléchir.