28.5.05

Chut ! Laissez le massacrer en paix !

Une source fiable vient de me faire parvenir une missive en provenance du Zimbabwe. De ce pays, en proie à une dictature sauvage et sanguinaire depuis de longues années, on parle assez peu dans la presse. Et pour cause : tous les journalistes étrangers ont été expulsés, tous les journaux non inféodés au pouvoir ont été retirés de la circulation, les bureaux de leur rédaction incendiés, leurs propriétaires exécutés et leurs journalistes battus à mort. Ce qui n'empêche pas Jacques Chirac d'accueillir monsieur Mugabe - qui professe ouvertement, soit dit en passant, son admiration pour Adolf Hitler, dont il a adopté la moustache - lorsque ce dernier émet le souhait d'un petit voyage officiel en Europe. Cela n'empêche pas non plus Thabo Mbeki, président d'Afrique du Sud, et l'ANC, son parti, de soutenir ouvertement le gouvernement Mugabe dans toutes les instances internationales qui souhaiteraient une condamnation du régime et la mise en place de sanctions commerciales et diplomatiques.

Récemment, des élections se sont tenues au Zimbabwe. Elections relativement libres, pour la bonne raison que la majorité des candidats sérieux avaient été "éliminés" avant le scrutin (soit arrêtés pour haute trahison, soit battus à mort par les milices paramilitaires). Malgré tout, l'opposition avait aligné quelques candidats, pour lesquels de nombreux citadins ont eu la témérité de voter. La missive que je vous livre ci-dessous explique les conséquences de ce vote :



"Nous venons de vivre une semaine completement folle... et cela n'a pas l'air de s'arrêter...

Il n'y a plus d'essence, plus de sucre, plus de farine de maïs, des coupures d'eau et/ou d'électricité plusieurs heures par jour. D'une facon ou d'une autre, on se "debrouille" car on a connu ce type de situation par le passé...

Ce qui est nouveau et difficile à comprendre, c'est l'action de la police et de l'armée au cours des derniers jours, qui ont 'vidé' toutes les villes des marchés, vendeurs ambulants etc... Toutes les structures temporaires ont ete rasées et selon les chiffres officiels 9 000 personnes arrêtées...

Depuis hier, ils se sont attaques aux "townships" où des quartiers entiers de squatters ont ete rases avec des bulldozers et où ils ont mis le feu aux débris restants....


Le 'Herald" journal officiel, pourtant peu enclin à la critique de l'action gouvernementale, est lui-même stupéfait, publiant des photos d'enfants terrorisés à côté des ruines de leur "maison" avec la police anti- emeute à côté. Lors de ces actions de 'nettoyage", la police a fait état de 7000 nouvelles arrestations, ce qui porte le total officiel a 16 000. Ils parlent de les 'déplacer' à la campagne. Il y a qeu uelques scenes d'emeutes mais limitées. Les Ambassades européennes sont en émoi. Je suis sidéré.


Tous les marches de légumes, d'artisanat, Y COMPRIS les marchés officiels désignés par la Municipalité ont été détruits. Statues cassées, paniers de légumes dispersés....c'est un spectacle lamentable.


L'explication serait que les villes ont voté massivement pour l'opposition lors de la derniere élection et que c'est l'heure de la punition... Peut-etre... je ne sais pas."




27.5.05

Chef, on peut taper dessus ?

Les visiteurs réguliers de l'Empire de Constantin se rappelleront les trois récentes chroniques consacrées à la fâcheuse tendance qu'ont les policiers belges à violenter des civils innocents. Un nouveau rapport d'Amnesty International nous apprend que, loin de s'amenuiser, ce penchant coupable des pandores à caresser de la matraque le visage ou les côtes des malheureux qu'ils interpellent sous des prétextes souvent futiles, semble au contraire s'affirmer de jour en jour. Notons d'ailleurs que les malheureux en question sont le plus souvent de la mauvaise couleur de peau.

De nouvelles informations ont fait état de mauvais traitements et de violences à caractère raciste infligés par des fonctionnaires de police. Le Comité permanent de contrôle des services de police a indiqué que les plaintes déposées pour actes racistes commis par des policiers étaient en augmentation et que la plupart étaient enregistrées dans des villes à forte population immigrée, comme Bruxelles ou Anvers. Les auteurs de ces violences bénéficiaient souvent de l’impunité. Un certain nombre de garanties fondamentales contre les mauvais traitements en garde à vue n’avaient toujours pas été mises en place.


Depuis que j'ai narré dans ces colonnes les mésaventures arrivées à l'un de mes élèves (le début ici, la suite ici) et relaté les conclusions d'un précédent rapport d'Amnesty International sur la Belgique, j'ai régulièrement connaissance de nouveaux faits de violences policières tous plus répugnants les uns que les autres. Ainsi, une jeune belge d'origine africaine m'a-t-elle récemment narré son passage à tabac agrémenté d'injures racistes ("tu fais moins la maline maintenant, hein, sale macaque !") dans un commissariat de la capitale. Après quelques coups de bottin téléphonique - ça n'arrive pas que dans les films - savamment assenés à la jeune femme menottée, ces répugnants personnages l'ont invitée à signer une déclaration - fabriquée de toutes pièces - où elle reconnaissait avoir tenté de blesser un policier dans l'exercice de ses fonctions. Devant son refus, les agents de police n'ont pas hésité un instant :
"Tu signes maintenant, ou bien on te fait passer la nuit ici et tu regretteras d'être restée !". Effrayée, la malheureuse a préféré céder à la menace. Voilà donc comment "les auteurs de ces violences" s'arrangent pour "bénéficier de l'impunité" : ils forcent leurs victimes à reconnaître une prétendue agression, ce qui leur permet par la suite d'exercer un petit chantage au silence digne des plus sordides républiques bananières.

Amnesty International nous signale par ailleurs qu'un rapport de la Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies épingle une fois de plus la Belgique pour son retard à modifier son Code de Procédure Pénale pour y implémenter les garanties minimales dont un prévenu interpellé par les forces de l'ordre devrait bénéficier :


Le Comité des droits de l’homme a demandé à la Belgique de modifier son Code de procédure pénale et de «garantir les droits des personnes gardées à vue d’informer leurs proches de leur détention et d’accéder à un avocat et à un médecin dès les premières heures de la détention».


Enfin, et comme on pouvait s'y attendre, le rapport épingle aussi le manque d'empressement des autorités judiciaires à instruire les affaires de violences policières :


Le Comité s’est déclaré préoccupé par la persistance «d’allégations de violences policières, souvent accompagnées d’actes de discrimination raciale», et par les informations selon lesquelles les enquêtes n’étaient pas toujours conduites avec diligence et les sentences, lorsqu’elles étaient prononcées, demeuraient «la plupart du temps symboliques». Le Comité a demandé que soient menées des enquêtes plus approfondies et que soient systématiquement jointes les actions intentées pour violences policières et celles intentées par les forces de l’ordre contre les victimes présumées.


Quelques avocats de ma connaissance m'ont confirmé que certain juge d'instruction accueillait les plaintes portées à sa connaissance contre la police avec une mauvaise foi et un parti pris qui laissaient augurer d'un rapide classement vertical. Quand on sait qu'un juge d'instruction, dans notre système judiciaire, est censé instruire "à charge et à décharge", c'est-à-dire rechercher avec autant de diligence les faits qui incriminent le présumé coupable et ceux qui l'innocentent, il est facile de deviner à quoi ressemble un dossier d'instruction bouclé par un juge aux opinions aussi biaisées. Si ce manque d'ardeur à la tâche fait l'objet d'un rapport de la Commission des Droits de l'Hommed de l'ONU, j'imagine que le comportement dudit juge est loin d'être une exception.

Vous pensiez encore que la Belgique était une démocratie ? Je suppose que voilà cette certitude à présent bien ébranlée. Et puisque nous y sommes, je vous annonce une prochaine chronique qui s'intéressera à une loi votée en 2003 par nos parlementaires de la majorité (y compris les socialistes, donc) et à côté de laquelle le "USA Patriot Act" de George W. Bush fait figure de modèle de respect de l'Etat de droit.


24.5.05

Palme d'Or de la cupidité

Après le "pamphlet qui se fait passer pour un documentaire" de l'année passée, voilà que le jury de la Croisette a une fois de plus décidé de récompenser le cinéma conformiste de gauche et a accordé la Palme d'Or au dernier film des frères Dardenne, "L'Enfant". En soi, rien de bien exceptionnel, et de toute façon je me soucie comme d'une guigne de l'identité des récipiendaires de la récompense Cannoise. Mais les conséquences néfastes de ce choix commencent déjà à se faire sentir.

La distinction accordée aux frères Dardenne vient hélas de relancer en Communauté Francolâtre de Belgique la discussion sur le financement de l'aide au cinéma. "Il faut aider le cinéma belge, nos créateurs sont tellement talentueux, la Communauté Française doit mener une politique ambitieuse pour que notre cinéma rayonne à l'étranger", et blablabla, et blablabla. Traduction : il faut puiser dans la poche du contribuable pour financer la création cinématographique en Belgique. Il est même question de créer une nouvelle taxe sur les billets de cinéma et les locations et ventes de DVD pour accroître la manne distribuée chaque année par l'Etat bienveillant. Heureusement, le fédéralisme à la belge a aussi ses bons côtés : une telle taxe relève des compétences de l'Etat fédéral, qui ne se montre pas très réceptif à l'idée. Mais pour combien de temps encore ?

Pourtant, aucune voix ne s'élève pour protester. Après tout, je contribue aussi au financement de l'industrie cinématographique lorsque j'achète ma place pour aller voir un film. Êt cette contribution est de surcroît volontaire. Elle se fait de la manière la plus simple et la plus rationnelle qui soit : je finance les films que j'ai décidé de regarder, pas les autres. Qu'il s'agisse de la dernière superproduction hollywoodienne ou d'un film intimiste italien, j'acquiers, en échange de l'argent que je cède à l'exploitant de la salle de cinéma, le droit d'assister à une projection du film en question. Pourquoi faudrait-il, sous prétexte que, même si je me bats l'oeil des dernières production des frères Dardenne, il faut "encourager le cinéma belge", me prendre de force l'argent nécessaire au financement de leur nouveau film que je n'irai pas voir ?

Voilà qui nous entraîne une fois de plus sur le terrain de la subsidiation de la création artistique en général. Pourquoi faudrait-il en effet que les impôts des citoyens, dont la majorité ne s'intéressent pas à l'opéra, à la musique classique, au jazz ou aux pièces de théâtre d'avant-garde, aillent financer les loisirs de l'élite intellectuelle et sociale qui goûte ces plaisirs ? Pourquoi faudrait-il prendre de l'argent aux familles aux revenus modestes pour que des bourgeois bohème puissent se rendre au Théâtre de la Monnaie pour y assister à une représentation de la Traviatta ? Et pourquoi, pourquoi diable est-il indécent, voire poujadiste, de poser cette question ?

Revenons un instant au financement du cinéma belge. Continuer à exiger que le gouvernement fournisse des moyens supplémentaires aux cinéastes belges francophones apparaît encore plus indécent lorsque l'on sait que le gouvernement fédéral, à l'initiative des libéraux, a créé un incitant fiscal au financement privé de la production cinématographique dans notre beau royaume fritier. Ce système, appelé "tax-shelter", qui permet aux entreprises belges d'investir une partie de leurs bénéfices dans le financement d'oeuvres cinématographiques européennes. Cet investissement est déductible fiscalement à concurrence de 150% du montant investi. Autrement dit, un système est mis en place pour permettre au mécénat de remplacer la contribution forcée. Evidemment, recourir à un tel système pour le financement de productions cinématographiques requiert des cinéastes un effort non négligeable, puisqu'il faut démarcher et convaincre les investisseurs potentiels. C'est évidemment plus complexes que rendre un dossier à la commission chargée d'octroyer les aides. Et pourtant, des entreprises se créent déjà dont l'objectif est précisément de faciliter la mise en rapport des producteurs et des investisseurs. Alors quoi ?


20.5.05

Le péril jaune (suite)

Plus le temps passe, plus les vociférations des politiciens et - ô surprise - des patrons de l'industrie textile belge à l'encontre des exportations chinoises de produits textiles prennent de l'ampleur. Le crime de la Chine ? Vendre ses produits textiles à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les pays occidentaux. Les grincheux habituels pestent et réclament un nouveau cortège de mesures protectionnistes à l'encontre de ces vilains exportateurs accusés de tous les maux.

A ce stade de la discussion, il importe de déterminer quels intérêts sont menacés dans l'histoire. S'agit-il des intérêts des consommateurs ? Nullement. Ces derniers sont en effet plus qu'heureux de devoir dépenser moins pour se vêtir qu'ils ne le faisaient auparavant. S'agit-il des intérêts des autres industries ? Guère plus. Que l'argent économisé par les consommateurs sur leurs achats de textiles puisse leur permettre d'augmenter leurs dépenses dans d'autres domaines, favorisant ainsi de nombreuses activités économiques n'émeut pas ceux qui poussent des cris d'orfraie. Que la baisse des coûts de production dans les activités où les produits textiles constituent une matière première permette baisse des prix, augmentation des salaires, nouveaux investissements, conquête de nouveaux marchés, etc., n'a guère plus d'effet.

Non, ce que les détracteurs de la Chine prennent en compte, ce sont les intérêts des producteurs et le prétendu "intérêt national".
Prenons les intérêts des producteurs. Que représente le secteur textile en Belgique et quels sont ses domaines d'activité ? Un rapport d'activité de Febeltex, la fédération belge du textile nous permet d'en apprendre plus. Le secteur textile emploie 36.000 personnes en Belgique, soit 0,88% de l'ensemble des travailleurs, qui sont un peu plus de 4 millions. Nous parlons donc ici d'hypothéquer les intérêts de l'entièreté de la population belge pour préserver ceux de 0,34% de cette population.
Et encore, combien parmi les travailleurs du secteur textile sont-ils réellement menacés ? De l'aveu même de la Fédération Belge du Textile dans le rapport déjà cité, le seul sous-secteur menacé par la concurrence chinoise est celui du textile d'habillement. En effet, les entreprises belges restent compétitives et largement exportatrices dans la production de fibres, les textiles dits "techniques" et le textile d'intérieur, où elles ont accumulé un savoir-faire technologique qui les met à l'abri de la concurrence de l'industrie chinois. La Belgique est même le premier pays exportateur de tapis au monde. Que représente le sous-secteur du textile d'habillement en terme d'emplois ? 5.100 personnes sur les 36.000 employées par l'ensemble du secteur textile. Voilà qui donne à réfléchir. Les revendications de l'industrie textile, que relaient servilement nos édiles et les journaleux en mal de copie, ont pour objectif de protéger l'emploi de 0,12% des travailleurs (si tant est que là se trouve l'intérêt des patrons du textile). Cela peut apparaître de prime abord comme un objectif louable, mais est-il réaliste de vouloir lutter pour sauver une industrie en déclin, dont le déclin était déjà entamé à l'époque où les quotas d'importation de textiles chinois étaient en vigueur (voir encore le rapport de Febeltex), tout cela moyennant l'abandon par le reste de la population de la part de bien-être supplémentaire et des créations d'emplois réellement productifs (càd dans des secteurs où la Belgique a intérêt à se spécialiser) que permettra la baisse des prix du textile ? Parler de menaces pour l'intérêt national est, au mieux, une coupable erreur, au pire, un travestissement hypocrite et intentionnel de la vérité par des politiciens soumis au lobby du textile, relayé par des altermondialeux dont l'incompréhension des mécanismes de l'économie n'a d'égale que la mauvaise foi.


16.5.05

Les chiffres (deuxième partie)

A présent que nous avons exploré les statistiques officielles à la recherche des "chômeurs qui ne sont pas des chômeurs", nous pouvons nous intéresser à la deuxième partie de la question. Certes, le taux de chômage en Belgique est de 12,7%, ou plutôt de 19,6% si nous rajoutons les chômeurs "oubliés" grâce à une petite règle de trois, mais 19,6% de quoi exactement ?

Comparer le nombre de chômeurs à la population belge dans son ensemble n'aurait que peu de sens du point de vue statistique : il y a dans la population deux catégories qui ne sont pas "disponibles sur le marché du travail" : les enfants et les pensionnés. Les inclure dans les statistiques rendrait la comparaison impossible entre pays, ou même à l'intérieur d'un même pays, d'année en année, puisque la strucure de la pyramide des âges aurait alors une influence sur le taux de chômage. C'est pourquoi on lui préfère la notion de population active, que l'on définit comme l'ensembles des personnes de 15 ans et plus qui vivent en Belgique et qui se trouvent sur le marché du travail, indépendamment du fait qu'elles trouvent du travail ou non. C'est par rapport à cette population active que se calcule le taux de chômage. Le tableau suivant nous permet de découvrir qu'en 2004 la population active était d'environ 4.797.000 personnes. Serions-nous enfin au bout de nos peines ? Bien sûr que non.

En effet, et je suis persuadé que nombre d'entre vous se sont déjà étonnés à la lecture de ce dernier chiffre. La population active se monte à 4.797.000 personnes alors que notre pays compte environ dix millions d'habitants. Cela semble impliquer que les moins de 15 ans et les pensionnés représenteraient la moitié de la population. Ce qui semble absurde à première vue. Le tableau que nous venons de regarder contient un élément de réponse : on y aperçoit, à côté de la colonne "population active", une colonne "population en âge de travailler". Dans cette colonne, le chiffre de 6.828.000 personnes. Ce dernier chiffre reprend les personnes en âge de travailler mais qui ne sont plus à la recherche d'un emploi. Un document du Ministère de l'Emploi(vous m'excuserez de ne pas utiliser l'appellation complète) nous apprend (page 11) qu'en 2000, 32,9% de la population belge en âge de travailler n'était pas désireuse de se mettre à la recherche d'un emploi (et donc d'entrer dans la population active au sens statistique du terme). Un chiffre largement supérieur, soit dit en passant, à la moyenne européenne, qui est de 26,7%. A la dimension "taux de chômage", il convient donc, si nous voulons nous faire une idée de la situation de notre pays en matière d'emploi, intégrer cette deuxième dimension dans notre réflexion : à côté du taux de chômage, il faut aussi tenir compte du rapport entre population active et population en âge de travailler.

Un dernier tableau nous permet de résumer la situation : en 2003, sur les quelque 10.355.800 habitants de notre beau pays, les "non-actifs" de 15 à 64 ans représentaient 23% de la population. Seuls 39,1% des habitants avaient un travail. Or, ce sont les impôts de ces derniers qui alimentent les caisses de l'Etat. Voilà sans aucun doute une des causes de la pression fiscale gigantesque dont sont victimes les travailleurs dans notre royaume fritier. Pour achever de vous déprimer, je vous rappelle que parmi les 39,1% se trouvent également des fonctionnaires, lesquels sont également payés grâce aux impôts. Voilà, tout est dit. Un conseil : si cet article vous a donné envie de vous tirer une balle dans la tête, évitez de vous rater, sinon vous allez encore augmenter le déficit de la sécurité sociale.


15.5.05

Les chiffres, mon bon monsieur, ...

Un rapide coup d'oeil aux statistiques officielles nous apprend que le taux de chômage en Belgique est de 12,7%. C'est, soit dit en passant, plus du double du taux de chômage aux USA (5,2%) ou au Royaume-Uni (4,8%), et largement au-dessus de la moyenne européenne, qui est de 8,9%, mais là n'est pas le propos aujourd'hui. Vous êtes-vous déjà demandé, cher lecteur, ce que signifiait exactement la phrase : "le taux de chômage est de 12,7%" ? Pour commencer, à quoi se réfère-t-on ? Quelle est la grandeur dont le taux de chômage représente 12,7% ? Et que compte-t-on dans les 12,7% ? Répondre à ces questions, c'est entrer dans le labyrinthe déconcertant de la statistique officielle, où le flou artistiquement entretenu et le détournement de concept règnent en maîtres absolus, ou plutôt en contremaîtres loyaux de la propagande étatiste.

Curieusement pourtant, la réponse à la question peut être en partie découverte dans les tableaux publiés par le "Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation Sociale". A condition cependant de garder un oeil critique et de savoir ce que l'on cherche. Un coup d'oeil au cinquième tableau disponible dans les mises à jour statistiques du 19 avril 2005 nous fournira alors une première moisson de renseignements. Prenons tout d'abord le titre : "Evolution des différentes catégories d'inoccupés". Voilà qui est déjà fort intéressant : si, comme on peut le supposer, "inoccupé" signifie "actuellement sans emploi", cela indiquerait-il que les chômeurs ne représentent qu'une partie de la population des sans-emploi ? La réponse se trouve dans le tableau.

La population des "inoccupés" y est divisée en deux grandes catégories : les "demandeurs d'emploi" et les "non-demandeurs d'emploi". Les "non-demandeurs" d'emploi sont répartis en trois catégories :

- les bénéficiaires de "prépensions conventionnelles" : voilà déjà une trouvaille intéressante. Le petit fouineur découvrira en effet rapidement que la "prépension conventionnelle" est un des outils de la subsidiation par l'Etat des licenciements collectifs en cas de restructuration ou de faillite d'entreprise. Pour éviter trop de "licenciements secs", mauvais pour l'image de marque (et le portefeuille) de l'entreprise, et, surtout, pour les chiffres du chômage, les entreprises en difficultés "prépensionnent" plutôt que de licencier. Cela se fait par le biais d'une "convention collective" conclue entre les syndicats et la direction de l'entreprise qui licencie : en gros, on force les plus de 52-53 ans (cela dépend de la convention) à prendre une retraite anticipée. Au passage, l'indemnité de licenciement est moindre que pour les victimes de "licenciements secs", et donc l'entreprise y gagne. Mais la prépension n'est pas tout à fait la pension : ainsi, un "prépensionné conventionnel" pourrait très bien (éventuellement) se mettre à chercher du travail. Bien qu'à cet âge il lui soit fort difficile d'en retrouver. Qui plus est, si les conditions auxquelles il retrouve du travail sont moins intéressantes, cela aura un effet adverse sur la pension de retraite qui lui sera octroyée à 65 ans. Ah, les joies de la pension par répartition ! Contrairement au pensionné, le prépensionné conventionnel ne peut accepter, s'il veut continuer à bénéficier de son allocation de prépension, aucune activité rémunératrice, même dans les limites strictes prévues pour les pensionnés. En un mot comme un dix, c'est un chômeur dont on a changé le nom et qui restera vraissemblablement au chômage jusqu'à l'âge de la pension (la vraie).

- "les C.C.I. âgés non D.E." : sous l'acronyme se cache la réalité. Ce sont les chômeurs complets indemnisés âgés non demandeurs d'emploi. "Agé" signifie ici que le chômeur a dépassé 50 ans. Passé ce stade, hocus pocus shazam, on le sort des statistiques du chômage. Etonnant, non ?

- les "chômeurs dispensés pour raisons sociales ou familiales". Dispensés de quoi ? Mais de chercher un emploi, pardi !

Un rapide calcul nous apprend donc que les "non-demandeurs" d'emploi sont au nombre de 267.962. Qui ne sont pas repris dans les statistiques officielles du chômage, lesquelles se basent sur le nombre de demandeurs d'emplois, c'est-à-dire, toujours d'après le tableau :

- les chômeurs complets indemnisés

- les "autres inscrits obligatoires". Ce sont les chômeurs suspendus temporairement de leurs droits aux allocations et les jeunes en période d'attente.

- les demandeurs d'emplois incrits librement (demanderus d'emploi qui ne perçoivent pas d'allocations).


Seuls les premiers bénéficient d'une allocation de chômage, mais les trois groupes sont considérés comme "chômeurs" pour les statistiques. La moyenne de l'année 2004 les met au nombre de 576.612. J'ai bien dit la moyenne. Comme le chômage est en augmentation, l'utilisation de la moyenne permet de donner à la situation un air un peu moins dramatique. Si nous prenons les chiffres de décembre 2004, on monte à 595.454 chômeurs.

Voilà. Nous avons à présent une idée de la base de calcul du taux de chômage et du premier mensonge statistique perpétré par l'Etat. Officiellement, en 2004, les chômeurs étaient donc en moyenne 576.612, mais 253.513 personnes n'ont pas été considérées comme de véritables "chômeurs" sous prétexte qu'elles ne sont plus demandeuses d'emploi.

Pour nous rapprocher de la vérité, il nous faudrait donc compter 830.125 sans-emploi dans notre beau royaume fritier. Plutôt inquiétant, non ? Hélas, nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Dans la prochaine chronique, nous achèverons de décortiquer les statistiques et de mettre à nu les mensonges officiels.

10.5.05

Surréalisme à l'Européenne

Si les influences respectives de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre sur la construction européenne apparaissent évidentes, il devient pourtant clair que notre petit royaume fritier - j'emploie le terme pour le distinguer de la république bananière qui s'étend au Sud du pays - imprime secrètement sa marque distinctive aux processus politiques de l'Union : le surréalisme à la belge entoure de son aura les débats actuels sur la Constitution Européenne.

Restons un instant en Belgicanie, si vous le voulez bien. La Pravda, pardon, le Soir, et la Radio-Télévison Bolchévique Francolâtre viennent de lancer une grande offensive médiatique sur le thème : "pour ou contre la Constitution Européenne ?". Informer le citoyen et débattre du sujet alors que le traité a déjà été ratifié par le Sénat, et que socialistes et sociaux-chrétiens, en bon "progressistes" et "démocrates-humanistes", ont refusé le principe du référendum, voilà qui ne manque pas de piquant. Mais n'allez pas croire qu'on prenne les citoyens pour des abrutis. Non non non. En fait, on les prend pour des abrutis profonds.

Passons à présent à l'Europe. Je n'ai pas lu le Traité, et je ne pense pas le lire de sitôt. C'est un choix, motivé par le profond ennui que m'inspire à l'avance l'idée de décortiquer plus de trois cents articles. Je présume que les bienveillants politiciens qui ont rédigé ce traité ont trouvé là un excellent moyen de noyer le poisson et de maintenir cette distance entre le citoyen lambda et les institutions européennes. Il n'empêche. Quand j'entends les critiques apportées par les partisans du "non" et les arguments avancés pas les partisans du "oui", je ne peux m'empêcher de réprimer un sourire. Les partisans du non se trouvent aussi bien chez les socialistes, chez les libéraux (enfin, entendons-nous, je parle des libéraux autoproclamés, qui ne sont que des étatistes de droite) et chez les conservateurs. Les socialistes fustigent un traité qui instaurera une Europe "ultralibérale". Déjà, il y a là de quoi s'étonner : les subsides à l'agriculture, le protectionnisme forcené vis-à-vis de la Chine, des pays d'Afrique et d'Amérique Latine, les restrictions à la liberté de circulation des ressortissants des nouveaux pays adhérents peuvent difficilement passer pour de l'ultralibéralisme pour quiconque fait preuve d'un semblant d'honnêteté intellectuelle. La directive Blokestein morte et enterrée, tout espoir de voir le secteur des services - qui représente tout de même 80% de la richesse produite en Europe - enfin ouvert à la concurrence intra-européenne s'est évanoui dans les limbes. Le plus amusant, c'est que, Bolkestein ou pas, les directives et traités actuels prévoient déjà que les citoyens peuvent, s'ils le souhaitent, se désaffilier de la sécurité sociale obligatoire et opter pour une assurance privée pour les soins de santé. Enfin, passons. Donc, les socialistes trouvent cette constitution inacceptable parce que ultralibérale. Les libéraux, de leur côté, y sont opposés parce que "l'Europe Sociale" qu'elle prône va perpétuer et aggraver les désastreuses réglementations du marché du travail qui paralysent notre économie et agrandissent chaque jour le fossé qui nous sépare des pays riches que sont les Etats-Unis, le Japon, l'Australie et la Corée du Sud. Et, dans une moindre mesure, l'Angleterre. Que simultanément les libéraux trouvent le Traité Constitutionnel Européen trop à gauche, les socialistes trop à droite, et que dans un même temps d'autres socialistes sont pour un "oui de combat" (admirez la créativité dont font preuve les inventeurs de slogans portant le label "novlangue") et d'autres libéraux pour un oui prudent, tout cela ne peut qu'inspirer un désintérêt vaguement amusé. Finalement, l'excellent The Economist avait raison il y a un an lorsqu'il publiait une édition en couverture de laquelle on apercevait une grande corbeille à papiers surmontée du titre : la vraie place de la constitution européenne.


4.5.05

Typologie du collectiviste de base

A force de débattre dans un forum dont la qualité des intervenants permet des débats calmes, argumentés et fort bien documentés, j'avais fini par oublier à quel point de nos jours un grand nombre de personnes prennent les débats pour une foire d'empoigne où celui qui crie le plus fort ou lance l'insulte la plus cinglante finit par occuper le haut du pavé. Mes récents démêlés avec un rustre collectiviste sur les commentaires de l'excellent Bruxelles, ma ville ont fini par me rappeler cette dure réalité. Ce sombre abruti, dont l'argument le plus percutant - à défaut d'être pertinent - fut sans conteste "va te faire brouter par un gnou, concon", incarne à lui seul tous les travers de la mauvaise foi crasse et mal informée. Ses exaspérantes sorties ont cependant eu une conséquence intéressante : elles ont ranimé chez votre serviteur une réflexion sur les caractéristiques du collectiviste de base et son comportement dans les débats. C'est à dessein que j'emploie le terme "collectiviste" en lieu et place de gauchiste, car cela permet d'inclure dans la réflexion ceux que j'appellerai les "gauchistes de droite" : néoconservateurs, atlantistes et autres partisans du "Welfare and Warfare State" dont le mercantilisme, le protectionnisme et la volonté de s'immiscer dans la vie privée des individus n'ont rien à envier à la "solidarité responsable, durable et citoyenne" de la gauche caviar. Il me semble en effet qu'en-dehors du "conformisme rugissant" des représentants de la gauche caviar altermondialiste, leurs schémas mentaux sont à peu près identiques.

Nous commencerons d'ailleurs notre typologie du collectiviste de base par ce trait distinctif du gauchiste. Le conformisme rugissant se caractérise par l'adoption sans arrière-pensée ou esprit critique des révoltes clé sur porte proposées par les média ou les ONG portant le label "citoyen" : altermondialisme, antiaméricanisme primaire, haine des OGM, défense du principe de précaution, et surtout critique du prétendu "ultralibéralisme" de Chirac, de Berlusconi ou de Georges W. Bush. La dernière révolte citée est une des plus éclatantes réussites des adversaires du libéralisme, et l'une des preuves les plus patentes de l'absence totale d'esprit critique chez ceux qui l'adoptent. Indépendamment de la sympathie ou de la haine que l'on peut éprouver pour la philosophie libérale, étiqueter "libérales" les politiques menées par messieurs Bush, Chirac et Berlusconi dénote une méconnaissance profonde de ce qu'est le libéralisme. Prenons Chirac, par exemple. Peut-on sérieusement qualifier d'ultralibéralisme son protectionnisme agressif (voir la dernière sortie de la France sur les importations de textiles chinois) et sa défense bec et ongles des subventions européennes à l'agriculture de libéralisme, alors que les libéraux sont pour la suppression des barrières à l'importation et à l'exportation ? Quant à George W. Bush, que dire des politiques protectionnistes menées par son administration (textiles, acier), de l'augmentation sous son mandat des subsides à l'agriculture (et notamment à la culture du coton), de la croissance exponentielle des dépenses gouvernementales à laquelle il préside et de sa guerre d'agression contre l'Irak qu'il fait financer par les contribuables américains ? Sont-ce là les caractéristiques du libéralisme ? Un esprit un tant soit peu critique y verra plutôt mercantilisme, protectionnisme, impérialisme et soumission à divers groupements d'intérêt. Quant à Berlusconi, qui se sert de l'Etat pour satisfaire ses intérêts personnels au dépens du reste de la population, qualifier de libéral cet affairiste opportuniste est carrément ridicule. Un autre exemple encore : combien de fois ai-je déjà entendu critiquer le système britannique d'assurance-maladie, le National Health Service, lequel est encore plus étatisé qu'en Belgique ou en France (si si, c'est possible), non pour sa totale inefficacité mais parce qu'il serait la conséquence d'une politique ultralibérale. J'aimerais bien qu'une âme charitable m'explique ce qu'il y a de libéral à nationaliser les soins de santé.

La grande victoire des collectivistes, c'est celle-là : d'avoir réussi à créer et à entretenir la confusion sur ce qu'est le libéralisme. Il importe à présent que tous les vrais libéraux se mettent à l'ouvrage pour rétablir la vérité sur ce qu'est vraiment le libéralisme : une philosophie tant économique que politique, qui prône la liberté et la responsabilité individuelle, le respect de la propriété et la poursuite paisible par chacun des activités de son choix dans le respect des autres.